COMMENTAIRE DU RABBIN GOTTLIEB


KOULA et KHOUMERA

"Si tu manges le fruit du labeur de tes mains, tu seras heureux et ce sera une bonne chose pour toi " (Psaumes 128: 2).

La Bible étant avare de mots, le Talmud développe ce verset en en justifiant la redondance apparente. Et le Talmud d'expliquer (Berakhoth : 8) Tu seras heureux dans ce monde-ci
Et ce sera bien pour toi dans l'au-delà.

L'interprétation habituelle consiste à dire ou à rappeler qu'il est important pour l'homme d'être fidèle aux enseignements de la Tora, mais que cela ne doit pas le dispenser d'agir dans le monde et d'assurer sa subsistance par son travail : "Si tu manges le fruit du labeur de tes mains", alors tu peux être heureux.

D'ailleurs, de façon plus générale, quelque soit l'activité à laquelle on s'adonne, plus on investit d'efforts et plus on peut se féliciter du résultat

La question qui se pose cependant, c'est de comprendre en quoi cette attitude est également favorable pour l'éternité dans l'au-delà?

Sans doute s'agit-il simplement de la récompense qui attend celui qui aura su assumer son double statut sur terre: d'être à la fois homme de chair et d'esprit, homme et juif. Il n'en reste pas moins que la phrase mérite un développement qui justifie plus précisément l'idée que tu seras heureux dans le monde à venir.

Parmi les réponses données à cette question, notons celle qui rappelle un enseignement du Talmud qui dit comment se déroulera le jugement auquel sera soumis tout être vivant lorsqu'il rendra son âme à Dieu. Les choses se passeront à l'instar de la manière dont le prophète Nathan a agi avec le roi David : il lui a soumis un problème juridique. Après que le prophète ait entendu le jugement du roi David, il peut affirmer que David s'est condamné lui-même en condamnant le personnage du cas qui lui était soumis dans la mesure les deux situations sont semblables à bien des égards.

Ainsi en sera-t-il à l'entrée du monde à venir : le Talmud dit que chacun sera jugé selon la manière dont il aura lui-même jugé les êtres et les situations auxquelles il aura été confronté au cours de son existence terrestre (Bené Issakhar, p. 123 b qui cite le Shenei Loukhoth ha-Brith).

L'expression "manger le fruit du labeur de ses mains" peut être comprise dans un sens plus large que celui que nous avons suggéré précédemment; il peut s'agir aussi de "manger le fruit d'un travail intellectuel". Il y a des gens qui gagnent leur vie grâce à un travail intellectuel. Plus largement encore, on est souvent confronté à des situations dans lesquelles on ne sait pas à l'évidence quelle attitude adopter. Est-on en présence de quelque chose de permis ou d'interdit ? Est-ce bien ou est-ce mal ? Lorsqu'on réfléchit avec sérieux, lorsqu'on fait une étude de cas, lorsqu'on fait intervenir tous les principes et tous les arguments dont on dispose, il peut arriver qu'on trouve une solution pour autoriser ou pour permettre, dans le cadre de la Torah, ce qui n'est pas interdit. A ce moment là on peut dire qu'"on mange le fruit de son effort" : on mange ce qu'on est arrivé à autoriser par un effort intellectuel. Il est bon, il est important, de savoir chercher les arguments pour autoriser les choses qui ne sont pas interdites; de la même façon il est demandé de juger toute personne "lekhaf zekhout, favorablement, en trouvant des circonstances atténuantes ou mieux encore des justifications au comportement d'autrui avant de le condamner - ou au lieu de le condamner !

Ainsi, celui qui durant son existence aura cherché à trouver des arguments pour permettre la consommation de produits problématiques, celui-là sera heureux dans ce monde-ci, parce qu'il aura mangé des produits que d'autres s'interdisent. Mais surtout, ce sera une bonne chose pour lui dans l'au-delà, parce que, à son entrée dans l'au-delà aussi, on cherchera à trouver pour lui des circonstances atténuantes pour les fautes qu'il aurait commises ou mieux encore on jugera favorablement les positions délicates ou ambiguës qu'il aura prises.

Il est important de faire des efforts intellectuels pour étudier la Torah, et de rechercher à l'accomplir sans que ce soit par une série de privations surérogatoires qui deviennent obsessionnelles: si l'on trouve une manière de respecter la loi, sans tomber pour autant dans le laxisme, mais avec une tolérance légitime, justifiée, ce sera une bonne chose dans ce monde-ci et pour l'au-delà.

Sans attendre le temps du bilan définitif, la période de Rosh Hashana que nous traversons et qui est une période de jugement, puissions-nous mériter un jugement qui nous permette "d'être heureux" et de ne connaître que "de bonnes choses".


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