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Pinhas KAHLENBERG
1912 - 1980


Pinchas Kalhenberg est un ministre officiant français, d'origine galicienne (polonaise). Il est l'héritier d'une longue lignée de rabbins hassidiques. Son père, Moïse Kalhenberg, a émigré en France et il est devenu le rabbin hassidique de Metz. Ses parents et son grand-père ont été déportés pendant la guerre, et assassinés à Auschwitz. Son frère aîné Marc Kalhenberg a été rabbin à Belfort puis à Bruxelles.
Pinchas Kalhenberg commence sa carrière de 'hazan (chantre) à Bionville en Lorraine, puis il s'établit à Bruxelles avant la deuxième guerre mondiale; où il est. nommé Premier ministre officiant de la Grande Synagogue de Bruxelles. Il est aussi aumônier de la Société d'Inhumation, aumônier des Hôpitaux, aumônier des Prisons, et aumônier en chef du Culte israélite auprès de l'Armée belge. A l'occasion de l'anniversaire de ses quarante années de services, il a été décoré des insignes de l'Odre de la Couronne.
En dehors de ses activités liturgiques et communautaires, c'était un artiste reconnu dans les domaines du dessin, de la peinture, et surtout de l'aquarelle, et ses oeuvres ont été montrées dans plusieurs expositions.

Au service du Judaïsme et de la Communauté
Quelques souvenirs, anecdotes et réflexions par l'Aumônier P. Kahlenberg
Extrait d'une brochure éditée par la Communauté Israélite de Bruxelles à l'occasion de ses 40 ans de service
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Il est vrai que le nombre 40 ne se prête pas aux fêtes de jubilés, bien qu'il soit souvent associé aux événements importants de l'histoire biblique, comme les 40 années dans le désert, les 40 années de paix entre une g,!uerre et l'autre, et les 40 années de règne de plusieurs juges et rois. Aussi n'avais-je pas songé à marquer cette date. L'idée du concert organisé à l'occasion de mes 40 années de sacerdoce dans la Communauté bruxelloise, est exclusivement celle du distingué Président de la Communauté Monsieur Roger Lévi. J'y suis très sensible et reconnaissant. Mais n'étant pas certain d'atteindre le 50ème jubilé, je saisis cette occasion pour partager avec les membres de notre Kehilla, avec les fidèles de notre Synagogue, quelques souvenirs, anecdotes et réflexions, amassés durant les 40 années de ma carrière à Bruxelles et en Belgique en général.

D'abord quelques mots sur ma "vocation" de consacrer ma vie à la liturgie et au judaïsme qui a commencé pour ainsi dire dès les premières heures de ma venue au monde. Mon grand père paternel, en mettant alors un doigt dans ma bouche, s'est écrié paraît-il "il sera un 'hazan, car son palais est profond ! »

Ma carrière était donc toute tracée, si on ne voulait pas contrarier la prophétie de mon grand père. Aussi, tout petit, je commençais à me préparer et à m'exercer pour ce futur ministère, en mettant un drap blanc, faisant fonction de talith, et en chantant le Lekho-Dodi et le Kidoush, imitant le 'hazan de la Choule. C'était un célèbre officiant d'une grande Synagogue, et dès ma septième année je faisais partie de la chorale, de laquelle sont sortis des 'hazanim très connus. Je remercie l'Eternel de m'avoir permis, dès mon enfance, d'entendre les plus grands 'hazanim de l'époque, de sorte que mon oreille, ma voix, mon goût hazanique ont pu se former auprès de tels grands officiants, et d'avoir eu l'avantage d'étudier avec d'excellents professeurs au Conservatoire. Habitué à chanter et à officier dans de vastes synagogues, je ne fus pas saisi de frayeur, lorsqu'en montant pour la première fois la Rue Royale, j'ai pris le Palais de Justice pour la Choule ... Mais toutefois - comme je l'ai déjà écrit - je fus quand même content de constater mon erreur, en m'approchant de la rue de la Régence.

Ma vocation fixée depuis mon enfance, j'y fus préparé de la meilleure manière par mes parents, par mes études, par l'ambiance et l'atmosphère de la maison, où il me fut donné de vivre un judaïsme chaleureux, spirituel, hospitalier, plein de joie et d'humour.

Dans notre foyer, où furent reçus des rabbins hassidiques, et mitnagdik, de célèbres magidim - orateurs et talmudistes, des leaders sionistes, mizrahistes et ceux de tous les partis, je fus très jeune initié à connaître le monde juif dans toutes ses couleurs, dans toutes ses facettes De toutes ces personnalités qui se succédèrent dans le cabinet rabbinique de mon père, j'ai entendu et appris beaucoup de choses qui m'ont été très précieuses plus tard dans la vie juive communautaire.

Le Rabbin Moïse Kahlenberg
8 septembre 1883, Pologne -1942 Auschwitz
Rabbin hassidique de Metz

Très tôt je fis connaissance du Hassidisme si attachant par les livres que mon père me donnait, mais également en voyant de près les célèbres Tsadikim. J'ai pu observer et vivre leur hitlahavouth, l'extase hassidique, et entendre et voir les paroles et les manières qui étaient différentes de l'un à l'autre.

