Après l'attentat au Musée juif de Bruxelles
Allocution du Grand Rabbin René Gutman
à l'occasion du recueillement sur le parvis de la Synagogue de la Paix
Lundi 26 mai 2014 à 19h


Une fois de plus, nous voilà rassemblés devant cette Synagogue de la Paix non seulement pour manifester notre stupeur, notre colère et notre indignation, devant ce nouvel acte terroriste accompli en plein cœur de Bruxelles, au Musée juif situé à quelques mètres de la
synagogue, mais aussi pour nous interroger, nous qui n'avons de cesse de rappeler l'égale valeur d'une vie humaine, et de l'humanité, et qui nous nous trouvons sous cette façade, où a été gravée la parole du Prophète Zacharie "Ni par la force, ni par le glaive, mais par mon esprit".

Est-ce là notre destin ? Est-ce là, la réponse à un peuple qui a délivré il y a trois mille ans les Dix Commandements que nous relirons dans quelques jours lors de la fête de Shavouoth ? Est-ce là, la récompense pour le message "Tu ne tueras pas", qu'il a apporté à l'humanité ?

Hantés par cette question, qui concerne un Juif là où il se trouve – qu'il soit élève d'une école juive en France ou qu'il visite un musée juif, en Belgique, c'est-à-dire à la merci, là où il se trouve, de groupes terroristes ou de djiadistes en mal de guerre sainte, contre ceux dont le seul crime est d'exister, nous sommes d'abord tentés, tel Job, de garder le silence.
De regarder, muets et résignés, ce cortège de victimes depuis un an, fauchés à la mitraillette !

Une fois de plus, dans nos synagogues, nous serons appelés à prier celles et ceux dont la vie a été arrachée : Emmanuel et Mira RIVA de Tel Aviv, âgés respectivement de 54 et 53 ans, comme nous prierons pour Mme Dominique SABRIER, 67 ans, et Alexandre STRENS, 25 ans, qui, bien que n'étant pas de confession juive, furent également frappés pour avoir commis le crime de travailler dans un espace culturel juif, eux aussi abattus de sang froid. Nous présentons à leurs enfants, à leurs proches comme à la France, à l'Etat Belge, et à l'Etat d'Israël nos très vives condoléances.

Un tel attentat nous a rappelé, hélas, que des hommes, des femmes et des enfants de différentes couleurs et de différentes croyances, venus de tous les coins du monde, juifs ou non juifs, juifs de la Diaspora ou Israéliens, et sans qu'ils aient causé le moindre mal à personne, peuvent donc, pour avoir visité une synagogue ou un centre culturel juif, prendre le risque d'être blessés, ou de perdre la vie par ces actes de barbarie qui visent, finalement, à quoi, à menacer les Juifs en Europe, mais surtout, à les isoler de leurs concitoyens.

Mes chers amis,
Se taire, n'est pas une réponse ! Et prier ne suffit pas !
"Qu'as-tu à m'appeler ?" Demande courroucé l'Eternel à Moïse lorsque celui-ci l'appelle au secours devant les dangers qui menacent son peuple ! Le temps n'était pas à la prière, mais à l'action, lui fait-il entendre !

Selon la Bible, si un meurtre est commis, dans une ville, et qu'on n'en connaisse pas l'assassin, les magistrats en sont tenus pour moralement responsables : Est-il possible – expliquent nos Sages – que les magistrats d'une ville puissent prétendre qu'ils n'aient rien, ou rien entendu, pour clamer qu'ils n'ont pas versé ce sang ? En vérité, ils sont responsables, car ils auraient dû accompagner cet homme jusqu'aux portes de la ville, afin de lui assurer la sécurité avant qu'il ne la quitte.

