Allocution du Rabbin Hirschler à l'occasion de Rosh Hashana
Mulhouse, 1929


Ce sermon est le premier prononcé par le rabbin Hirschler après son intronisation à Mulhouse


בני אם אתם מבקשים לזכות לפני בדין ביום הזה תהו מזכרים זכות אבות ואתם זכים לפני בדין
Oh vous qui êtes mes enfants bien aimés ! Vous qui voulez mériter devant moi, au grand jour de la justice, au grand jour que voici, rappelez le souvenir de vos prestigieux ancêtres et déjà vous mériterez devant moi, en toute justice.

Mes chers frères, mes chères sœurs,

Le premier jour de l'année n'est pas dans le judaïsme ce que les peuples de la terre en ont fait. Au sein d'une vie fiévreuse et exigeante, l'âme juive, s'est établie comme un relais: là, elle s'arrête un temps pour réfléchir sur elle-même, pour se restaurer, se mieux connaître, et se mieux diriger: telles sont les fêtes d'Israël.
Mais Rosch-Hachana est quelque chose de plus encore. Marquant à la fois, la fin d'un temps, et la naissance de l'avenir, il appelle tout naturellement notre attention sur ce qui est définitivement hier, pour que nous puissions préparer le jour qui vient.
Il nous demande, d'examiner ce passé, de le juger aussi et de revenir de notre chemin quand nous voyons nos erreurs, afin de vivre. Il est le jour de la justice יום הדין. Mais aussi, logiquement, il est le jour du souvenir יום הזיכרון, d'un souvenir riche d'expériences et qui déjà enfante l'avenir.

Et cette apostrophe qui m'a servi de texte et que le Midrasch prête à D. , au jour de Rosch-Haschana, montre bien l'étroite connexion qui lie ces deux sentiments, de justice et de souvenir.

Mais ce souvenir, que Rosch-Haschana d'années en années, veut faire remonter à nos mémoires, peut-il jamais nous quitter ? Et déjà, l'attrait que notre fête exerce sur les foules d'Israël, ce concert de peuple qui se presse dans nos synagogues en ce jour, le premier de l'année, n'est-il pas une marque de souvenir, mes frères et mes sœurs, souvenir conscient ou inconscient qui nous rattache au judaïsme, hors même du pouvoir de notre libre volonté ?

Mais quelle est donc la valeur et la force de ce souvenir ? n'est-il vraiment que l'occasion de manifester de temps a autre notre attachement a nos origines ? n'est-il qu'une merveilleuse fresque, sans utilité pratique ? Serait-ce que notre cœur, seul, y prenne quelque plaisir ?
Non, mes frères et mes sœurs, tout cela serait déjà beau. Mais voyez donc, je vous prie, l'influence qu'il exerce sur votre vie, que vous le veuilliez ou non ! Voyez aussi s'il le mérite et s'il le doit !
Et alors, je vous demanderai, si en justice, si en vérité, il n'exige pas de vous, plus que vous ne lui accordez.

Vous mes frères et mes sœurs, vous qui êtes par droit de naissance, les enfants bien aimés du Seigneur, ne vous contentez pas de rappeler devant Dieu le souvenir de vos prestigieux ancêtres pour mériter devant lui au jour de la justice. Faites plus ; creusez ce souvenir, étudiez-le, appréciez-le; écoutez sa voix profonde. Peut-être vous enseignera-t-il le devoir de votre vie !

Mes frères, mes sœurs,

Tels que nous sommes, hommes parmi les hommes, en dehors de toute réflexion, de toute raison, de tout idéal religieux; aussi indifférents pour la chose commune que nous puissions être, nous nous sentons rattachés étroitement à ceux qui, comme nous, se réclament du nom d'Israël.

Pour tous au moindre rappel, nous remontent à la pensée les scènes de notre jeunesse, la mémoire du foyer paternel, la sévérité mais aussi la sublime poésie qui se dégageait de cette vie juive pure que vivaient nos pères. Et tout cela, prend en notre cœur ses racines profondes. Comment pourrions-nous jamais les arracher de nous-mêmes ?
J'en connais qui se disent, qui se croient dégagés de toute servitude à l'égard du judaïsme, qui, au jour que voici, courent dans nos temples, comme autrefois leurs aïeux.

הלמד ילד למה הוא דומה לדיו כתובה על ניר חדש
Ce que l'enfant apprend en son âge tendre, s'imprime en sa tête, comme l'encre sur un papier neuf.

Il est des images qui ne disparaissent pas jamais de devant les yeux d'un homme et l'on oublie pas ces souvenirs toujours frais, qu'une orgueilleuse raison – alors même qu'elle ne cherche pas à les expliquer, respecte et vénère. Pour elle, ils n'ont peut-être d'autre vérité que leur apparence esthétique, que leur beauté: mais n'est-il pas vrai qu'elle ne saurait les dominer.