J'ai vu ainsi des rabbins azkenazes, sépharades, polonais, alsaciens, allemands, français, enfin presque tout l'éventail du judaïsme d'alors, qui foisonnait en Europe entre les deux guerres. Les mots d'esprit et d'humour de ces princes de la spiritualité juive, furent ma nourriture quotidienne. Cette éducation pratique en plus de la théorie scolaire, m'a formé et m'a beaucoup aidé dans ma carrière. Ainsi rien ne m'est étranger ; tous les mouvements juifs depuis le Bound à l'extrême-droite, les rites et les mélodies azkenazes et sepharades, les tendances des libéraux aux plus orthodoxes me sont connus. Et partout il y avait quelque chose à apprendre, à glaner comme l'affirment les Pirké-Avoth : "Mikol melamday hiskalti", "de tous mes maîtres j'ai pris des lumières".

Mon père, rabbin orthodoxe, était très tolérant, très humain, très ouvert aux problèmes de la vie et de l'existence, et jamais je ne l'ai entendu proférer un mot méchant contre les juifs "pas assez froum" ou contre les haloutsim des kiboutsim, les pionniers qui asséchaient les marais. Il vénérait particulièrement le Rav Kook, mais aussi Jabotinsky. Je n'oublierai jamais cette scène à Metz, lorsque Jabotinsky devant des milliers de juifs, embrassa mon père à la suite du discours d'accueil qu'il avait fait en l'honneur du grand leader sioniste.

Toute ma jeunesse a ainsi baignée dans cette chaude ambiance de tolérance, de "Ahavath-Yisroël", me permettant d'être ouvert au monde, aux hommes de bonne volonté d'où qu'ils viennent. Dans la bibliothèque que mon père m'avait acheté lors d'une rare occasion, se trouvaient des livres des grands penseurs, philosophes et écrivains juifs, des centaines de volumes que j'ai lus et étudiés l'un après l'autre.

Cette ambiance d'études et de lecture m'ont amené à apprécier les beautés spirituelles et morales d'un rabbin comme Léo Baeck, comme celles du grand rabbin d'Israël Herzog. Aussi je n'aime pas les "lanceurs d'anathèmes" car même le très "froum" est un "goy" pour un plus orthodoxe !

Le Grand Rabbin Herzog et le Prince régent Charles

Lors de sa visite en Belgique, le Grand Rabbin Herzog eut des pourparlers avec le Cardinal Van Roey concernant les enfants cachés dans les cloîtres durant la dernière guerre. Il a eu une audience prolongée chez le Prince-Régent. Rabbi Herzog nous a longtemps parlé en des termes très élogieux du Prince, de sa profonde compréhension pour les problèmes qui se posaient au judaïsme après-guerre. Il louait beaucoup sa perspicacité, son intelligence et sa vaste culture.

Les grands moments dans ma vie communautaire

Parmi ces moments, je compte chaque office lorsque je me trouve sur la Téva. Ceci explique pourquoi j'apporte à chaque office une attention religieuse et musicale toute spéciale. C'est aussi une des manières d'exprimer ma reconnaissance à l'Eternel qui m'a fait survivre à la guerre. Cela me rappelle le grand leader sioniste le Rabbi Abba Hilel Silver, qui en 1958, après l'office du vendredi soir, me dit :
- Comment pouvez-vous officier avec tant de solennité devant si peu de fidèles (c'était pendant les vacances d'été) ? Moi, je ne pourrais pas faire un sermon dans de telles conditions.
- C'est vrai Rabbi , lui dis-je : vous parlez tourné vers et pour les fidèles, tandis que moi, j'officie tourné vers l'Arche sainte et pour Dieu !"
... Et au Rabbi Silver de mémoire bénie, de me répondre en riant : "Vous avez raison ! .."

A chaque office je m'efforce de faire partager aux fidèles, la ferveur, la grandeur du moment où nous nous adressons au Père Céleste, et j'essaye de les associer à tous les fidèles réunis dans les maisons de prières de par le monde, pour former une Communauté en proclamant le "Chema Israël" qui nous unit tous à travers le temps et à travers l'espace. Aux grands offices de Roch Hachanaet de Kippour, au Yiskor pour nos martyrs et nos morts, en voyant la synagogue pleine de fidèles, je "vois" en même temps les juifs, qui de génération en génération, malgré les pogroms, les affreuses persécutions, sont restés fidèles au judaïsme. Je pense à nos parents décédés, aux martyrs des Camps, et envahi par ces souvenirs je porte les prières devant le "Trône céleste". Durant l'Avinou Malkénou ( le soir de Kol-Nidré et au Neila à Kippour, je suis envahi par les larmes, surtout lors des versets où nous invoquons les martyrs morts "al Kidoush-Hashêm". Comme mes parents, comme la plupart des parents de nos fidèles, ils ont prié et chanté Avinou Malkénou. Il en est de même lors de l'El molé-Rachamim à Malines, au Mémorial juif, à Breendonck, aux cimetières militaires à Henry-Chapelle, à Condroz, où de nombreuses stèles s'ornant de l'étoile de David, veillent sur le repos des jeunes soldats alliés, tombés pour notre liberté et pour l'indépendance de la Belgique.

L' El molé-Rachamim devant S. M. le Roi à Bastogne

Ceci m'amène à évoquer la grande cérémonie du 25èrne anniversaire de la libération à Bastogne devant S.M. le Roi, les plus hautes autorités du pays et d'une immense foule. En raison de la fête de Soukoth, je n'ai pu m'y rendre pour réciter et chanter les prières. Mais grâce aux moyens techniques modernes, j'y fus présent par un enregistrement fait par l'Armée, et j'ai pu, grâce à la télévision voir combien le Roi et toute cette immense assemblée autour du Mémorial étaient émus quand l'El molé-Rachamim s'éleva vers le ciel à Bastogne, là où fut brisée la dernière attaque de la bête nazie, au prix de grands sacrifices des soldats américains et alliés.

