Les fêtes de Tichri au temple consistorial
Henri Weill
Extrait de LA TRIBUNE JUIVE PARIS-STRASBOURG 1935


Joseph Borin devant l'Arche sainte de la synagogue du quai Kléber vers 1935.On aperçoit au 1er étage une partie des membres de la chorale dirigée par Bernard Bochner. Coll. Elie Meyer ; cette photo est extraite de l'ouvrage de Jean Daltroff, La Synagogue du quai Kléber.
La Tribune Juive nous demande quelques lignes concernant la partie musicale des offices pendant les grands jours de fête.

A vrai dire nous n'avons qu'une tendresse relative  pour cette forme de compte rendu. Nous pensons qu'un service religieux ne relève pas de la critique musicale. Deux lignes suffiraient amplement pour préciser que M. Borin a chanté comme a son habitude, c'est-à-dire supérieurement M. Borin.  Mais d'autres pensées mériteraient d'être exprimées ; elles se rapportent également à la musique au service du culte.

Plusieurs coreligionnaires nous ayant souvent posé des questions précises sur l'opportunité de la partie "concertante" pendant les offices, nous profitons de l'occasion qui nous est donnée pour définir notre sentiment.
Depuis qu'il existe, Israël chante.
Dans chaque temple les grandes voix de nos prophètes ont toujours retenti. De tout temps les sublimes accents d'Isaïe, les appels déchirants de Jérémie. les psaumes de David et tous les cris de la Bible ont été évoqués pur l'âme juive avec autant de ferveur que de piété.
Sans doute, le croyant n'a pas besoin de musique pour prier, mais l'âme collective d'une foule a besoin de s'entendre elle-même et d'exprimer par des chants ses aspirations les plus intimes. Imaginez un peu que la musique soit interdite dans nos temples! Les fidèles se résigneraient mal à ce mutisme et le saint lieu se viderait bien vite.
Un juif détaché de sa religion, un juif qui a perdu le chemin du temple s'est souvent attendri au son d'une vieille mélodie qu'il entendit dans son enfance, tout comme l'exilé tressaille en entendant une chanson de sa patrie lointaine.

Mais je ne voudrais point me dérober eu sujet qui m'est imposé. Cette année, de même que la précédente, nos offices ont revêtu un caractère imposant. Je dois avouer que je n'ai pas assisté avec une assiduité constante à tous les services religieux, mais ce que j'ai entendu était fort édifiant.

Roche-Hachana nous a valu l'audition rare de l'Ousanné Tokef, l'une des plus pénétrantes parmi les œuvres qui tient inspiré un musicien - et quel musicien ! son identité répond de son génie. Dans l'admirable prière Ki Kechimekho tandis que M. Borin traduisait admirablement Khi ato Yautserénou, il a fallu que des parasites - une fois de plus - viennent troubler l'officiant dans son saint ministère.
Je n'ai pas le texte de la prière sous les yeux, mais je sais qu'elle est un poème impressionnant om l'homme est comparé à un vase fragile, à l'herbe qui dessèche, à la fleur qui se fane, au nuage qui disparaît.
Ici la musique devient la fille obéissante du texte : elle se colore et s'embrase d'harmonies mystérieuses et elle épouse le rythme intérieur de la prière dans une sorte d'extase et d'oubli.
Et c'est à ce moment précis ont nous sommes placés devant l'énigme extraordinaire que le 'hazan devait organiser son chant dans le trouble, le bruit et l'indifférence ! M. Borin a fait ce qu'il devait faire en pareille circonstance : il a donné aux infidèles une leçon de dignité en attendant que le silence fût rétabli. Mais quel lamentable spectacle que cette déchirure dans la solennité ! Et quelle déchéance pour une communauté lorsque son président doit multiplier chaque année les appels à l'ordre - pendant les offices - afin de préciser à l'assistance qu'elle se trouve dans la maison de Dieu !
Mon ami Paul Séligmann a mille fois raison : les juifs sont incorrigibles ! Et dire qu'il se trouve encore des personnes pour commenter l'attitude de M. Borin suivant la caprice de leur piteuse mentalité. "Quel toupet" disent ceux-là en retournant effrontément les rôles.

Autre chose. Le Kiddouche de Roche-Hachana ne nous a pas conquis : nous l'avons écouté deux fois de suite avec une attention soutenue, mais il nous apparaît inutilement surchargé. M. Alman, cet excellent compositeur, a fait mieux par ailleurs dans des oeuvres plus spontanées.

Il ne nous reste que peu de place pour parler des offices de Kippour et de ceux de Souccot. Une malencontreuse angine a éloigné M. Borin du temple consistorial. Le jour de Kippour M. Kauffmann au pied levé, a remplacé son collègue. Je m'empresse d'ajouter qu'ils s'est acquitté de sa tâche ,avec une vaillance remarquable.
Il n'y eut que de l'admiration dans toute la communauté pour la façon dont il a officié le soir de Kol-Nidré et le jour de Kippour. Maint jeune 'hazan pourrait envier son endurance à M. Kauffmann. La jolie voix de M. Abraham fut à contribution pour Chaharith et. Minha.

A Souccot nous avons réentendu avec joie le délicieux Adonaï zekhoronou que M. Borin chante avec tant de compréhension, tant de "lev" et de science vocale !

L'office de Simhat-Tora nous a réjoui : ceci est normal en raison du caractère même de la fête. Nous ne saurions dire à quel point la sortie des Tables de la Loi "Ato créso lodaas" dans l'harmonisation grégorienne est une heureuse innovation pour la liturgie juive. Aussi paradoxales que la chose puis. paraître, c'est malgré tout dans les églises catholiques que l'on entend souvent l'essentiel de la musique juive. Et c'est la raison pour laquelle nous avons salué avec fierté le retour, timide il est vrai, du lyrisme juif, dans une synagogue.

Avant de terminer nous devons complimenter les chœurs dirigés par M. Bochner, mais nous devons aussi rappeler à certains choristes hommes que la voix, lorsqu'elle est trop poussée, donne souvent l'impression d'un cri désagréable.

A l'orgue M. Rupp tient sa place avec autorité. Depuis la venue de M. Borin le chef des chœurs et l'organiste ont dit préparer des offices qu'ils ne soupçonnaient pas auparavant. Nous non plus.


Judaisme alsacien
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