Eh bien, mes frères et mes sœurs, cela n'est-il pas déjà une marque de leur force et cependant ces souvenirs ne sont pas les plus puissants. Il en est d'autres, qui résident dans les coins les plus sombres et les plus enfouis de notre conscience. Ils sont moins récents, plus estompés, nous les ignorons le plus souvent, mais aussi ils sont plus profonds : ils forment à proprement parler, comme l'armature de notre personnalité. Ce sont les souvenirs du passé, héritage millénaire que chaque génération, en Israël, enrichit avant de le transmettre à la génération qui vient. Ce sont toutes les souffrances, tous les cris, tous les pleurs, toutes les joies, toutes les pensées , tous les espoirs de ceux dont nous sommes les fils.
C'est ce qui monte en nous, lorsque quelque part, en Bessarabie ou en Palestine, nos frères, les fils de nos pères, crient vers nous leur détresse.
Et ceux-ci , mes frères et mes sœurs, font autrement partie de nous-mêmes que les premiers. Dans la vie quotidienne, exigeante et accablante, nous pouvons négliger ceux-là, mais ceux-ci aucune force humaine ne peut les arracher de notre être. Toujours ils se manifestent sous une forme ou sous une autre : c'est parfois notre physique qui proclame ce que nous sommes, mais surtout ce sont les mille mouvements de notre âme, dans ses rapports à la vie, c'est une attitude, une manière de voir et de penser, c'est une activité, c'est un penchant: c'est tout ce que l'on nous reproche, tout ce dont on nous fait hommage, suivant les cas - C'est nous-mêmes !

Que peut donc la volonté d'un homme, que peut la volonté d'une génération, contre le travail sourd, profond et inconscient des siècles, je vous le demande ?
Voici donc, mes frères et mes sœurs, que je constate en moi, comme vous pouvez le faire en chacun de vous, une influence double, persistante et puissante, de nos souvenirs et des souvenirs de notre sang. Et il me semble les entendre murmurer à mon oreille, la parole du grand roi Salomon :Mon fils, sois attentif à ma sagesse,
Prête l'oreille à ma prudence
Afin que tu conserves la réflexion
Et que tes lèvres gardent la science de la vérité (Psaume V 1-2)

Et c'est pourquoi, je vous demande maintenant, mes frères et mes sœurs, ainsi que le prophète Jérémie "Regardez et informez-vous des sentiers d'autrefois" afin d'en saisir la sagesse et la valeur.
Et qui donc, ne serait saisi d'admiration et de respect pour ce passé ? Longtemps, il fut mal connu et cette ignorance justifiait les moqueries, les sourires, les lâchetés qu'on accomplissait a son égard, ailleurs comme chez nous. C'est un prêtre d'une religion qui n'est pas la nôtre , qui déclare de ses lecteurs : "Ils s'étonnent peut être de découvrir dans le judaïsme de réelles beautés, des dogmes, des doctrines morales, des attitudes de piété , qu'ils devront admirer et vénérer". Mais maintenant que les livres ont livré ce passé au grand public, dans toute sa vérité, l'étonnement ne devrait plus être permis.

Et nous, nous qui avons connu cette vie que d'autres admirent et vénèrent, nous de qui le passé est celui-là même qui les passionnent, nous qui sommes faits de tous ces souvenirs, nous ne chercherions pas à les mieux comprendre ? Aurions-nous des yeux pour ne pas voir ? des oreilles, pour n'entendre pas ?
J'aimerais pouvoir vous expliquer le détail des tous ces gestes que vos pères accomplissent et dont la mémoire vous est précieuse. Vous verriez qu'ils ne sont jamais vides. Derrière l'apparence, toujours un sens profond se cache. Il n'est rien chez nous qui ne contente la raison la plus exigeante, la plus moderne même. Et si je veux prendre un exemple dans nos prescriptions rituelles, je ne sais choisir, tant il y en a qui m'apportent de preuves.
Mais je craindrais d'abuser de vos instants et de dépasser le cadre des ce discours. Il faudrait ici entrer dans les détails, souffrez qu'aujourd'hui je vous affirme ceci, bientôt, de cette chaire, je vous dirai des preuves entre mille.

Mais plus immédiatement, nous pouvons concevoir et le, sublime et la grandeur de ces autres souvenirs qui sont à la racine de nous-mêmes ? N'est-ce pas l'histoire merveilleuse, l 'histoire miraculeuse du peuple dont nous sommes issus ? N'est-ce pas cette histoire qui passionne, une fois qu'on l'a découverte ?