La Reine Élisabeth

Portrait de Sa Majesté La Reine Elisabeth dessiné par Pinkas Kahlenberg pour le Home "Heureux Séjour"
Des grands moments dans ma vie, furent incontestablement l'auguste amitié dont daigna m'honorer l'incomparable Reine Élisabeth. En dehors de l'amitié artistique, la Reine excellait avec une réelle maîtrise dans les domaines de la musique, de la sculpture et de la peinture. C'est son amour pour Israël et le judaïsme qui fit qu'elle me reçut durant des années à Stuyvenberg et à Ostende. Elle m'invita à sa table, et elle avait la royale gentillesse de faire servir des mets cacher (24), qu'elle mangeait elle-même avec beaucoup d'appétit. Cette table fut un véritable " Mizbath" , tellement élevée était sa conversation, Ses préoccupations, son esprit, ses idées et ses projets au service de la fraternité et de la paix. La Reine nous faisait également l'insigne et auguste honneur de venir dans notre maison.

Elle lisait beaucoup, et tous les livres que je lui apportais, furent lus par la Reine dans tous leurs détails, de sorte qu'elle connaissait bien le judaïsme, le sionisme, le hassidisme; Buber, Shalom Aleychem, Abraham Heschel et André Neher parmi beaucoup d'autres. Bien que d'apparence frêle, la Reine avait une endurance physique extraordinaire : ainsi elle monta en 1958, les escaliers menant au Parthénon d'Athènes. Lors d'une de mes expositions, je Lui avais présenté Monsieur Louis Gros le vice-président de notre Communauté. Dix ans plus tard, à une nouvelle exposition, la Reine alla vers lui en le saluant par son nom !

C'est avec une réelle joie que la Reine est venue à plusieurs reprises dans notre Synagogue pour honorer Israël, le Consistoire central Israélite de Belgique, le Judaïsme. Son auguste présence à mon 25ème jubilé sacerdotal donna à cette fête une solennité prestigieuse et inoubliable. Combien grande et agréable fut ma surprise, lorsqu'en rentrant après la lecture de la Meguilla un soir de Pourim, j'ai trouvé une magnifique sculpture, œuvre de la Reine. qu'elle m'avait envoyée comme "mischeloa'h manoth" !

Bien que Royale dans tout son être, elle avait une simplicité bien à elle qui consistait à vous mettre très à l'aise de sorte que la conversation avec la Reine était empreinte de cordialité, de spontanéité, d'espièglerie même et d'humour. Sa voix était très douce, d'un timbre chaud un peu voilé, avec un accent bien à elle, rendant ses paroles encore plus délicieuses. Pas un brin de raideur germanique.

Dans la maison Wittelsbach soufflait un vent du sud d'Italie... Elle me raconta souvent des anecdotes amusantes sur sa maison natale, sur ses parents. Cette Reine frêle apparemment, savait, quand il fallait, commander et être très énergique et très volontaire. J'en ai été témoin à plusieurs reprises. L'occupant allemand le savait et la respectait pour son grand courage. Israël, le judaïsme durant leur histoire, ont rarement connu une amie fidèle, telle que la Reine Élisabeth.

La ré -inauguration de notre Synagogue restaurée

La ré inauguration après la guerre, de notre Synagogue restaurée, brillante de ses nouvelles lumières offertes par le regretté administrateur Monsieur Philippe Schindler, l'introduction solennelle des Sepharim par le président et les membres du Consistoire et de l'administration de notre Communauté ; le dévoué vice-président, Monsieur Louis Gros, la belle ordonnance de la cérémonie, en présence d'une très grande assistance, reste profondément gravée dans ma mémoire ainsi que tous -ceux qui ont contribué à cette restauration si réussie, parmi lesquels il faut rappeler le secrétaire général de notre Communauté Monsieur Simon Grunblatt qui veilla à la bonne exécution des travaux avec compétence et dévouement.

Avoir eu l'honneur d'officier aux inaugurations des synagogues dans plusieurs pays, comme recevoir des mains du chef chaplain à Washington, l'insigne d'Honneur de l'Aumônerie américaine pour mes efforts en faveur de l'Amitié entre les trois cultes, comptent également parmi les beaux moments de mon sacerdoce.

En officiant dans les grands Choules de Paris - Londres -New York - Jérusalem et Tel-Aviv, j'espère avoir contribué à la renommée de ma Communauté. A Tel-Aviv, l'employé de la poste refusa d'accepter mon argent lorsqu'il vit mon nom à la fin du télégramme : "votre Kidoushà l'émission de Kabalath-Shabath me l'a déjà payé". Pareille appréciation ne peut arriver qu'en Israël.

Avec l'arrivée des réfugiés allemands, puis de ceux d'Autriche, le nombre des membres et des fidèles augmenta. Ils s'adaptèrent très vite aux coutumes et minhoguim de notre Synagogue, qui leur étaient familiers par le répertoire liturgique. Les mélodies de Lewandowski et de Sulzer que je chantais, leur plaisaient, et ils m'ont prodigué des marques de sympathie bien touchantes. Dans le petit livre de Mischebérakh , que mon vénéré et si cher prédécesseur Monsieur Joseph Weill m'avait donné, je lis encore les noms de ces Balebatim appelés à la Torah.

