Histoire vécue avec le Grand Rabbin Deutsch
par Michel Heymann, 'Hazan de Luxembourg


Je voudrais me joindre aux nombreux hommages témoignés à cet homme exceptionnel que fut le grand rabbin Deutsch et vous raconter à quel point je lui suis redevable.

Michel Heymann
M. Heymann
Tout débute autour des années 1962. A cette époque, je suivais les cours du Talmud Tora de Strasbourg et le grand rabbin Warschawski en était le directeur. Un jour, il passe dans toutes les classes en disant: "Je voudrais que les enfants du Talmud Tora viennent plus souvent et plus nombreux à la synagogue le vendredi soir. Aussi, quel que soit l'office auquel vous participerez (grande schule, Merkaz ou autre) à la fin de l'office de la grande choule, vous viendrez nous dire Shabath Shalom à moi ainsi qu'au grand rabbin Deutsch."

A l'époque, les élèves étaient bien disciplinés et, avec d'autres, j'ai fait ce que le grand rabbin Warschawski a demandé.

Au bout de la deuxième ou troisième fois, le grand rabbin Deutsch m'a remarqué et m'a demandé mon nom. "Tu es le fils de qui ? de Pierre Heymann ? Je le connais, c'était mon élève". Je dois ici ouvrir une parenthèse en vous rapportant que le grand rabbin connaissait quasiment tous les membres de sa communauté et il demandait invariablement le fils ou la fille de qui on était pour faire un lien immédiat avec telle ou telle famille.

Et c'est ainsi, que durant environ deux ans, je suis venu presque chaque vendredi soir à la synagogue avec mon père et ensemble, nous allions saluer les deux grand rabbins. C'est à cette époque, m'a-t-on raconté, que j'aurai dit en écoutant de loin le 'hazan (chantre) Borin, "je veux être comme lui plus tard" alors qu'en ce temps-là, je ne savais pas exactement ce que c'était un 'hazan !

En février 1964, mon père décède, laissant ma mère seule avec trois enfants de 15, 12 et 5 ans. Toute notre vie est chamboulée et nous nous sentons déboussolés. Nous faisons les shiva (les sept jours de deuil) à la maison (c'est comme celà que j'ai appris qu'il y a trois offices quotidiens) et le premier soir après les shiva je me rends au Merkaz en semaine pour y réciter le Kadish (la prière pour les défunts).

C'est à partir de ce moment que va débuter pour moi une expérience unique, sous la protection bienveillante du grand rabbin Deutsch.

En rentrant au Merkaz, il y avait déjà du monde et je ne savais pas du tout à quelle place me mettre. Le grand rabbin Deutsch, comme à son accoutumée, (mais je ne le savais pas encore) venait toujours à l'avance aux offices afin d'y lernen (étudier). Moi, j'étais là tout bête, lorsque le grand rabbin m'aperçut et me dit: "Micheleh (il m'appellera longtemps ainsi) tu viens pour dire le Kadish ? Viens, assieds-toi à côté de moi !"

Aujourd'hui, en l'an 2000, vous ne pouvez pas vous imaginer l'honneur incroyable, d'être invité à s'asseoir à côté du grand rabbin du Bas-Rhin ! Seules les personnalités avaient droit à pareille marque d'estime ! Et bien, moi qui ne connaissais rien des offices, pas grand chose du judaïsme, j'ai été invité à m'asseoir à côté du personnage le plus illustre de la communauté! Quelle leçon pour moi plus tard ! Le grand rabbin qui avait tant d'occupations, s'occupait d'un rien du tout comme moi, pas pratiquant, insignifiant. Quelle leçon d'humilité !..

Mais ce n'est là que le début d'une histoire presque irréelle!
Durant toute l'année de deuil, j'ai récité le Kadish à côté du Grand Rabbin. Et jusqu'à ce que le grand rabbin parte faire son alyah (monte en Israël), ma place était réservée à côté de lui !

Chaque vendredi soir, je venais le chercher à la maison pour faire le chemin avec lui jusqu'à la synagogue. Mais avant de partir, j'observais les derniers préparatifs qu'il effectuait avant Shabath : il vérifiait si la minuterie était bien enclenchée, si la plata (plaque chauffante) était bien branchée si toutes les affaires moukzées (non shabatiques) étaient bien rangées. Puis il saluait sa merveilleuse épouse si discrète mais tellement efficace et nous partions. En cours de route, nous parlions de tout car il aimait connaître l'avis des jeunes sur tous les thèmes de la vie. C'est également chez lui que j'ai été invité pour la première fois de ma vie à manger dans une souka (cabane pour la fête de Soukoth). Depuis cette époque, je m'étais fais le voeu d'avoir moi aussi une souka plus tard, et grâce à D., j'ai enfin pu réaliser ce voeu depuis mon installation à Luxembourg.

Le grand rabbin Deutsch avait également l'habitude d'effectuer régulièrement des tournées pastorales. De temps en temps, il m'emmenait avec lui et c'est ainsi que j'ai visité l'Hospice Elisa ainsi que des colonies de vacances avec sa Peugeot 404 noire, toujours impeccablement entretenue.

Et puis, après ma bar-mitzva, lorsque j'ai émis le souhait de devenir 'hazan, c'est lui qui m'a entraîné chez Monsieur Joseph et ensemble, ils ont établi un programme afin que je puisse embrasser la carrière que j'ai choisie.

Ma vie est un miracle continuel. Combien suis-je reconnaissant à l'Eternel notre D. de m'avoir fait rencontrer ces deux personnages exceptionnels qu'étaient le grand rabbin Deutsch et Monsieur Joseph. Je ne pourrai jamais rendre le bien qu'ils m'ont fait ! Notre D., je peux et je veux le remercier chaque jour, mais pour le grand rabbin Deutsch et Monsieur Joseph, je souhaite que ces quelques lignes soient le reflet de ma gratitude éternelle pour tout ce qu'ils ont fait pour moi et une leçon d'humilité pour tous ceux qui ne cherchent que honneurs et profits.


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