Voyez, je vous prie, ce peuple né de l'esclavage, marqué de la souffrance depuis ses premiers jours, toujours près de disparaître et qui survit toujours à ceux qui un moment l'ont brisé. Pendant quarante siècles, il tombe ; pendant quarante siècle il se relève, si insignifiant qu'il puisse être, toujours on s'y intéresse, rarement pour son bien. Et au milieu des bûchers, il continue de vivre, à travers les épées, il passe. Il brave la cupidité des uns, la fureur des autres, la sottise des foules. Il vit et de lui, maintenant nous sommes nés.

Mais ainsi qu'un corps ne peut vivre privé d'âme, les peuples ont une âme qui les anime dans leur destinées d'ici-bas, s'il n'en avaient pas rien ne saurait les empêcher de disparaître. Et cette vérité, qu'affirme l'histoire des hommes, depuis qu'il existe des sociétés, prend une illustration particulière lorsqu'il s'agit du judaïsme. Quel peuple, plus que nous, peut-il s'enorgueillir d'une vie plus tenace, aussi tourmentée qu'elle ait été, je vous en fais juge, mes frères et mes sœurs ? Mais aussi quel peuple a-t-il eu, pour le soutenir, plus grande âme ?
Cette âme c'est notre idéal, c'est notre morale c'est notre justice, c'est notre amour: c'est Dieu, c'est notre religion. Et cette religion se rappelait, à chaque instant à la mémoire de nos pères, par l'emploi qu'elle faisait de tous les moments de leur vie, par ses fêtes, par ses rites, par ses pratiques. Pour elle, nos pères ont vécu, on souffert; par elles ils ont vécu, par elles ils ont vaincu. Et ce n'est pas là, vaine idée de poète ou de rêveur, c'est Juda Halévy lui-même qui disait : "Le Sabbat et les fêtes nous ont conservés".

Et c'est là mes frères et mes sœurs, que réside la valeur de tous nos souvenirs, récents ou lointains dont j'ai essayé tout à l'heure de vous montrer la présence en nous. Ils ont donc en dehors de ce que leur accorde notre cœur, un prix particulier et qu'aucune raison ne saurait récuser, puisque aussi bien, ce qu'ils rappellent a fait la vie d'Israël, et fait encore notre vie.

Or donc, ce qui pendant deux mille ans n'a cessé de prouver sa vérité en mille manières, cesserait d'être vrai ? Une expérience, vécue par une multitude d'hommes depuis les temps les plus reculés jusqu'à nous, cesserait d'être ? Il faudrait que cela ne tienne plus intimement à notre âme, par tant de souvenirs de tous ordres, il faudrait que les lois de la nature n'existent pas.

Mais alors, je vous le demande instamment, pareille constatation n'exige-t-elle pas de nous la reconnaissance effective de notre devoir ? Il ne suffit plus de rappeler devant Dieu le souvenir du passé, il ne suffit pas d'en saisir la sublime beauté, la profonde vérité. Notre esprit maintenant se montrerait dans toute sa faiblesse, dans toute son imperfection humaine ; c'en serait fait de l'autorité que nous donnons à notre raison, si nous ne dirigions pas notre vie, en accord avec elle - Et cela je ne veux le croire.

Il faut que pour nos enfants, ce qui n'est chez nous que souvenirs devienne réalité. Il faut, non seulement, qu'ils se sentent juifs, mais qu'ils le soient en toute conscience, en toute certitude. Il faut que nous leur enseignions par l'exemple de la maison, ce qu'est une vie juive, que nous leur en apprenions la profonde signification. Il faut qu'ils connaissent leur histoire à eux, il faut qu'ils sachent puiser l'amour du judaïsme, aux sources les plus authentique, dans notre Thora, dans nos écrits saints ; il faut qu'ils puissent ne jamais rougir de leurs pères, de nous-mêmes.

Ainsi vous pouvez maintenant comprendre le texte que j'ai pris pour ce discours et sa profonde vérité. Puisse Dieu accomplir en votre faveur sa promesse, celle que nos docteurs nous rappellent en la circonstance. Car par le souvenir de nos ancêtres, nous auront mérité devant lui au jour de la justice, vous qui êtes ses enfants.
Nous aurons mérité sa faveur, en toute justice.
Chers frères et chères sœurs,

En ce jour de Rosch-Haschana, où le Dieu de nos pères pèse nos destinées, qu'il veuille se souvenir des mérites de nos aïeux et nous bénir. Qu'il vous accorde le bienfait d'une heureuse année ! Que vos désirs soient exaucés! Qu'il vous aide dans vos efforts pour mériter devant lui, en tant qu'hommes, en tant que juifs !

Que le Seigneur vous bénisse et vous garde,
Que le Seigneur tourne sa face vers vous et vous soit favorable
Que le Seigneur vous donne bonheur, paix et prospérité.
Amen !


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