Notre communauté d'alors était encore imprégnée du souvenir du prestigieux résident Franz Philippson, très connu dans le pays et dans le monde juif. En tant que fils de rabbin, il connaissait le judaïsme, les institutions, les joies et les peines d'une Kehilla, pour ainsi dire, intimement. Son amour de la Synagogue se lit encore aujourd'hui sur certains objets offerts à la Choule.

Ses fils Maurice et Jules suivirent la trace de leur illustre père, peut-être pas dans les mêmes dimensions, car l'époque n'était plus la même. Ils venaient souvent assister aux offices shabatiques. Monsieur Jules Philippson aimait discuter sur un texte biblique, sur les minhoguim qu'il connaissait bien. Je n'oublierai jamais les imposantes funérailles qu'on fit à Monsieur Maurice Philippson, président du Consistoire. L'élite du pays, tant financière que littéraire et artistique était présente comme pour des funérailles nationales. Durant la shiva on fit chaque jour des prières et j'avais la redoutable tâche de faire le "lernen". Bien que très jeune, je pense m'en être bien acquitté, à en juger par les aimables paroles que Madame Maurice Philippson, en me remerciant, m'a adressées.

Notre Communauté avant-guerre

L'aspect de notre Kehilla d'avant guerre, était bien différent de celui d'aujourd'hui. La majorité des membres et des fidèles était d'origine hollandaise, alsacienne ou allemande. Les russo-polonais étaient en minorité. Les juifs de l'Est appelèrent d'ailleurs notre synagogue : la Hollendische Choule ! Je me demande pour quelle raison, puisque à ma connaissance,aucun sermon rabbinique, aucune prière n'y furent prononcés en langue néerlandaise. Peut être qu'au début, les juifs d'origine hollandaise étaient les Balebatim les plus nombreux, cela me semble possible lorsqu'on lit sur certaines listes les noms des bienfaiteurs et des donateurs.

Les membres de l'Administration de notre synagogue portaient le chapeau haut-de-forme durant les offices du samedi et des fêtes, et à Rosh-Hashana et Kippour, même l'habit (le Parness, Monsieur Edmond Roos avait vraiment fière allure). C'était vraiment très solennel. Les fidèles parlaient peu. M. Henkart, le bedau à l'imposante stature, avec sa chaîne argentée sur la poitrine et la canne ciselée dans la main, leur imposait-il le silence, ou était-ce le respect du lieu ?

Le dimanche suivant le 10 téveth, la Société d'inhumation de notre Communauté organisait chaque année un office commémoratif en souvenir des membres disparus. Cet office fut remplacé après la guerre par leYiskor aux trois fêtes de pèlerinage et qui amène chaque fois de nombreux fidèles à la Synagogue.


Lecture de la Torah
Aquarelle de Pinhas Kahlenberg

Notre Talmud-Torah, rue Joseph Dupont, dispensa des cours de religion à de nombreux élèves, puisqu'à part les Athénées de Bruxelles et d'Ixelles, aucun autre Athénée n'avait un professeur de religion israélite. Le pacte scolaire n'existait pas alors. Nous étions six professeurs pour donner les cours rue Joseph Dupont. Chaque année, le dimanche avant Shavouoth avait lieu la cérémonie de l'initiation religieuse pour les jeunes filles et garçons. Des années après la guerre, nous avons introduit la bath-mitsva, cérémonie émouvante, mais qui est restée très restreinte par le nombre des participantes, car il est difficile de faire revivre une tradition qui fut abandonnée durant de nombreuses années ; d'autant plus que les professeurs de religion, enseignant actuellement dans les écoles et athénées n'encouragent pas leurs élèves à célébrer la bath-mitsva.

Le grand rabbin de Belgique Joseph Wiener, originaire d'Alsace, sortant du séminaire réputé de Breslau, formait la synthèse d'un rabbin consistorial et d'un Rav, puisqu'il fut durant de nombreuses années rabbin à Anvers où il avait eu l'occasion de se familiariser avec le judaïsme de l'Est. Aussi une page de Talmud avec les commentaires lui était familière. Ses interventions en faveur des réfugiés auprès de la police des étrangers étaient efficaces.

Comme je l'ai déjà mentionné, c'était l'époque terrible du règne du nazisme au delà du Rhin, et les forces vives du judaïsme belge étaient accaparées et confrontées avec le problème angoissant du sauvetage des juifs d'Allemagne et d'Autriche. La figure centrale de cette grande mission historique fut Monsieur Max Gottschalk, aidé par un comité. Son prestige dans le pays en général, et auprès du gouvernement belge, était très grand. L'épopée du bateau tragique Saint-Louis est connue dans le monde entier. C'est grâce aux efforts que Monsieur Max Gottschalk, a entrepris auprès du ministre de la Justice Monsieur P. H. Janson, que les malheureux réfugiés - qu'aucun pays ne voulait accepter - purent trouver une terre d'accueil en Belgique.

C'est une noble page dans l'histoire de la Belgique, comme dans celle de la vie juive publique de Monsieur Max Gottschalk. Je me souviens de l'arrivée des enfants dans la Maison, rue Joseph Dupont. Nous avions envie de pleurer, mais nous souriions toujours. Je chantais et racontais des histoires drôles pour égayer leurs premiers moments parmi nous. Il y avait parmi eux de magnifiques enfants beaux et intelligents, qui, je l'espère, ont pu échapper plus tard au génocide, pour se créer une vie heureuse partout dans les pays où le sort les a menés.

