Israël, son passé son avenir


C'est pourquoi René Hirschler va entreprendre de réfuter l'ouvrage de Hermann de Vries, Israël, son passé son avenir. Il va se livrer à un véritable travail de bénédictin, n'hésitant pas à faire appel à des confrères, tel le rabbin Champagne, pour réfuter les thèses de de Vries, et surtout pour montrer que ses citations talmudiques et autres sont des faux. Sur douze textes, il en compte huit qui sont forgés de toutes pièces.

L'article du rabbin paraît dans l'Univers Israélite le 30 avril 1937, sous le titre Le poison. Voici son texte intégral (les passages en gras ont été soulignés par R. Hirschler lui-même):

"Israël, son Passé, son Avenir », par H. de Vries de Heecklingen.
"L'œuvre d'un historien et non d'un partisan" dit lu bande qui ceint le volume.

Enfin, un homme de science., impartial, se penche sur la tragédie juive. Voue le croyez. Si vous êtes Juifs, vous espérez vous reposer, à la lecture de ce livre, des pamphlets antisémites dont none époque n'est point avare. Si vous n'êtes pas Juifs et quz vous cherchez la vérité, vous pensez l'y trouver et savoir qui, de Béroaud ou de Kessel, trempe le peuple. L'on n'a pas affaire à un polémiste passionné, mais à un historien. Il n'est pas Juif. Tant mieux. Vous achetez l'ouvrage.

Si vous étiez un peu plus averti de la personnalité de l'auteur vous auriez peut-être moins d'illusions. Né calviniste, il se convertit au catholicisme vers 1908. Si telle est sa conviction, qui le lui reprocherait ? Mais, singulière coïncidence, c'est l'époque à laquelle il épouse une jeune fille de la noblesse belge, et, l'un de ces jours, il occupera une très intéressante situation dans une institution catholique ! Si un Juif en avait fait autant, M. de Vries (voir son livre,
p. 117) jetterait peut-être quel que suspicion sur celte conversion... Intérêt... calcul... Passons..

L'homme se mêle de travaux historiques. Ses premiers ouvrages sont sérieux et lui valent de justes éloges. Il devient bibliothécaire à l'Université Catholique de Nimègue et entend continuer sa carrière historique. Hélas ! Ses prétentions d'homme de science sont bientôt réduites à néant par les sévères critiques de l'érudit professeur Damste, d'Utrecht. Il gère la bibliothèque que l'on a confiée à ses soins de telle sorte qu'un blâme publie lui est infligé par son recteur. II perd sa place. Il perd ses rêves de gloire scientifique. Nous sommes en 1927.

Il se lance les coulisses de la politique et dirige le Centre International de Documentation sur les organisations politiques. Cela demande peut-être moins de précision et de conscience que la gérance d'une Bibliothèque universitaire ou l'élaboration d'une œuvre historique. Le professeur Damste avait dénoncé ses falsifications de textes, lorsqu'il faisait de la science. On devine l'authenticité scrupuleuse que M. de Vries va assurer à sa documentation politique !

Notre homme suit maintenant où est son avenir. C'est l'époque où monte à l'horizon l'étoile d'un autre mécontent de la vie. Il s'attache à sa fortune, ô de loin, en comparse de seconde zone. Et l'année même où Hitler prend le pouvoir, en 1933, notre "historien" fait paraître en langue allemande un travail sur "La Doctrine Nationale-Socialiste". Enfin, en 1937 il publie, en langue française, - hélas pour none langue ! - une étude "historique" sur " Israël, son Passé, son Avenir", où il met toute son autorité sereine de savant impartial, dégagé de toutes les contingences qui empoisonnent les luttes du forum, solidement établi sur des textes irréfutables... Qui en douterait après un tel passé ?

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Jean-Jacques Brousson, dans "Je suis partout" du 20 février n'en a pas douté. Il ne ménage pas son admiration pour M. de Vries de qui "la documentation est exclusivement juive", ce qui est la marque de la plus sévère impartialité ! El il en lire des conséquences inspirées du plus pur esprit français...

R.-R. Lambert (*) a douté de cette impartialité scientifique. Dans une courte chronique, parue dons ce journal, il dénonce l'influence hitlérienne qui perce dans cc livre qui, pour lui, n'est qu'un pamphlet. Il est incisif. Il parle de poison…

Cependant, en Allemagne; on ironise. Le "Welt-Dienst" du 15 février, organe de documentation et de centralisation antisémite. dont le nom signale déjà le caractère "mondial", se réjouit et raille : "Le Judaïsme a ouvert le combat contre Israël, le livre de H. de Vries." On fait connaître l'audace de Lambert aux filiales du "Welt Dienst", et puisqu'il a prétendu que M. de Vries ne pensait pas français, on est heureux de lui apprendre que les grands parents de M. de Vries étaient justement français… Et l'on attend la suite du combat.

