Claude HEYMANN
Par Rabbin Claude SPINGARN
Extrait de ECHOS-UNIR, juin 2019

Être rabbin c’est entre-autre mener une communauté vers la spiritualité. Il va imprégner son kahal (*) et ses amis de sa manière de voire et de ressentir son lien avec les textes sacrés qu’il étudie quotidiennement.

Donner du kavod (*) - du poids à l’humain

Rendre hommage à un compagnon, un collègue, est toujours un exercice difficile. A plus forte raison, lorsqu’il s’agit d’un ami déjà connu sur les bancs de l’Ecole rabbinique il y a plus de quarante ans. Comment exprimer une reconnaissance, mettre en avant, faire saillie de qualités, d’une exigence, de convictions sans omettre et taire d’autres points forts ! Parler de l’image du Rabbin qu’il incarne, de sa volonté pour le Daf haYomi (*), de son sentiment d’être responsable de tous les membres d’une Kehila (*), dans leur globalité, sensible à l’histoire de son Alsace !

De son amour de la ‘Hazanouth (* ) hérité de sa présence dans sa jeunesse à la Chorale du Chant Sacré, affiné peut-être par ses liens avec Monsieur Kugler ! De sa plume précise, patrimoine hérité de son père Raymond Heymann. Sans faire l’impasse sur sa présence au niveau des autorités civiles et religieuses des autres confessions. Et je ne saurai taire le rôle souriant, discret mais efficace de son épouse Annie Luce qui a toujours su ouvrir sa maison à ce "paumé" qui ne savait plus vers qui se tourner.

Un élément convergeant à ces diverses facettes de son travail rabbinique pourrait être proposé, me semble-t-il, par un Dvar Torah (*) entendu de sa bouche il y a fort longtemps. Je me souviens combien cela m’avait marqué ! Il s’agit de son regard sur un point précis que je me propose de développer, à savoir la dignité de l’homme.

Quel en est le contexte ? Un passage biblique fort connu ! Noé est dans sa tente, peu après l’épisode du déluge et du cataclysme que l’on sait (Genèse 9:20-27). Il a planté une vigne, a consommé de son fruit, s’est enivré et gît, inconscient et nu dans sa tente. Pourquoi cet enivrement ? Plusieurs possibilités s’offrent à nous, mais là n’est pas la question. Un de ses fils s’aperçoit de ce triste spectacle. Il en parle, se moque du père ; un autre, Chem entraîne le troisième - Yaphet- et recouvre la nudité de Noé. Lorsque celui-ci se réveille et devine ce qui s’est passé, il bénit ces deux derniers.
Mais la bénédiction octroyée à chacun sera fort différente. Chem qui a poussé et galvanisé son frère bénéficiera du mérite de porter un jour le talith (*). Alors que Yaphet qui n’a fait que suivre les directives sera, selon Rachi enseveli [avec le talith] après sa mort. Deux récompenses fort différentes donc, celle qui pare ce Juif descendant de Chem, dans sa Tefila (*), déjà de son vivant donc, et celle qui recouvre celui qui est issu de Yaphet, mais seulement après sa disparition. Chem ayant agi avec conviction, pleinement convaincu de la nécessité de son geste, disposera d’un objet utilisé journellement lors d’autres rendez vous, fussent-ils avec la Transcendance, dans une même attitude de face à face. Yaphet par son inertie, son indolence, sera recouvert par décence, mais à un moment de passivité ultime.
Quelle est la motivation profonde de Chem ? Agit-il parce qu’il s’agit précisément de son père nu, exposé, ou est-il poussé par une nécessité de revêtir un être humain exhibé mais inconscient ? Chem se refuse à tout regard déplacé, physiquement et psychiquement. Il honore le dénudé car ce dernier représente bien plus qu’un corps étalé, il honore celui qui est plus qu’une chair ; un Tsélem Elokim, une image divine. Même dans cette situation !
Les descendants de Chem se parent de ce Talith, habit qui contient lui aussi un plus, un au-delà, à ce vêtement, à savoir le tsitsith (*) qui dépasse la parure.


Témoignage de Philippe CRÉANGE,
Président des Cigognes depuis 1974 et actuellement Président d’honneur
Extrait de ECHOS-UNIR, juin 2019