Pour aider les réfugiés à s'adapter à leur nouvelle vie en Belgique, toute une maison rue de la Caserne fut vouée à cette mission. Des cours de langues, des conseillers juridiques et sociaux s'y trouvaient ; des soirées récréatives, puis des fêtes y furent organisées auxquelles je prêtais mon concours. Les sionistes ne voyaient pas cette maison avec trop de sympathie. Ils avaient la leur rue Fossé-aux-Loups où il y avait également un grand restaurant avec un menu relativement bon pour un prix très modique. Madame Rubinstein, au cœur d'or, y régnait. Un réfugié allemand, devenu après guerre un grand industriel et un grand donateur de la Centrale, me rappelait chaque fois qu'il me voyait, ce menu à 3 francs.

A Pessah, il y avait plusieurs grands Séder. L'un, bleu-blanc, rue Fossé-aux‑Loups, l'autre, rue de la Caserne. Je prêtais mon concours aux deux. Heureusement pour moi, les deux rues ne sont pas éloignées l'une de l'autre. Chez les sionistes régnait une ambiance hassidique, Et avec Itshak Kubowitzki nous chantions des refrains enthousiastes, tandis que rue de la Caserne, les réfugiés m'accompagnaient dans les airs traditionnels que connaissent les juifs de l'Ouest.

Dans le Centre communautaire rue de la Caserne, David Scheinert organisa la première exposition d'Artistes juifs où je participais avec plusieurs œuvres.

Mes relations avec les communautés orthodoxes (il y en avait plusieurs) et surtout avec le Rabbin Sagalowitch de la Mahziké-Hadass furent empreintes de beaucoup de chaleur et d'amitié. Lors de différentes circonstances, il m'invitait à officier dans sa choule, rue de la Clinique. Même le Rabbi hassidique de Nicolayev tint à ce que le 'hazande la Grande Synagogue prête son concours à sa fête de Simhat-Torah. On venait de loin pour voir danser ce Rabbi pendant les hakaphotes qui duraient tard dans la nuit. Son hitlahavouth, son extase religieuse, l'agilité de ses mouvements, étaient extraordinaires. Même à Méa Shearim à Jérusalem, le n'ai vu danser de telle façon.

Les nuages noirs s'amoncelaient au-dessus de nos têtes; la guerre menaçait d'éclater chaque jour, mais on continuait de discuter inlassablement, on faisait du pilpoul et on dansait, on dansait en somme sur un volcan !

Le 10 mai 1940

Et le volcan explosa. Pourtant ce fameux vendredi matin j'allais circoncire un fils d'un balebos. On buvait et on se souhaitait "Léhayim " malgré le bruit affreux des bombes lancées par les avions allemands.

Ce bébé est devenu entretemps père de famille, et ses parents sont des membres fidèles de notre Communauté. Nous évoquons souvent ensemble cette brith-mila historique. Ce même fameux vendredi, près du Sablon, je faillis être lynché par la foule, lorsque des malheureux réfugiés juifs allemands, tassés sur un camion qui les amenait au Commissariat de Police, me firent des signes pour leur venir en aide. Je fus aussitôt cerné par un groupe de passants qui me prirent pour un espion de la 5ème colonne, et certains levaient déjà leurs poings pour m'abattre. Heureusement, les gendarmes plus calmes, me protégèrent, et en quelques instant, ils purent constater qu'ils avaient devant eux seulement le ministre officiant de la Synagogue, rue de la Régence, et non pas un "grand espion nazi".

Ce même soir à la Choule, c'était plutôt Ticha-beav. Beaucoup de fidèles et des membres de l'administration de notre Synagogue ne se trouvaient plus à leurs places. C'était le sauve qui peut. C'est en bicyclette - les trains ne circulaient plus -, faisant des étapes de 150-200 km que j'arrivai à Bordeaux où mes parents étaient évacués avec des familles de leur communauté messine.

Notre Communauté après la guerre - le chofar retrouvé

En dehors de notre splendide synagogue, heureusement préservée pour notre grand bonheur, le chofar fut le seul objet que j'ai retrouvé lors de mon retour à Bruxelles tout au début de 1945. Le revoir me fit plaisir, car depuis mon enfance je sonne sur ce chofar que mon père m'avait offert. J'ai de suite sonné quelques tekios bien que le mois d'eloul fût encore loin - car je voulais me rendre compte si je savais encore m'en servir. Et ces tekios sonnaient clairement et fortement comme avant. C'était un heureux présage. Avec des efforts et de la volonté, me dis-je, on pourra faire revivre notre Communauté et la relever des ruines causées par la terrible catastrophe.

Beaucoup de ceux qui sont partis en mai 1940 pour la France ont été déportés et les autres plus heureux, qui ont trouvé refuge dans les pays libres, ne sont pas de suite revenus, ou ils y sont restés définitivement. Mais petit à petit, avec tous ceux qui sortirent de leurs cachettes, de leurs lieux de refuge, ou qui revenaient des champs: de batailles (on était si heureux de retrouver des visages connus des Balebatim et des administrateurs d'avant-guerre) on s'est mis au travail, et le travail ne manquait guère.

