Le 'hazen Léon BLUM de Benfeld
1895 - 1974
Rabbin Claude Heymann
Extrait de Unir Janvier Février 2008 n 240 Chevat Adar1 5768


Leon BlumLes communautés juives d' Alsace ont, du 18ème au 20ème siècles et peut-être même depuis des temps plus anciens, cultivé une particularité : la présence massive de 'hazanim ou chantres en leur sein. Le recensement de 1786 est articulièrement éclairant à ce sujet: presque toutes les lieux évoqués signalent la présence d'un 'hazan - souvent maître d'école, parfois sho'heth (boucher rituel) et/ou mohel (circonciseur) et dans certains cas exerçant également la profession de sopher (scribe). Le 'hazan est donc, souvent du point de vue religieux, un personnage incontournable. Les rabbins sont rares et le chantre reste l'interlocuteur privilégié des fidèles.

Mais la présence des 'hazan im ne date pas du 18ème siècle, cette fonction existait déjà depuis longtemps. Interrogé au moyen âge par une communauté démunie qui ne peut engager à la fois un rabbin et un chantre, Rabbi Ascher ben Ye'hiel (1250?- 1327), plus connu sous l'anagramme de Rosch, répond que le rabbin a priorité s'il est un "gadol ba-tora" - un sage réputé et capable de statuer en matière de jurisprudence religieuse -, alors que si tel n'est pas le cas, c'est un 'hazan qu'il faut choisir.

On voit bien au travers de la question posée que la communauté considère à l'époque déjà la présence d'un 'hazan comme importante et les services rendus par le rabbin et le chantre, bien que d'ordre différent, comme comparables et c'est bien pourquoi elle se sent obligée de recourir à une autorité pour trancher la question.

Un peu plus tard, Rabbi Moché Capsali (?- 1495), rabbin à Constantinople, relève encore cette particularité inconnue dans le monde sépharade, peut-être parce que la prière publique s'est toujours faite d'une manière plus collective. Laissons la parole à Rabbi Moché : "Lorsque j'étais en Aschkenaze (Allemagne) et dans la région, dit-il, j'ai vu une chose étonnante à mes yeux: on recherchait des hommes sages à la conduite particulièrement irréprochable pour assurer les fonctions de 'hazan ou de responsable de synagogue; ces 'hazanim étaient parfois même des rabbins renommés et des véritables savants". (Revue Sinaï n° 5, 1939-49, pp. 152-153).

La fonction du 'hazan possède, depuis donc ses lettres de noblesses depuis les temps les plus reculés en pays aschkenaze et il n'est pas étonnant de voir, dans un tel contexte, plusieurs générations de 'hazanim servir les communautés durant des décennies. Nous en voulons pour preuve, par exemple, ce Moïse Samuel, 'hazan à Sierentz (Haut-Rhin) en 1797 dont le fils Judel Stern, après changement de nom sous l'Empire, est ministre officiant à Colmar autour de 1862. Moïse Stern, le fils de Judel, sera successivement d'abord compositeur, fondateur et directeur du conservatoire de Colmar et terminera sa carrière à Paris comme chef de choeur de la synagogue sise rue Notre-Dame de Nazareth.

Mais nous voudrions évoquer ici le souvenir d'une autre lignée de 'hazanim d'Alsace-Lorraine.
Léon Blum est né en 1895 à Lixheim au foyer de Jacques Blum (1853-1930) lui-même chantre de cette communauté lorraine et de son épouse Delphine Rozenwald. Après son apprentissage comme cordonnier à l'école de travail de Strasbourg - ancêtre de l'O.R.T -, Léon Blum épouse Marthe Schuhl qui hérite de son père Nephtalie (1833-1904), vétéran de Solferino, un magasin de chaussures à Benfeld. Dans les années 20, il fait ses premières armes dans la 'hazanouth comme Baal Tephila - officiant volontaire - à Westhouse, petit village proche de Benfeld, localité dont la synagogue inaugurée en 1858 sera détruite pendant la seconde guerre mondiale. Westhouse possédait également une petite école juive qui ferma en 1896. Pendant cette période Léon Blum remplace occasionnellement Alexandre Weill (1886-1944) alors 'hazan en titre de la communauté voisine de Benfeld.

Leon Blum avec le Rabbin Raymond Furth
Mobilisé en 1940 il reste prisonnier pendant quatorze mois avant d'être libéré pour raisons médicales en 1942 à Annonay; il passera toute cette triste période dans cette petite bourgade. C'est sur son initiative que s'y rassemblent les quelques juifs présents en 1944 - il a en effet réussi à obtenir de la mairie un local pour y célébrer les offices de Yomim Nauroim - les Jours redoutables.

De retour en Alsace, Léon Blum est nommé le 1er octobre 1945 'hazan de Benfeld. Il y déploiera jusqu'en 1974 une intense activité d'abord durant le ministère du rabbin Edmond Weill (1878-1962) puis, à partir des années soixante, aux côtés du rabbin Raymond Furth (1934-2003).
Comme le rappelle un témoin de l'époque, Léon Blum fait preuve d'un grand "dévouement à notre jeunesse ; en effet combien de jeunes ont eu le privilège d'apprendre leur parche sous sa direction" tout en dispensant aux jeunes l'enseignement religieux nécessaire.

Pendant plus de trente années Léon Blum fit retentir le niguen - les airs traditionnels de la 'hazanouth - particulier aux juifs d'Alsace sous les voûtes de la belle synagogue de Benfeld et représente par ailleurs les membres de la communauté juive aux diverses cérémonies patriotiques tout en entretenant d'excellents rapports avec les édiles de la commune.

Il était important de rappeler le souvenir d'un membre de cette éminente cohorte qui, au fil des siècles, permit aux juifs d'Alsace de perdurer malgré les épreuves.

P.S. J'adresse de très chaleureux remerciements au Docteur Henry Blum, le fils du 'hazen Léon Blum qui m'a donné accès à de nombreux documents concernant les juifs d'Alsace et mis à notre disposition les photos publiées.


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