COMMENTAIRES DU RABBIN GOTTLIEB


UN ANNIVERSAIRE

"L'Eternel parla à Moïse en ces termes : Au dixième jour du septième mois, le jour des expiations, il y aura pour vous une convocation sainte ; vous mortifierez vos personnes, vous offrirez un sacrifice à l'Eternel, et vous n'accomplirez aucun travail en ce même jour. Car c'est un jour d'expiation destiné à vous réhabiliter devant l'Eternel votre Dieu" (Lévitique 23:26-28).

C'est par ces mots que la Bible a institué Yom Kippour : jour d'expiation et de pardon.
Mais la date de ce jour n'est pas fortuite : le 10 Tishri est un anniversaire.

Après la faute du veau d'or, Moïse est remonté sur le Mont Sinaï pour implorer le pardon divin. Il y est resté pendant quarante jours, sans boire ni manger, avant que Dieu n'exauce sa prière : c'est donc le 10 du mois de Tishri que Moïse est redescendu vers le peuple avec les secondes Tables de la Loi. Le 10 Tishri est la date de Yom Kippour.
 
Depuis lors, ce jour est propice à l'obtention du pardon. En effet, Dieu se souvient qu'à cette date, Il a pardonné et, si l'on peut s'exprimer ainsi, on dira qu'Il n'en éprouve pas de regret et qu'Il sera par conséquent enclin à réitérer Son pardon. Pour les hommes - pour nous -, l'évocation de cette réconciliation montre que le pardon est possible, et l'évocation de cet anniversaire doit créer en nous la motivation pour accomplir les efforts nécessaires à l'obtention d'un nouveau pardon ; il conviendra cependant de reproduire la démarche qui a permis à Moïse de voir sa prière exaucée pour pouvoir espérer être pardonnés à notre tour. (Voir modalités de la Teshouva et du Vidouy).    

Une question demeure toutefois : comment comprendre que les Tables gravées de la main même de Dieu, le seul objet matériel ayant été marqué du sceau divin, aient pu être brisées?

LES TABLES BRISEES

Parmi les nombreuses réponses qui ont été proposées, celle qui convient à notre réflexion se dégage de la comparaison de deux versets analogues du Cantique des Cantiques. Rappelons que ce livre biblique exprime, à travers la métaphore de l'amour d'un jeune homme pour sa fiancée, l'alliance qui unit Dieu à Son peuple.

Le premier verset dit (2:16) : "Mon bien-aimé est à moi, et je suis à mon bien-aimé".
Le second dit (6:3) : "Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi".

Si ces deux versets évoquent un amour parfait et partagé, une différence existe cependant quant à l'ordre de la manifestation des sentiments. Dans le premier cas le bien-aimé se déclare le premier et sa fiancée lui répond ; dans le second, c'est la fiancée qui prend l'initiative de se déclarer et le bien-aimé lui répond.

La conscience que le Cantique des Cantiques métaphorise la relation de Dieu à Israël invite le Midrach à voir dans ces deux versets deux moments privilégiés de l'Histoire de la formation de ce couple mystique. Il s'inspire d'un verset du même Cantique des Cantiques (3:11) :

"Allez et regardez ... le Roi Salomon paré de la couronne que sa mère lui a faite au jour de son mariage et au jour où son coeur s'est réjoui".

Ces deux moments évoqués par le verset, "le jour de son mariage" et "le jour où le coeur du Roi Salomon a débordé d'allégresse",   sont respectivement mis en relation avec le jour du don de la Torah, le 6 Sivan, et avec le jour du don des secondes Tables.

Le premier verset évoque en effet la majestueuse théophanie du Sinaï, où Dieu s'est révélé à Israël et a remis à Moïse les Tables de pierre - les premières - gravées du doigt divin, ces Tables que Moïse a brisées. Face à cette prodigieuse manifestation divine dans laquelle Dieu a proposé à Israël de sceller leur union, Moïse et le peuple ne pouvaient que répondre : "Ce que Dieu demande nous le ferons" (Exode 20).

Mais cet engagement ne fut que de courte durée, puisque bien vite le peuple se livra à l'idolâtrie du Veau d'or.

En revanche, les Tables que Moïse a portées au sommet du mont Sinaï, afin que Dieu y inscrive le texte du Décalogue, ont accompagné le peuple juif pendant des siècles.

Ce paradoxe s'explique en remarquant que les premières Tables furent brisées parce que leur don à Israël ne procédait que de la seule initiative de Dieu, et que le peuple juif ne pouvait faire autrement qu'accepter, à l'image de la déclaration du bien-aimé à laquelle fait écho celle de la fiancée. Tandis que les secondes Tables    sont consécutives aux quarante jours pendant lesquels Moïse, qui a gravi les pentes du mont Sinaï en portant un lourd bloc de pierre, a imploré Dieu, en prenant cette fois l'initiative de déclarer son amour.

On trouve dans la Bible plusieurs autres groupes de deux versets ayant la même signification mais ayant respectivement Dieu ou Israël pour sujet.
Ainsi, par exemple :

Ces versets illustrent que, pour être efficace, une entreprise à besoin de la conjonction des volontés de Dieu et de l'Homme.
Quant à la question de savoir lequel des deux partenaires doit prendre l'initiative, les Rabbins préconisent que c'est à l'Homme de susciter la collaboration de Dieu pour la réalisation de des souhaits.

ELLOUL

Les commentateurs remarquent à ce propos qu'en hébreu les initiales des mots du verset (Cant. 6:3) "ani le-dodi ve-dodi li" forment le mot ELOUL. Une façon de signifier que les quarante jours qui s'étendent du 1er Eloul au 10 Tishri doivent être consacrés par chaque membre de la communauté d'Israël à s'élever vers Dieu, à l'instar de la fiancée qui prend l'initiative de se déclarer à son bien-aimé.

Il apparaît ainsi que les secondes Tables du Décalogue ont résisté à l'épreuve du temps parce qu'elles avaient été portées par Moïse, au nom du peuple. Comme pour signifier que l'intervention de Dieu dans l'Histoire des hommes ne peut être efficace que si elle est accompagnée et sollicitée auparavant par une démarche humaine.

Le pardon que Dieu ne demande qu'à accorder le jour de Kippour, ne pourra pleinement se réaliser que si une volonté humaine d'en bénéficier se manifeste. Cette démarche s'inspirera de celle de Moïse puisqu'elle a été efficace.

Les sages constatent que d'autres versets bibliques présentent la même particularité - de comporter quatre mots consécutifs dont les initiales font apparaître le mot ELOUL:  ils évoquent, ainsi, les différentes voies qui favorisent l'obtention du pardon divin.

Il s'agit notamment des versets

Ainsi, se trouvent suggérés dans les versets qui contiennent quatre mots consécutifs dont les initiales forment le nom du mois Eloul, les trois démarches auxquelles il faut se consacrer pour espérer obtenir le pardon (Kitsour Choulkhan Aroukh, 128, 1) :

Le fait de savoir que la journée de Kippour, n'est pas seulement un jour "redoutable", mais est avant tout l'anniversaire du pardon divin pour la faute du Veau d'Or, doit rappeler que Kippour est l'aboutissement d'un long processus de quarante jours et le point de départ d'une année que l'on souhaite heureuse.

C'est ce qui a conduit les rabbins à dire que Kippour était, dans le calendrier juif, l'une des fêtes les plus belles.


Article précédent Article suivant
Rabbins Judaisme alsacien Histoire
© A . S . I. J . A .