Avec l'infatigable Rabbin Berman plein d'énergie et d'idées, soutenu par l'administration et le secrétariat, la Communauté renaissait. Les partitions musicales étant disparues, j'ai réécrit la musique pour les chœurs, et les offices reprirent de nouveau le Shabath et les fêtes dans notre Synagogue. Maître Raymond Moulaert, notre organiste depuis de longues années, homme exquis et grand musicien, nous aida beaucoup dans la restauration du répertoire musical.

De nombreux offices se succédaient tantôt pour des commémorations qui étaient hélas très fréquentes : pour les soldats alliés tombés au champ d'honneur et Dieu en soit loué, pour la Victoire remportée sur les nazis. Il y eut des services solennels pou F.D. Roosevelt et pour d'autres grands chefs alliés. Beaucoup de soldats anglais et américains remplissaient notre synagogue pendant les derniers mois de la guerre et de suite après. Pour ces soldats, Madame J May et un Comité des dames firent des merveilles dans le foyer, rue de la Caserne. Le Chaplain américain Gorelik, en apportant quantités de sidourim, talétim, Houmashim et des friandises pour les enfants, rendit de grands services à notre Communauté.

Avec le Rabbin Berman nous rétablissions notre Talmud-Torah, et beaucoup d'élèves remplissaient les classes rue J. Dupont de leurs voix juvéniles. Nous organisions des bar mitsva collectives avec les jeunes qui sortaient des cloîtres et des fermes, connaissant plutôt le credo chrétien que le Chema. J'allais d'un home de jeunes à l'autre pour la préparation de ces bar mitsva mais voir leur bonne volonté, leur joie de réintégrer la religion de leurs parents, qui, pour la plupart, étaient morts à Auschwitz, nous récompensait de notre labeur.

Tous les mouvements juifs qui se reconstituaient petit à petit, m'appelaient pour enseigner et diriger leurs chorales et pour les aider à organiser leurs fêtes. Rue de la Régence avait aussi son groupe de jeunes, ses oneg Shabath pour lesquels le Rabbin Berman avait créé avec moi un livret spécial. Nous avions même une équipe avec laquelle j'ai joué au football, au volley-ball et au ping-pong durant des années.

Je fus très actif dans les mouvements sionistes, et beaucoup d'entre leurs adeptes abandonnèrent leurs préjugés envers la Synagogue rue de la Régence en devenant membre et même administrateur de notre Communauté. Dans la Synagogue on entendit avec la Brabançonne, la Hatikva, et cela déjà du temps du Rabbin Berman qui "avait tiré les leçons de la catastrophe" et qui avait même abandonné son "chapeau de curé" pour une toque, longtemps avant les rabbins en France.

L'aspect de notre Communauté, de la Synagogue, a changé par les suites de la guerre. Certains de l'ancienne génération le regrettent peut-être, mais la grande majorité des fidèles est contente de cette chaleur religieuse et populaire qui y règne. Bien que les grandes fêtes gardent toujours leur solennité, les fidèles comme le 'hazan se réjouissent de pouvoir associer leur voix durant certaines prières à Roch Hachana et Kippour. Avoir contribué par les offices à unir nos coreligionnaires, bien qu'appartenant à des origines diverses, me réconforte, comme la réussite de l'idée de faire les fêtes de Hanouka et de Pourim à la Synagogue même. Le grand rabbin Dreyfus y était favorable, et je tiens à rappeler ici combien notre collaboration fut fructueuse et empreinte de cordialité durant les années, pendant lesquelles il fut le Rabbin de Bruxelles.

Avant guerre, chez nous et partout ailleurs, ces fêtes eurent lieu dans des salles, des théâtres, de sorte que les jeunes croyaient que la synagogue est surtout un lieu où on prie dans les circonstances tristes, et où l'on vient dire le Kadisch. En organisant ces fêtes avec la participation des élèves, qui présentent eux même les évènements de Hanouka, de Pourim sur l'Autel, je désirais surtout les associer à la vie de la synagogue.

Dès la première fois en 1947, cette initiative connut un grand succès auprès du yichouv bruxellois, et la dernière fête de Hanouka dans une synagogue archicomble comme à Kippour, en est l'illustration vivante et réconfortante. D'autres Communautés, en France et ailleurs, suivent notre exemple.

Les moments les plus marquants pour moi, comme certainement pour tous nos coreligionnaires - après les terribles angoisses que nous venions de vivre - furent les services d'actions de grâces, célébrés dans notre Synagogue pour les victoires remportées en 1967 et en 1973 par les vaillants soldats d'Israël.

Les revers de la médaille

Cérémonie de Bar-Mitswah à la Grande Synagogue de Bruxelles
Quarante années de vie communautaire avec ses joies, ses satisfactions, avec les amis qu'on s'est créés, amène inexorablement sa moisson de peines et de larmes. On voit disparaître successivement des membres, des fidèles, qu'on voyait chaque samedi à la Choule, et auxquels on était très attachés, et des amis précieux s'en vont pour l'Éternité. Leur vide dans la synagogue et dans le cœur est difficile à combler.

Des centaines et des centaines de ces chers êtres reposent dans les cimetières. Avec infiniment de tristesse je lis leurs noms sur les matsévoth. Les cimetières de Dilbeek et de Kraainem, que j'ai vu inaugurer sont presque remplis.