"Lorsque, en 1981, le grand rabbin Edmond Schwob a quitté Haguenau pour Nancy, j’ai fait la connaissance du jeune rabbin Claude Heymann, nommé vice-président de l’association Les Cigognes. En dehors son engagement dans vie communautaire, le rabbin Heymann s’est immédiatement investi pour apporter aux directeurs, M. et Mme Luisada, une aide quasi journalière auprès des enfants.
Toujours présent au conseil d’administration, expérience, ses conseils ont été très précieux. et, 1998, pour pallier au manque de directeur, le rabbin Heymann a accepté, avec l’accord du Consistoire, de diriger la Maison des Cigognes pour une année scolaire. En fait, c’est pendant trois ans qu’il assuré cette fonction et ceci malgré tous les engagements, les charges qu'il avait par ailleurs.
Aujourd’hui, le rabbin est toujours vice-président est c'est avec regret que notre Conseil va le voir partir en Israël. Néanmoins, il montre une fois de plus son engagement "Cigognes" : il a accepté d’y être notre correspondant permanent chargé d’assister les responsables nos actions.
Ce petit résumé ne peut montrer tout ce que le rabbin Heymann a toujours fait pour les enfants à titre personnel. Je vois partir un ami dont la sagesse m’a toujours éclairé pendant ma présidence.
Notre Conseil se joint à moi lui souhaiter une très belle vie à Jérusalem ; il restera néanmoins toujours présent aux Cigognes."


Annie-Luce HEYMANN
par Éva RIVELINE
Extrait de ECHOS-UNIR, juin 2019

Lorsqu’un rabbin quitte son kahal (*) , sa famille le suit. Madame Heymann, figure discrète mais toujours présente a également marqué sa communauté de ses qualités. Son sourire va éclairer d’autres offices mais nous garderons de très beaux souvenirs de sa présence strasbourgeoise.

Lorsque Maurice Dahan m’a demandé d’écrire un article sur Madame Heymann à l’occasion du départ à la retraite de son mari, j’ai spontanément refusé, comme si un petit caillou s’était insidieusement glissé dans ma chaussure. Outre les excuses habituelles de manque de temps, je redoutais l’exercice lui-même, et ce pour deux raisons. La première tient au genre même de l’article, qui peut très vite ressembler à un texte convenu et confine souvent à l’oraison funèbre ; je connais suffisamment Annie-Luce Heymann pour savoir qu’elle goûte peu ces propos mondains et qu’elle leur préfère la sincérité du dialogue amical. Toutefois, mon refus tenait surtout à Mme Heymann elle-même, dont je craignais de heurter la réserve par un article dont elle serait le sujet. Mais je me suis ravisée, convaincue par des proches et par une petite voix au fond de moi qui me disaient de passer outre ces scrupules et de rendre hommage à ma voisine de schule par les mots les plus sincères possibles, malgré le caractère artificiel de l’exercice.

Je n’ai fait la connaissance d’Annie-Luce qu’il y a une dizaine d’années, lorsque mon époux, mes enfants et moi sommes arrivés à Strasbourg. Ce qui m’a frappée chez elle, et qui continue, à mon sens, de la caractériser, c’est sa discrétion et sa volonté – car c’en est une, j’en suis sûre – de ne pas être vue comme la femme du rabbin, mais comme un membre de la communauté au même titre que tous les autres. Ni secrétaire de son mari, dont elle ne connaît jamais le programme ou le sujet des drachoth (*), ni figure protocolaire du côté féminin de la me’hitsa (*), Annie-Luce affiche avant tout un visage aimable et simple, accessible aux visiteurs occasionnels comme aux habitués, sans se prévaloir d’aucun titre particulier, lui fût-il dévolu seulement par la fonction de son époux.

Sa réserve et sa discrétion lui permettent de rester à l’écart des querelles qui peuvent parfois agiter la Communauté, comme le petit village d’Astérix ; avec intelligence et distinction, Annie-Luce ne pratique pas le sport national du combat des egos et n’entre pas dans l’arène. Pourtant, elle n’est jamais hautaine, et l’intérêt pour l’Autre est toujours présent. Avec son époux le rabbin Heymann, elle tient table ouverte et essaie de faire se rencontrer des gens qui pourraient bien s’entendre. C’est ainsi qu’à notre arrivée dans la ville, nous avons été invités en même temps que des gens qui sont devenus des amis, et qui, j’en suis sûre, avaient été savamment choisis par Annie-Luce dans cette intention. La table n’est d’ailleurs qu’un prétexte, pas une fin en soi, et les discussions culinaires avec Annie-Luce sont rares. Elle aime la pensée, l’étude et le questionnement.

C’est un moment plein de charme que celui des matins de shabath, où nous nous retrouvons comme deux écolières au fond de la classe, et évoquons, dans les moments de pause de l’office, nos doutes, nos colères, nos joies, mais surtout nos lectures. Un livre est toujours ouvert, quelque part dans la vie d’Annie-Luce. Mais elle n’est pas de ces intellectuels qui chérissent plus le livre que les êtres humains. Annie-Luce aime les gens, tous les gens, et les approche comme un livre : avec curiosité, intérêt et bienveillance. Dans ses rencontres comme dans ses lectures, elle apprécie la variété des récits, des parcours de vie, et possède une bibliothèque riche, tant en livres qu’humaine.
Où que la mène sa nouvelle vie de couple retraité, je lui souhaite, à elle et son époux, de continuer à s’enrichir de livres et d’hommes.

[ Annie-Luce Heymann quitte un poste de Conservateur à la Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg - n.d.l.r.]

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