Une chose au moins est maintenant établie. Lambert ne parait pas s'être trop abusé en affirmant qu'il y avait de sérieux rapports entre M. H. de Vries et l'Allemagne hitlérienne. L'entrée en lice du "Welt-Dienst" suffirait a nous en assurer.

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"L'œuvre d'un historien et non d'un partisan."
Je prétends qu'on s'y tromperait.

Pensez donc ! M. de Vries ne parle pas un seule fois de meurtre rituel, n'invoque pas Gobineau, Rosenberg, Goebbels, ni même Hitler. M. de Vries ne vante pas le racisme : au XXe siècle, c'est une rareté ! Il n'y a pas, dans ce livre, de grands mots, de diatribes. passionnées à la Henri Béraud, d'ironie empoisonnée à la Drumont. n'y a guère qu'une page pour condamner la judéo-maçonnerie. Il y a des idées assez justes sur la permanence du judaïsme chez les plus déjudaïsés d'entre nous, une initiation convenable au sionisme, parfois un accent de sincérité qui désarme. A la place des affirmerions gratuites et des insultes coutumières, l'auteur nous présente une étude historique, des textes sans doute vérifiables, une "documentation exclusivement juive", selon la remarque de M. J.-J. Brousson.

Il faut l'avouer, le lecteur non averti, incapable de faire le départ entre le vrai et le faux, qui ne connaît pas la valeur "historique" assez limitée de l'auteur, l'élasticité de sa conscience scientifique, ses attaches avec le régime hitlérien, lui-même se laisse impressionner, se demande si, malgré tout, ces documents ne sont pas vrais. Et s'il se révolte, c'est bien souvent qu'il sent que la thèse de l'auteur est fausse, injuste, et qu'il sait que le conclusion de M. de Vries n'est pas la sienne - qu'il n'en veut pas !

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La thèse de M. de Vries tient en quelques lignes :

Cette argumentation, répétons-le, est fondée sur des textes. Ces textes, pour le plupart, sont d'origine juive : à la fin du volume, les références bibliographiques permettent de s'en assurer, puisque les sources juives sont toutes précédées d'un astérisque. Mais… pourquoi la plupart d'entre elles seul-elles citées de seconde main ? Pourquoi ces documents sont-ils tirés en majeure partie des ouvrages suspects de Mgr. Henry Delassus, Léon de Poncins, Henry Ford, Mgr. Jouin, Stauf von der Marsch, Wilhelm Meister, Roger Lambelin, Ulrich Flei­chauer, Passarge, etc. tous connus pour être des pamphlétaires haineux, sans scrupules, et certainement fort peu "scientifiques" ? Pourquoi M. de Vries va-t-il chercher dans le "Welt-Dienst" hitlérien, qui aujourd'hui le défend dangereusement, certains textes "d'origine juive" ? Pourquoi tous les textes talmudiques ou prétendus tels que nous reproche M. de Vries sont-ils empruntés aux travaux infiniment suspects d'Erich Bischoff, de Luczensky, de Hans Günther, professeur à l'Université de Iéna et de Siegfried Pas­sarge, professeur à l'Université de Ham­bourg ? Pourquoi, au lieu de recourir aux sources originales ou de n'abstenir, comme c'était son devoir d'historien, M. de Vries a-t-il préféré recourir à ces sources, celles-là même où puise à chaque instant le "Stürmer" ? Car, enfin presque tous les textes talmudiques ou prétendus talmudiques citée par M. de Vries, lorsqu'ils sont haineux, sordides ou indécents, je les ai retrouvés mot pour mot dans l'odieux numéro du "Stürmer", daté de mai 1934...

Telle est, en effet, "la documentation exclusivement juive" qu'admirait M. J.-J. Brousson et devant laquelle le lecteur moyen se sent ébranlé parfois, la documentation sur laquelle s'appuie l'argumentation de M. de Vries : une documentation de seconde main, cherchée dans l'arsenal des plus authentiques officines antisémites, allemandes en particulier. Il ne faut pas être grand clerc pour s'en convaincre.