La coupe des peines est pleine quand on reste tant d'années dans la même Communauté. Trop souvent on est confronté avec des cas terribles, des accidents affreux, des morts de jeunes, de l'enfant unique, jetant les familles dans le deuil et le désespoir. Et il faut consoler, réconforter: ce sont des moments très durs, très pénibles. Cette grande mitsva de "menahém-avélim" je crois l'avoir accomplis avec cœur et compassion.

Dans l'exercice d'aumônier des hôpitaux, il m'est arrivé de voir beaucoup de misères et de malheurs, et je n'oublierais jamais, entre autres, cette vieille dame mourante, toute seule sans famille auprès d'elle, et pour laquelle l'hôpital Brugman m'a téléphoné à deux heures de la nuit. En entendant ma voix, elle a ouvert ses yeux et avec le sourire d'une vieille yidische mammê, elle murmura en yidisch : "merci d'être venu, j'ai souvent entendu votre voix à la radio..." C'étaient ses dernières paroles avant de s'endormir quelques instants plus tard pour l'Eternité. Ma femme était à côté de moi, et ensemble nous avons pleuré ; c'étaient des larmes d'émotion d'avoir pu par notre présence, adoucir les moments suprêmes d'une yidische mammê.

Comme je n'oublierai jamais l'extraordinaire exemple de foi religieuse de l'un de nos grands fidèles sur son lit de souffrance. Il y a des hommes qui savent vivre religieusement, mais ne savent pas mourir religieusement, et dont la foi, la confiance en Dieu se brise sur le lit de souffrance. Par contre, il y a des hommes qui savent mourir comme un vrai tsadik, avec une croyance absolue dans la bonté du Père Céleste. Cette bouleversante et véridique foi en Dieu, je l'ai vécu auprès d'un des fidèles de notre Synagogue qu'on appelait le "Cohen gadol". "Mourir saintement" me fut donné de lire dans des contes hassidiques, mais le voir dans la réalité, est autrement impressionnant, et même réconfortant dans un certain sens.

Fréquenter les hôpitaux, voir des misères et des souffrances qui n'épargnent ni les riches ni les pauvres, ni les puissants ni les faibles, m'a fait bien comprendre à sa juste valeur, la prière quotidienne que nous récitons avec solennité à Kippour : - Que sommes nous? Qu'est notre existence, notre vertu, notre grandeur et notre puissance. Devant Toi Seigneur, les héros sont des fantômes, les hommes célèbres des ombres, les savants manquent de savoir et les hommes intelligents n'ont pas d'intelligence"

Mes élèves

Pendant ces quarante années, j'ai eu de nombreux élèves auxquels j'ai essayé de mon mieux d'inculquer l'amour du judaïsme. Dispersés souvent aux quatre coins du monde, je ne pourrais dire combien fréquentent une Synagogue. Mais ce que je peux affirmer, c'est qu'aucun d'eux à ma connaissance, ne s'est "geschmatt" - ne s'est converti. Certains parmi mes anciens élèves sont devenus même très orthodoxes.

Par une sorte de sondage que j'ai fait, lorsqu'ils accomplissent leur service militaire, il s'avère qu'ils ont gardé une fierté juive. Ils se souviennent avec plaisir des cours et de la préparation à leur bar et bat mitsva. Ils fredonnent encore les airs, les chants de certaines prières et textes. Il y en a parmi eux qui sont déjà grand père et grand mère, et il m'est arrivé souvent de célébrer avec beaucoup d'émotion le mariage de leurs enfants, et même de préparer leurs petits-fils à la bar mitsva. Certains sont des membres actifs, des dirigeants des mouvements juifs, et même des communautés au Canada, au Brésil, en Argentine, en Israël et même en Belgique !
"Vous n'avez pas changé" me disent-ils pour me faire plaisir... Peut-être, en restant avec et auprès des jeunes, vieillit-on moins vite ?...

L'Aumônerie militaire

Pinkas Kahlenberg (képi) avec un groupe de soldats Juifs à Cologne
Depuis mon entrée à l'Aumônerie militaire, je veille à ce que nos coreligionnaires faisant leur service militaire, puissent observer les devoirs religieux de notre Culte. Rencontrant auprès des hautes autorités militaires une compréhension sincère et même de la sympathie pour l'accomplissement de ma mission, j'ai pu obtenir des améliorations dans l'application des règlements militaires en faveur de l'observation du culte.

Pour se familiariser avec notre religion et ses lois, les commandants des écoules et des unités m'invitent à faire des exposés. Mes relations avec les Aumôneries catholique et protestante sont excellentes et empreintes d'amitié. Mes anciens élèves et les miliciens en général me voient avec plaisir à la caserne, car il y a toujours quelque chose à confier et à demander à un aumônier, et en général, les chefs de Corps prennent en considération l'avis d'un aumônier.

La rédaction et la mise en page, depuis plus de vingt ans de notre bulletin, m'occasionne parfois les soucis que connaissent tous les rédacteurs désirant faire sortir régulièrement et à temps leur revue. Mais, faire paraître les articles si intéressants et au style élégant du Rabbin de Bruxelles et ceux d'autres éminentes personnalités, et savoir qu'ils sont attendus et lus chaque fois avec plaisir, me récompense de mes efforts.

