En mémoire de mon premier et cher RABBIN
par David COHEN HENRIQUEZ, Boston, 2005.
traduction : Liora KAHN-ROITMAN
Extrait d'un bulletin édité par la Communauté israélite de Panama

Pendant de nombreuses années le Rabbin Granat était pour moi "LE RABBIN". Je me rappelle lorsque j'entrais dans la synagogue les vendredis, je le voyais toujours sur l'estrade chantant et donnant des discours que je ne comprenais pas encore, avec un espagnol différent de celui des autres. Dans ma tête j'essayais de calculer l'âge qu'il pouvait bien avoir, vu qu'il avait depuis toujours été dans cette synagogue (pour un enfant de six ans, six ans c'est déjà une éternité!). A cette époque, la synagogue n'était pas encore pleine d'enfants et il n'y avait pas de services séparés. Moi qui ne comprenais rien à ce qui se passait, je ne pouvais m'empêcher de bavarder et de me tenir mal ; je me souviens que ma maman me disait toujours "regarde, le RABBIN te regarde". Ou, lorsque je jouais dans le salon Melhado et que je montais les escaliers ils me disaient " Tu ne peux pas entrer ici, c'est le bureau du RABBIN".

Et ainsi passèrent les années, à voir ce personnage surélevé sur son estrade, qui lorsqu'on est enfant, semble terriblement  haute, avec quelqu'un au dessus du niveau des autres, vêtu de blanc et qui nous regardait si on faisait des bêtises.

Mais ensuite est venu le jour où j'ai dû me préparer pour ma Bar Mitzva. Je me rappelle être entré pour la première fois par cette porte qui disait "Bureau du Rabbin", et je me suis assis face à lui. Ce fut une expérience qui est encore aujourd'hui bien présente en moi. J'ai découvert que LE RABBIN était un être humain. Et quel être humain !! Il me racontait l'histoire de sa vie, toujours avec sa voix si douce et son sourire plein de bonté, avec en même temps des yeux et un regard qui pouvaient vraiment intimider.

Il m'a ouvert au monde des idées et des philosophes d'un judaïsme libéral ; il m'a aidé à répondre à  ceux qui me demandaient pourquoi je fréquentais une synagogue différente de celle de mes amis; et, le plus important, il m'a appris à lire dans la Torah pour la première fois, à pouvoir monter devant un pupitre et donner un discours. Maintenant, dix ans après son décès, je me souviens et je me rends compte combien je dois à cette grande personnalité qu'était Alexandre Granat.

Aujourd'hui je me trouve sur le même chemin qu'il a emprunté; j'étudie la Torah et les commentaires des Sages et je pose les mêmes questions que celles qu'il m'a posées la première fois. Et, bien qu'entouré de nombreux rabbins, et en phase de devenir l'un d'entre eux, il sera toujours LE RABBIN, le premier à m'avoir tracé la voie. Un jour, lorsque pour la première fois un petit garçon ou une petite fille bar ou bat mitzva entrera dans mon "Bureau du Rabbin" afin d'apprendre à monter à la Torah et à diriger un service religieux, et que je serai cet autre de l'autre côté du bureau, je suis sûr qu'il sera ici, dans mon cœur, souriant, m'inspirant pour pouvoir continuer à transmettre l'inspiration, "ledor vador", de génération en génération.

 

En Mémoire d'Alex …
Paroles prononcées par Madame Marianne GRANAT
lors de la cérémonie en souvenir du décès de notre cher Rabbin Alexandre Granat za"l, il y a dix ans.
traduction : Liora KAHN-ROITMAN
Extrait d'un bulletin édité par la Communauté israélite de Panama

Alexandre Granat avec sa fille Annette et son épouse Marianne
Quand mes filles avaient respectivement quinze et onze ans, mon mari a reçu une invitation du Gouvernement français à voyager gratuitement en France. A cette occasion, Alex est parti quelques jours avant nous  en Europe et moi, avec les deux filles sommes allées d'abord à Miami d’où nous avons pu obtenir trois billets pour un prix très intéressant. Le propriétaire de l'agence de voyage, était par coïncidence un juif orthodoxe, et quand il a su que mon mari était rabbin, il nous a invitées à prendre place dans son bureau, pendant qu'il s'occupait de nos billets d'avion.
Sur le mur derrière lui, se trouvait une photo du Rav Shneerson, fameux rabbin orthodoxe des Loubavitch. L'homme a entamé une conversation avec Margarita, ma fille aînée et subitement il lui a posé une question "Quel est l'objectif principal de ton Papa pour sa communauté?". Et Margarita, âgée seulement de quinze ans, lui a répondu sans hésiter "Mon Papa travaille pour la paix dans sa communauté".

Il en était ainsi en effet, Alex considérait comme nos Sages du Talmud que la paix (Shalom) est l'objectif le plus important pour l'humanité. Il savait écouter les gens et essayait toujours de les aider dans leurs problèmes de toute nature. Même les membres de la communauté de Beth El venaient lui demander conseil. Beaucoup avaient confiance dans son jugement et sentaient qu'il les guiderait pour trouver une solution à leurs problèmes. Alex n'a jamais fait de différence entre riches et pauvres ou entre grands et petits ; pour lui la véritable religion était basée sur l'amour du prochain.
Il était toujours prêt à participer aux manifestations de coexistence pacifique avec d'autres religions et il a ainsi représenté à de maintes occasions le judaïsme du Panama, par exemple devant la Communauté Bahai à l'occasion du quarantième anniversaire des Nations Unies. Il a participé à des programmes organisés par l'Eglise Catholique, pour la paix dans le monde et à un dîner œcuménique organise par le défunt archevêque McGrath.