Sans doute, pareille constatation ne suffit-elle pas encore à établir que ces textes soient faux ou falsifiés. Mais l'autorité de M. de Vries devient singulièrement suspecte, de même que la pureté de ses intentions.. Quant au reste, nous y venons.

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M. de Vries constate que partout et toujours, au long de leur "Passé", les Juifs sont devenus objets de haine. Pour lui la cause est des plus simples. Dans tous les pays, les Juifs ont tenté de devenir les maitres. Mais, dès qu'ils étaient parvenus à l' "apogée", ils provoquaient, par leur attitude, " la résistance", puis l' "hostilité ouverte" du du peuple exaspéré, que les princes de l'E­glise essayaient en vain de contenir.

Notre malheureux "historien" semble ignorer volontairement les causes profondes de l'antisémitisme, religieuses, économiques, psychologiques, historiques ; il semble ignorer que le peuple ne sortit pas de soi la haine du Juif, mais qu'il la reçut et qu'il résista longtemps aux volontés de ceux qui voulaient la lui imposer. M. de Vries cite Agobard. Mais lorsqu' Agobord dénonçait l' "insolence" des Juifs et essayait de soulever contre eux prélats, princes et fidèles, sans y parvenir, lorsque les Conciles étalent obligés de répéter maintes fois les mêmes censures afin de mettre un terme aux trop bons rapports des chrétiens et des juifs, sans y parvenir, lorsque tel roi de France rappelait dans ses Etats les Juifs expulsés, pour obéir "à la commune clameur du peuple", M. de Vries va-t-il nous dire encore que le peuple se révoltait spontanément contre l'impudence, l'immoralité la domination des Juifs ?

Certes non. Car M. de Vries ignore cet aspect de l'histoire. Il connaît de vieilles histoires dont l'érudition depuis longtemps a fait justice. Il rapporte des plaintes de marchands qui gémissent parce que "tout le monde court chez les marchands juifs" et des documents qui nomment Juifs des gens qui ne le sont pas, parce que dans la langue du XVIIe et du XVIIIe siècle le terme désignait des gens malhonnêtes, avares ou dangereux... En vérité, ces documents misérables étant négligés, il ne reste plus qu'une pétition de principes : la permanence de la haine des Juifs et de ses manifestations prouve que cette haine est justifiée t

Drumont ne faussait pas moins l'histoire, mais il ne manquait pas de grandeur lorsqu'il exposait la lutte prétendue fatale et éternelle des aryens et de sémites depuis les guerres puniques jus qu'au second Empire : il avait de la saveur et, à sa manière, de l'érudition. M. de Vries n'a rien de tout cela. Les petits documents qu'il sert, il les a empruntés avec leur interprétation tendancieuse.

L'attitude historique des Juifs ayant été démontrée de cette façon évidemment lumineuse, M. de Vries cherche à en expliquer les causes réelles. Il examine "ce qui nous sépare" : le Talmud, les tendances révolutionnaires et les aspirations à la domination mondiale des Juifs.

M. de Vries veut bien admettra que le Talmud contient de bonnes choses, du sublime même. Pour attester son impartialité, il emprunte à des traducteurs juifs, et véritablement Juifs, quelques textes haggadiques, jolis, poétiques, moraux. Viennent ensuite d'autres citations moins innocentes. Il faut prendre la peine de les vérifier pour se faire une idée de la mauvaise foi de notre auteur, et des traducteurs auquel il sr réfère ici, à l'exemple du "Stürmer".

Il ya , certes, des textes authentiques parmi ceux-là.

Rabbi Schimon bar Yohaï, exilé, puis condamné à mort par les Romains, s'est permis de dire qu'ils ne valaient pass la corde pour les pendre. La mauvaise foi de nos adversaires a fait de cette parole un principe, qu'elle a étendu contre toute évidence â l'ensemble des non-Juifs. Prouver cette mauvaise foi est aussi aisé que vain : nous ne convaincrons pas ceux qui usent de tels procédés. Mais rappelons-leur quand même que le roi Louis, le Saint, conseillait aux sien de "bouter de la dague dedans le ventre des Juifs", que le pape Urbain III accordait à tout le monde le droit "de tuer un excommunié quand on le fait par mi motif de cèle pour l'Eglise"…

Reconnaissons donc qu'il y a parmi les textes que nous reproche (!) M. de Vries, des citations authentiques. Mais nous attendons que M. de Vries nous montre une collectivité d'hommes où la perfection soit totale, où personne - quelque raison qu'il en ait - ne succombe à la tentation de maudire, d'injurier et de se venger ? Juifs, nous pouvons regretter que certains d'entre nous
n'aient su ni pu y résister. Il est sot de les accuser. Il est injuste de faire supporter le poids de leur faute compréhensible à toute une collectivité. Qui a connu les haines de la dernière guerre, qui connaît celles d'aujourd'hui a d'autres condamnations à prononcer.