Les quarante années vécues à Bruxelles et en Belgique, m'ont donné la grande joie de rencontrer des hommes de grande qualité de cœur et d'esprit dans les différentes sphères de la société belge. Des évêques, des prêtres, des pasteurs, des ministres, des officiers, des artistes, des hommes de toutes professions, méritant de porter le titre de "Hassidé oumoth ha-olam" et qui ont témoigné, pendant et après la guerre, de leur amitié agissante pour nos coreligionnaires, ainsi que pour Israël. En dehors de ceux que tous connaissent comme Camille Huysman, Théo Lefèvre, l'Abbé André , auquel le Rabbin de Bruxelles a rendu dans Kehilaténou un si vibrant hommage, il y a de nombreux hommes et femmes qui ont fait et font beaucoup de bien pour Israël.

Avec le tant regretté Théo Lefèvre, qui m'honorait de son amitié, il m'arrivait souvent de parler du judaïsme, d'Israël, qu'il connaissait profondément. Un soir, il me téléphona en me disant en riant, qu'il vient de faire un pari avec une personnalité juive, sur un texte du Tanakh, et il voulait savoir s'il avait bien parié. J'étais content pour lui, mais honteux pour le perdant. En Théo Lefèvre nous avons perdu un très grand Ohév Israël, et sa perte pour le judaïsme est irréparable, car il n'était pas seulement un véritable ami de la terre d'Israël, mais également de la "Torath-Israël". Souvent il me disait combien il était regrettable que les responsables israéliens négligent l'enseignement de la Torah.

Des justes et des bons partout

Pour toutes ces raisons, je suis un adepte convaincu de l'amitié avec les croyants d'autres religions. En se parlant, en se rencontrant, on se connaît mieux et on abandonne souvent les préjugés si néfastes du passé. "Il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas" dit déjà le Talmud. C'est ensemble avec tous les hommes de bonne volonté et de partout, que nous pourrons bâtir un monde meilleur ici bas, sans trahir notre propre génie, notre propre âme. C'est le but du messianisme juif qui culmine dans la fraternité et dans la Paix Universelle.

Participer au concert mémorable Halélouya (organisé par le Bnai-Brith et le Service Social Juif) avec les chanteurs catholiques et la chorale protestante ; chanter ensemble au début et à la fin les Psaumes dans la langue du Roi David, fut un grand moment plein de promesse heureuse pour l'avenir.

L'avenir

C'est un slogan bien connu : "l'Avenir ce sont nos enfants, c'est la jeunesse !", et nous pensons que l'avenir ce sont aussi les parents ! Car aussi longtemps que les parents ne comprendront pas l'importance qu'il faut accorder à la religion, au judaïsme, en montrant l'exemple d'une vie authentiquement juive, l'enseignement, que l'école juive - même à plein temps -, que les professeurs de religion donnent, ne produiront pas des effets positifs et constants. L'enseignement de la beauté des mitsvoth, des fêtes, de la morale et de la spiritualité juives, restera inefficace, s'il n'est pas vécu jour par jour, Shabath par Shabath, Yomtov par Yomtov, dans le foyer où l'enfant vit et grandit. C'est cela le véritable problème, et tous les congrès, conférences et colloques ne peuvent remplacer la maison. C'est ce que le Rabbin de Bruxelles ne cesse de répéter au cours de ses émouvantes allocutions du Yiskor.

Cela veut-il dire que je suis pessimiste quant à l'avenir du judaïsme ? Absolument pas. Combien de fois déjà n'a-t-on enterré le peuple juif, le judaïsme, et il est toujours là ! Aucun autre peuple n'aurait survécu à Auschwitz. Rares sont les collectivités qui ont eu au cours de leur histoire, cette volonté de survivre malgré et envers tout. C'est d'ailleurs notre meilleure réponse, notre vengeance la plus efficace, à l'encontre d'Hitler et de tous ceux qui ont voulu et veulent effacer le peuple juif de la terre.

Maïmonide, dans une lettre à un ami, exprime sa crainte de voir la Torah oubliée encore dans sa génération ! ... C'est une lettre écrite il y a presque neuf siècles, et la Torah, la "voix de Jacob" dans certains pays, et même dans le nôtre, résonne toujours et quelque fois plus amplement qu'avant. Mais ceci n'exclut pas les efforts que les parents devraient faire, s'ils ne veulent pas plus tard, connaître des désillusions amères de la part de leurs enfants.

D'autre part, je crois en ce fameux axiome yiddish qui affirme : "Wie es christelt zich, so yidelt es zich" qui veut dire que par exemple dans les pays anglo-saxons, plus attachés aux traditions religieuses qu'ailleurs, la vie juive y est également plus vivante, ou disons plutôt : plus à la mode. C'est un phénomène sociologique. Dans ces pays, les ministres de culte et les dirigeants communautaires, œuvrent dans une ambiance plus propice à la religion, au mes sage biblique et à la cohésion communautaire et il faut même appartenir à une church, à une congrégation, si on ne veut pas "déchoir" dans l'estime de la société. Ce n'est pas le cas chez nous.

Je crois pouvoir affirmer en guise de conclusion de ces quelques souvenirs et réflexions, que j'ai mis mon dévouement, mes dons vocaux et artistiques, par lesquels l'Eternel a bien voulu me gratifier, au service du Judaïsme et de notre Communauté. J'espère ne pas avoir démérité de la confiance que la Communauté a bien voulu mettre en moi, en m'élisant à l'unanimité il y a quarante ans, à ce poste. Comme je ne regrette aucunement d'avoir choisi ce sacerdoce, qui fut toujours pour moi une véritable vocation et que j'ai servi de "tout mon cœur, de toute mon âme et de tous mes moyens".

Bruxelles 20.04.80


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