יחד שבטי ישראל
Un Kippour en Galouth avec le Rabbin Daniel Gotlieb ז''ל
par Elisabeth et Daniel REVEL
Extrait de Tribune Juive, octobre  1972


A la veille de Kippour, la situation de la région d'Orsay n'est que trop claire : il n'y a plus de lien entre les Juifs qui y sont disséminés il n'existe plus de sollicitation suffisante pour inciter nos frères à se grouper, à se retrouver. Point de lieu de réunion ni de cadres. Tout a disparu avec la fermeture de l'Ecole Gilbert-Bloch, il y a plus d'un an.

Il n'a certes jamais existé de véritable communauté au sens consistorial du terme, mais on sait qu'en matière de judaïsme, attendre des "études de marchés" pour créer ou recréer un lien, c'est laisser la vie juive s'éteindre à petit feu. Il faut tenter d'arracher une petite communauté à l'enlisement, essayer d'aller au-devant de ceux pour qui la pratique du judaïsme n'est plus un besoin, chercher à rapprocher nos frères juifs et leur prouver que le judaïsme est indispensable à leur âme comme l'eau à leur corps.

Depuis des jours, des semaines, il y avait cet aiguillon qui harcelait : il faut faire quelque chose pour Kippour, ou bien tout est irrémédiablement perdu à Orsay. Alors, ce fut la recherche d'un local, d'un shalia'h tsibour (officiant), d'un Sefer Torah. Et toujours, tous les soirs, la même question lancinante, le problème permanent de la Diaspora: sera-t-on dix ou quinze, ou se verra-t-on contraint d'interrompre l'office parce que les fidèles ne seront plus que sept ou huit ? On se compte, on se recompte. La plus optimiste des estimations se situe entre 8 et 12. Est-ce suffisant pour avoir mynian (quorum) toute la journée ? Rien n'est moins sûr. Mais il faut essayer, il faut ramener nos frères à la source de vie de la Torah.

Et, tout à coup, à quelques jours de Kippour, tout va changer. Le Rabbin Gottlieb, appelé en consultation rabbinique s'offre à venir partager le Kippour de la Communauté dispersée. Aumônier des étudiants, il sent la nécessité de la présence d'un rabbin dans cette ville universitaire qui n'en a pas. Il ne manque pas à Paris de minyanim saints et fervents où il pourrait se rendre et il n'ignore pas que sa proposition fraternelle comporte pour lui des risques, que pour la première fois de sa rie peut-être il se trouvera à Kippour dans une salle presque vide. Mais le Rabbin Gottlieb sait que servir les hommes, c'est servir Dieu dans la plénitude et, dans la vraie tradition de sa famille et du judaïsme, il va au devant de ses frères juifs.

Alors tout se précipite. Les bonnes volontés se multiplient. Chacun se charge de prévenir des voisins, des amis, qui, peut-être, avertis viendront faire nombre. Un couple d'anciens de l'Ecole Gilbert-Bloch offre le salon fraîchement tapissé de sa nouvelle maison (et le jardin pour les enfants): des jeunes construisent un aron, un pupitre. Le sefer est prêté par la Maison des Etudiants d'Antony. Et un "jeune" ancien de l'Ecole, Élie Elbaz, avec sa gentillesse coutumière, accepte d'être le shalia'h tsibour de cette communauté qui va de nouveau mériter son nom.

Et le miracle a lieu : à l'heure de Kol Nidrei, à l'heure de vérité, le salon tendu de blanc accueille trente hommes (parmi lesquels beaucoup de jeunes étudiants), une vingtaine de femmes et de jeunes filles et des enfants, nombreux. Tout au long de la journée de Kippour, d'autres se joindront à eux et à Neila, nous serons 70. Elie Elbaz et le Rabbin Gottlieb prient en alternance, tour à tour selon le rite sépharade et ashkénaze, arec ferveur, avec chaleur. Les fidèles répondent avec kavanah (ferveur). Aucun ne quittera le salon-synagogue un seul instant et pas un seul instant l'attention des fidèles ne faiblira. On verra des hommes pleurer en montant à la Torah et mêlés, ashkenazim et sefardim uniront leurs prières.

Entre chaque office, à propos de chaque passage, le Rabbin Gottlieb parle avec douceur, avec sincérité, avec simplicité : il dit des Divrei Torah, explique le sens profond du Kippour, raconte des histoires hassidiques, sublime le sens de nos prières. Et ses mots vont jusqu'au tréfonds de l'âme de ceux qui l'écoutent.

Lorsqu'à l'approche de l'heure solennelle, avant Neila, il dira (avec combien d'émotion !) sa conviction profonde que, plus qu'ailleurs peut-être, la ferveur de nos prières est montée au Ciel, nous saurons qu'aucun de nous n'oubliera ce Kippour et qu'il aura été décisif pour le retour à la vie de notre Communauté.

Nous écrivons ces quelques lignes alors que notre cœur est encore rempli de l'émotion de cette journée. Nous les écrivons parce que nos frères juifs doivent savoir qu'à la condition de le vouloir, on peut revivre au judaïsme ; ils doivent savoir que si les fidèles ne viennent plus, c'est parce qu'on ne leur tend pas la main : ils doivent savoir qu'il y a des consciences qui se réveillent si on sait les appeler ; il faut qu'ils sachent enfin qu'il existe encore des hommes de Dieu qui se dévouent corps et âme - et les termes de cette expression trop galvaudée ont ici leur juste valeur - et auprès de qui on peut réapprendre les véritables valeurs juives.

En ce lendemain de Kippour, Orsay revit. Déjà, il est assuré que l'office du vendredi soir aura lieu chez l'un ou chez l'autre, avant la découverte d'un local. Le Rabbin Gottlieb, si ses multiples occupations parisiennes le lui permettent (et nous savons à quel point elles sont absorbantes), viendra partager nos Shabatoth et nous pourrons nous rassasier de sa présence et de sa lumière. Nous le savons maintenant et quoi qu'il arrive désormais, l'Orsay de demain ne sera plus jamais ce qu'il était hier.

Elisabeth et Daniel REVEL


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