Mais à côté de ces citations authentiques, rares, très rares, falsifiées seulement dans leur esprit et dans leur intention, la plupart de celles qui se trouvent dans le livre de M. de Vries sont franchement falsifiées ou même inventées sans vergogne. J'ai compté qu'en deux pages, sur douze textes, huit sont forgés de toutes pièces. Non pas par M. de Vries. Il n'a pas l'envergure
qu'il faut. Mais par ses maîtres de Iéna et de Hambourg.

Pourquoi continuer à démonter le système et à, signaler sa fausseté ? Le procédé est partout le même. Dans l'étude qui doit établir la duplicité et l'hégémonie actuelle des Juifs, ce ne sont que documents apocryphes, empruntés à des antisémites patentés. Un faux manifeste d'Adolphe Crémieux lors de la fondation de l'Alliance Israélite, des documents romanesques sur les origines judéo-américaines de la révolution bolchevique, une lettre ridicule attribuée à Karl Marx, toutes choses que nous devons à l'imagination créatrice de Mgr Jouin, de M. Ford ou d'un illustre anonyme, se retrouvent ici. N'y manquent même pas les contradictions les plus sottes. On a justement remarqué qu'après avoir tant condamné le Talmud et son esprit, M. de Vries veut bien faire une distinction entre les Juifs déjudaïsés, dangereux, et les Juifs religieux qui "désirent seulement le règne de Dieu sur la terre". Ainsi les véritables fidèles du Talmud finissent. par trouver grâce à ses yeux... Il faut que les antisémites soient en peine de trouver des raisons réelles, raisonnables, authentiques, pour s'alimenter ainsi de sornettes et de faux. Il faut que leurs "savants" soient aux abois pour se résoudre à ce misérable travail.

Après de tels prémices, on peut aisément se désintéresser de la solution proposée et de la manière dont elle est présentée…

En vérité, le livre de M. de Vries ne méritait pas une critique aussi longue. C'est un pamphlet polit, sans envergure, sans originalité, une collection de faux, d'affirmations gratuites, de pétitions de principe et même de contradictions. Et cependant, il ne faut pas dédaigner ce malheureux livre, il faut dénoncer sa pauvre texture, il faut à l'occasion prendre les textes, les discuter, les montrer sous leur jour véritable. Il le faut parce que les tempe sont propices aux sentiments, aux réactions que les De Vries et consorts veulent provoquer, parce que l'antisémitisme a besoin de raisons, quelle que soit leur valeur, pour abuser les masses, parce que le mal que peuvent faire de tels livres n'est pas nécessairement à la me-sure de leur valeur.

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Ayons confiance. Les maîtres de M. de Vries n'ont pas encore imposé au monde la vérité hitlérienne, avec son cortège de faux et son esprits simpliste.

Il n'est pas encore établi que c'en est fini de la raison et du progrès humains. M. de Vries et ses pareils ne sauraient nous donner la solution équitable et définitive de la question juive, parce que justement celte solution dépend du triomphe de la raison et du progrès humains et qu'ils ignorent. ce que cela veut encore dire. Du moins, en France, on le sait et ce n'est pas ici - en dépit de quelques hommes et de quelques livres - qu'on est près de l'oublier.

Mais signalons à M. de Vries, puis­qu'il s'érige en défenseur de la culture chrétienne, qu'il est un pays où elle est singulièrement en danger, où les prêtres sont mis au mis et les enseignements de l'Eglise revus el corrigés, où le paganisme monte... Signalons-lui qu'on y condamne la charité chrétienne parce qu'elle est d'origine juive. Signalons-lui que là il y a un beau livre à faire pour défendre la chrétienté menacée et qu'il n'aura pas besoin de faux peur faire œuvre d'historien.

René Hirschler.

Note : Raymond-Raoul Lambert (1894-1943) est le rédacteur en chef de l'Univers Israélite au moment où paraît cet article, et c'est un ami personnel du rabbin Hirschler. C'est aussi un auteur de romandes et de nouvelles. Pendant la seconde guerre mondiale, il sera le président de l'UJIF en zone Sud et sera injustement accusé de collaboration. Il périra à Auschwitz avec sa femme et ses enfants en 1943 - Retour au texte.

Source du document : BNF Gallica

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