Le grand rabbin Deutsch à Limoges
par le grand rabbin Max Warschawski
Extrait de Echos-Unir , novembre 1999


A. Deutsch Quelques jours avant la déclaration de la guerre en 1939, la ville de Strasbourg fut évacuée et sa population répartie entre trois départements du centre de la France. La Dordogne et la Haute-Vienne accueillirent la plupart des réfugiés ; mais nombre d’entre eux s’installèrent dans l’Indre, en particulier à La Châtre. Le grand rabbin Hirschler était mobilisé comme aumônier militaire. On nomma donc comme rabbin de Périgueux et de la Dordogne, Victor Marx, qui était adjoint aux grands rabbins de Strasbourg. Limoges était alors en manque d’un guide spirituel.

Abraham Deutsch, rabbin de Bischheim, qui était responsable de l’enseignement religieux de Strasbourg, décida de s’y installer. Ce fut là la deuxième période de sa vie rabbinique.

Limoges avait été au moyen-âge un centre juif important et rabbi Joseph Tob Elem (bon fils) était un des maîtres les plus connus au onzième siècle. Depuis lors, la communauté de Limoges avait disparu. Mais aux environs et après la grande guerre, quelques familles séfarades de Grèce et de Turquie s’étaient établies dans la ville, sans former un kahal véritable.

C’est dans cette localité, soudain envahie par des centaines de familles d’Alsace et de réfugiés juifs d’autres régions, que vint habiter Abraham Deutsch, jeune rabbin de 37 ans. Il sera, pendant cinq ans, l’âme et le moteur de ces réfugiés de Strashourg et d’Alsace et fera de Limoges une communauté modèle.

Entouré d’hommes de bonne volonté, Abraham Deutsch y créa tout, faisant preuve d’un talent et d’un dynamisme extraordinaires au service de la Communauté.

Il fallait d'abord un lieu de culte

On trouva un petit local rue Manigne qui servit d’abord de synagogue, puis pour les offices de la semaine et les cours du Talmud-Thora , lorsqu’une synagogue plus vaste fut utilisée le Shabath et les fêtes.

Il fallut installer un miqvé : ce fut fait.

Pour assurer l’alimentation, le rabbin s’adressa aux deux frères Buchinger, anciens bouchers de la Communauté Etz Haïm : et la communauté put s’approvisionner en viande strictement cachère. Un restaurant cacher, à la fois « garkirch » et cantine, vint compléter la panoplie des institutions indispensables à une communauté.

Le rabbin Deutsch avait assuré, pendant quinze ans, l’enseignement religieux à Strasbourg et avait dirigé le Talmud-Thora. Il y aura donc à Limoges un Talmud Thora ouvert à tous les élèves. Pour permettre aux enfants des familles isolées du département d’étudier dans un cadre juif, Abraham Deutsch obtint de l’OSE, l’ouverture d’un internat dont les pensionnaires poursuivaient leur scolarité dans les écoles secondaires ou - en majorité - fréquentaient l’école professionnelle de l’ORT.
Le rabbin visitait régulièrement ces établissements et y apportait son enseignement.

Le petit séminaire

Mais son chef-d’oeuvre fut l’ouverture, à Limoges, d’un petit séminaire, école secondaire du deuxième cycle, qui devait préparer ses élèves à l’école rabbinique, alors dans la banlieue de Clermont-Ferrand.

Peu de ces élèves devinrent rabbins, mais parmi eux certains seront plus tard les leaders du judaïsme français comme éducateurs, universitaires et enseignants.

Le rabbin avait persuadé Léon Meiss (après la guerre, président du Consistoire central), de l’utilité, voire de la nécessité de cette école, qui fonctionna de 1942 à 1944 jusqu’à l’arrestation d’Abraham Deutsch. Et certains, aujourd’hui, se rappelleront des cours que le rabbin prodiguait à son domicile ou des conférences qu’il donnait ou animait.

L’action sociale et la reconstruction

Quant à son action sociale, il est encore des survivants pour témoigner de ses interventions permanentes en faveur d’immigrés en peine de papiers ou en quête de secours, en dehors de l’assistance sociale.

Il n’hésitait pas à forcer les portes des autorités à un moment où un Juif avait intérêt à se cacher. Il continuait son activité dans tous les domaines, tout en se sachant surveillé et menacé. Jusqu’à la dernière minute, il refusa de se cacher ou d’interrompre son action rabbinique. Que de fois, dans son appartement ouvert à tous ceux qui faisaient appel à lui, devait-il interrompre un cours pour recevoir d’urgence une personne désemparée qui voyait en lui le seul être capable de lui venir en aide.

Toute cette activité lui permettra, par l’expérience qu’il acquit, de mener à bien la reconstruction de la communauté du Bas-Rhin après la guerre.

Ce courage exemplaire devait mettre sa vie en danger. En revenant d’un office à la synagogue – d’autres disent après un enterrement – Abraham Deutsch fut arrêté par la Gestapo, avec son ministre-officiant. Miraculeusement, il fut libéré le lendemain et poursuivit sa tâche comme auparavant. En juin 1944, la milice vint l’arrêter à son domicile et il fut interné dans un camp de la région jusque quelques jours avant la libération où le maquis vint délivrer les prisonniers.

Il rentra en Alsace en 1945, pour remplacer "provisoirement" le grand rabbin Hirschler dont on attendit en vain le retour. La confirmation comme grand rabbin du Bas-Rhin ouvrit une nouvelle page, qu’il ne ferma qu’en 1970, après quarante-cinq ans d’une activité bénie.

Vehi Zi’kro Barou’k.


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