Les faits :

Le samedi 24 mai 2014, à 15 h 27, un homme se rend au Musée juif de Belgique, situé au dans le quartier du Sablon à Bruxelles. Il tire avec un revolver, depuis la rue vers le hall du musée, et vise un couple de touristesisraéliens touchés au cou et à la tête. Il contourne les corps, s'avance dans l'entrée, puis, avec une Kalachnikov AKM pliable qu'il a sortie d'un de ses deux sacs, il ouvre de nouveau le feu depuis le hall vers l'intérieur du musée, sur deux autres personnes, employées à l'accueil. Puis le tueur court jusqu'à la rue Haute et disparaît. Il s'agit de Mehdi Nemmouche, un Français de 29 ans qui a été interpellé à Marseille quelques jours plus tard. Il était soupçonné, d’avoir été en Syrie en 2013 auprès de jihadistes. Il était fiché pour ces raisons par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Qu'a fait l'Europe ? Que fait l'Europe pour accompagner ses citoyens juifs en vue de leur sécurité ? Elle fait beaucoup – certes – elle fait même beaucoup plus, pour nous, que ce qu'aucune autre Communauté puisse prétendre en termes de protection. Pour ce qui concerne la France, et Strasbourg, je veux ici exprimer notre reconnaissance et notre gratitude envers les services de l'Etat, de la Région, du Département et de la Ville, de la Police comme du SRPJ, ces hommes et ces femmes, ces jeunes gens, ces jeunes filles, qui, chaque jour protègent cette synagogue, nos oratoires, nos écoles et souvent tard dans la nuit ! Je sais, avec quelle rigueur, et avec quelle vigilance, le Ministère de l'Intérieur n'a de cesse de tout mettre en œuvre pour assurer la protection de nos enfants, de nos fidèles et de nos familles !

Mais qu'a fait l'Europe pour endiguer le discours antisémite, les provocations verbales, les spectacles antisémites, le boycott des produits d'Israël ?
Que font les responsables des média ou de la presse devant la stigmatisation à outrance de l'Etat d'Israël pour l'accuser de tous les crimes de la terre, alors que tous les crimes de la terre se produisent à ciel ouvert, aux limites de ses propres frontières ?

Qu'a fait l'Europe jusqu'ici, et que pourra demain faire l'Europe, pour endiguer la montée si inquiétante, si menaçante de ces partis populistes d'extrême droite, et jusqu'au NPD, parti néo-nazi déclaré et qui entendent rebâtir les murs de haine que soixante ans de coopération européenne passionnée, acharnée même, avait fini par briser ?
Oui, ici à Strasbourg, là où la 2ème DB a libéré l'Alsace, au Parlement européen on croisera un député négationiste, et fervent nostalgique de la Waffen S.S.

C'est cette haine là qui vient de sévir à Bruxelles comme à Strasbourg. Bruxelles ! capitale européenne, si loin de l'Afrique, si loin du Mali, si loin du Nigéria, mais soudain si proche, et qui résonne de la même violence ! Là-bas où l'on tue, où l'on assassine, où l'on kidnappe 200 écolières, victimes de la même barbarie qu'à Bruxelles, parce qu'arrachées à leur propre origine, à leur façon de croire, à leur éducation, à leur innocence, et dont le sort nous interpelle également parce qu'il remet en question, chaque jour, les valeurs les plus hautes en lesquelles nous croyons, et qui ont été ici et là bafouées !

Seule l'Education, dès le plus jeune âge, du respect de la vie, seul le dialogue inter-religieux, seule la rigueur la plus grande, en matière de répression et de condamnation de l'apologie du terrorisme et du crime, donneront un signe fort, à nos démocraties, et rendront justice aux victimes, par le fait même qu'une telle politique nous rendra plus forts et plus solidaires, face à nos ennemis communs.

Renouer avec l'esprit de ce qui est inscrit sur ce mur et sur cette terre d'égalité et de liberté, c'est-à-dire non pas la capacité de l'homme à faire le mal, mais sa capacité à faire le bien ; non pas le désir de détruire, mais l'envie de sauver et de construire, voilà peut-être la grande leçon de se jour !

Voilà la condamnation la plus forte envers ceux qui se sont attaqués à ce haut symbole de la Communauté juive et le plus grand hommage à celles et ceux qui y ont perdu la vie.

Mais avec le sentiment de répondre en leur nom, non pas par des propositions fragiles ou éphémères, mais avec la volonté de consolider la République, en sorte que chaque Français, chaque Européen, se sente non seulement protégé des violences et de l'agitation anti-démocratique mais également rehaussé par la confiance sociale et morale que les Etats, et toutes les forces vives qui les composent, contribueront à restaurer, pour l'honneur de la France, pour l'honneur de l'Europe, et pour que vive Israël !


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