Bar Mitzva de Jorge Weill, 1961

Il préparait toujours ses élèves pour leur bar et bat mitzva avec beaucoup d'amour et de dévouement. Aujourd'hui encore, lorsque que je rends visite à mes proches à San Salvador, ses anciens élèves, aujourd'hui pères de famille, viennent toujours vers moi pour me rappeler avec quelques mots affectueux le Rabbin Granat qu'ils n'oublieront jamais. L'un d'eux m'a présenté avec beaucoup de fierté à son fils qu'il a prénommé Alexandre en mémoire de mon époux.

Toute la famille de mon époux (son père, sa mère, ses deux frères et ses deux sœurs ont été assassinés à Budapest par des hongrois fascistes trois jours seulement  avant la libération de la ville par l'Armée Rouge. Sa plus jeune sœur atteinte de quatre balles a survécu par miracle. Une femme dont nous n'avons jamais pu découvrir l'identité est passée le lendemain matin par la Place Franz Liszt où avait eu lieu le massacre. Elle a remarqué qu'une jeune adolescente semblait encore en vie, l'a portée sur ses épaules et l'a emmenée à l'hôpital de la Croix Rouge. Là-bas ils l'ont sauvée et après la guerre elle a émigré en Israël.

Alex a souffert en silence de la perte de ses parents et de ses frères et sœurs. C'est principalement pour cette raison que nous avons quitté la Hongrie le plus vite possible. Il m'avait dit "Nous ne pouvons pas vivre dans un cimetière". Je ne voulais pas non plus que nos filles apprennent le hongrois, et comme lui, j'ai très vite pu parler couramment le français et nous avons commencé à communiquer uniquement dans cette langue entre nous et dans la famille.

Les parents de mon mari étaient des juifs ashkénazes russo-polonais. Malgré cela Alex a immédiatement ressenti un lien familial avec la communauté séfarade de Kol Shearith Israël. Et je pense que la sympathie était réciproque. Les premiers mots de Stanley Fidanque sont toujours dans ma mémoire, lorsqu'il nous a accueillis a l'aéroport a notre arrivée à Panama "Nous désirons que vous viviez avec nous comme dans une grande famille".

Tous furent nos amis: Ben et Bertha Fidanque, Felipe Motta, Woody de Castro, Walter et Léa Watson, Uncle Bito, Bill et Elaine, Stanley Fidanque, Charlie Zelenka, Vivita de Castro et bien d'autres. Alex a reçu de l'affection et du respect, de la compréhension et de l'estime dans sa Congrégation, ce qui fut une grande consolation pour lui et pour nous tous. Je pense toujours qu'il savait qu'il ne reviendrait pas de Houston ni dans sa maison ni dans sa Congrégation. Et il en fut ainsi: tous les efforts médicaux ont été inutiles, ils n'ont pas pu le sauver.

Alexandre Granat
Je n'ai plus aucun souvenir du voyage de retour. La mort d'Alex m'avait détruite. Cette période de ma vie fut la première ou je me suis retrouvée toute seule; chacune de mes filles est retournée l'une à ses études et l'autre à sa vie professionnelle.

Et c'est alors que La Congrégation de Kol Shearith a une nouvelle fois démontré la noblesse de cœur de ses membres : vous m'avez soutenue par tous les moyens, vous m'avez offert votre sympathie et votre compassion et j'ai senti que nous n'étions pas abandonnées. C'est dans de tels moments que l'on reconnaît ses vrais amis. J'ai reçu beaucoup d'appels, de visites et un Bulletin entier fut dédié à mon époux, sa vie et ses activités. Ce fut un travail exhaustif de Maritza Lowinger et de ses collaborateurs que je remercie de tout mon cœur. Ce fut le plus bel hommage dédié à la mémoire de mon mari.

Maintenant je voudrais citer quelques mots que Maritza a écrit dans ce bulletin :
"Les mots prononcés par Monsieur David Robles lors du service religieux en mémoire du Rabbin sont bien plus qu'éloquentes. Malgré tout, nous voudrions ajouter en mots et en images ce qu'a signifié la présence du Rabbin Granat dans notre Congrégation. Pour cela, nous avons préparé cette édition spéciale en mémoire de celui qui non seulement fut notre cher Rabbin, mais aussi notre meilleur ami, notre compagnon, notre confident, notre maître, notre père".

Aujourd'hui, face à vous, me souvenant de mon cher époux décédé voila dix ans, je voudrais vous exprimer en mon nom et en celui de mes filles, ma profonde gratitude envers vous tous qui nous avez accompagnées et qui avez partagé notre grande douleur.

Que Kol Shearith puisse continuer à se  développer et à appréhender le futur avec beaucoup de succès et avec la Bénédiction de Dieu. Je crois que cela aurait été aussi le désir le plus fervent du Rabbin Granat.

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