La présence juive dans le RIED NORD (UFFRIED)
par Alain KAHN

 

La population juive dans le Ried Nord

 

1784 1808 1851 1882 1910 1936 1953
HERRLISHEIM 63 103 170 163 156 80 36
OFFENDORF 13 7 34 39 54 36 15
SCHIRRHOFFEN 127 253 380 342 85 38 2
SOUFFLENHEIM< 19 - - - - - -
FORT-LOUIS 55 - - - - - -
BISCHWILLER - - 97 206 237 193 114

La partie de l'Alsace qu'on appelle RIED NORD, ou UFFRIED, se situe au nord de STRASBOURG le long du Rhin jusqu'à hauteur de SOUFFLENHEIM. Comme partout ailleurs en Alsace, des communautés juives y ont existé dès le haut-moyen-âge mais leur histoire jusqu'à la guerre de trente ans (1618 – 1648) est très mal connue en raison essentiellement de la pauvreté des documents d'archives.

Après la guerre de Trente Ans, l'Alsace était ruinée et c'est à partir de la seconde moitié du 17ème siècle, et surtout après la révolution, que les communautés qui avaient disparu vont commencer à se reconstituer et à se développer. Ce fut ainsi le cas pour les communautés de ce coin de l'Alsace, à savoir : SOUFFLENHEIM, SCHIRRHOFFEN, FORT-LOUIS, HERRLISHEIM, OFFENDORF et BISCHWILLER.

SOUFFLENHEIM et SCHIRRHOFFEN

Il semble en effet qu'il y ait eu une petite communauté juive à SOUFFLENHEIM puisque le dénombrement de 1784 mentionne quatre familles représentant un total de 19 personnes. Lors de la prise de nom patronymique des juifs fin 1808, il n'est plus fait mention de juifs à Soufflenheim mais les descendants, de ces familles se retrouvent à Schirrhoffen.

L'école juive de Schirrhoffen
Pour SCHIRRHOFFEN, qui appartenait à la Noblesse Immédiate de Basse Alsace, un recensement local datant de 1725 mentionne la présence de quatre familles, originaires d'Allemagne, qui payaient aux seigneurs des lieux un droit de protection, le schirmgeld. Il s'agissait de Lazare Elie, installé depuis 1723, et de Salomon Moyse, Jacob Weyl et Gerstel Meytel, installés depuis 1725. La communauté s'est développée très vite et dès le début du 19ème siècle après la révolution, les Juifs se retrouvèrent largement majoritaires. Ils prirent alors logiquement en main pour un siècle la gestion de la commune.

En 1841 il y avait 466 juifs et 179 chrétiens, en 1882 il y en avait encore 342 contre 183 chrétiens. Vers la fin du 19ème siècle et surtout au début du 20ème, s'amorce la décroissance des effectifs de la communauté. En 1910 il n'y a plus que 85 juifs sur une population de 414 personnes et en 1936 il n'y en a plus que 38 sur 504 personnes et finalement 2 en 1953. Les conséquences de la Shoah furent terribles pour toutes ces petites communautés.

En ce qui concerne la situation économique des juifs de Schirrhoffen, le recensement de 1851 fait ressortir que sur les 137 personnes exerçant un métier, 83 vivaient d'emploi subalternes ou de petits métiers (des domestiques,  des servantes, ou des journaliers), une dizaine de personnes étaient considérées comme riches (des propriétaires et des marchands).

De 1844 à 1907, cinq juifs se sont succédés à la tête de la mairie. Il s'agissait de Raphaël LEVY, originaire de Wingersheim, (1844-1864), Léon WEIL, originaire de Hatten (1865-1871), Abraham WEIL, né à Schirrhoffen comme ses successeurs, (1872-1881), Simon HEYMANN (1882-1905) et Salomon KAHN (1905-1907). Le premier d'entre eux, Raphaël LEVY a eu dix enfants. Il est l'ancêtre des drapiers BLIN de Bischwiller, de l'écrivain André MAUROIS (de son vrai nom Emile HERZOG) ainsi que de Brice LALONDE qui est né LEVY.

La communauté disposait d'une synagogue à partir de 1730. Un nouvel édifice a été construit en 1818. Il a été agrandi et rénové en 1899 et a été utilisé jusque vers 1935 date à partir de laquelle les offices n'ont plus pu être organisés en raison du manque d'effectifs. Elle fut bombardée en 1945, incendiée puis rasée et le terrain a été cédé à un particulier.

Le premier rabbin, Aron LAZARUS, né en Allemagne en 1787, prit ses fonctions en 1826 et c'est son fils Zacharie qui lui succédera en 1855. Aron LAZARUS fut d'abord instituteur à Lauterbourg dès 1811 et avait demandé là-bas, en 1822, sa naturalisation. La commune la lui refusa considérant que, sans fortune, il serait à la charge de la société et le ministère de la Justice alla dans le même sens le considérant comme un étranger n'offrant pas les garanties que l'intérêt public exige. Le problème de la nationalité se posait déjà dans les termes de l'époque !
 
En 1875, le Rabbin Simon LEVY vint à Schirrhoffen après avoir exercé à Ingwiller et devint correspondant du Journal d'Alsace et de l'Univers Israélite pour évoquer la vie du judaïsme alsacien. Il s'opposait d'ailleurs violemment à l'enfant du pays, Alexandre WEILL. En 1898, Henry WEIL qui avait 18 ans devint le 'hazan de la Communauté pour trois ans. Il terminera sa carrière à Brumath et s'occupa de l'Association des Ministres Officiants d'Alsace et de Lorraine.

C'est aussi en 1898 qu'est arrivé le rabbin Zacharias WOLFF qui était un élève en Hongrie d'Israël HILDESHEIMER, futur directeur du séminaire de Berlin. Auparavant, Zacharias WOLFF avait dirigé l'école préparatoire rabbinique de Colmar et c'est lui qui envoya à son maître à Berlin, de nombreux futurs rabbins comme Joseph BLOCH, Max GUGGENHEIM ou Ernest WEILL, il termina sa carrière à Bischheim. Le rabbin Sylvain LEHMANN de Guebwiller, que Zacharias WOLFF avait aussi envoyé à Berlin, sera nommé rabbin en 1902 jusqu'en 1910, date à laquelle il pourra continuer à exercer son ministère à Bischwiller où le poste sera transféré. Une école, construite en 1844, a bien sûr fonctionné à Schirrhoffen et nécessitait en 1850 l'intervention du rabbin, du ministre-officiant, de deux instituteurs et d'un aide-instituteur pour près de 200 enfants à l'époque.

Concernant cette communauté, la figure d'Alexandre WEILL est incontournable. Né en 1811 à Schirrhoffen, ce fils de marchand de bestiaux, fut d'abord élève rabbin puis journaliste et écrivain fréquentant les prestigieux milieux littéraires de Paris (Hugo, Balzac, Lamartine). Il laisse par ailleurs de nombreux témoignages vivants et colorés de la vie des communautés juives rurales d'Alsace au 19ème siècle. Les Juifs de Schirrhoffen ont montré qu'ils pouvaient vivre en bonne entente avec la population, sans heurts significatifs, aussi bien lorsqu'ils étaient majoritaires que lorsqu'ils ne l'étaient plus. Un incident significatif dont Alexandre WEILL fut le tout jeune témoin vient illustrer ces propos.

A la veille de l'inauguration de la synagogue en 1818, un individu lança le bruit que des habitants de Soufflenheim et de Schirhein, un autre village voisin, allaient perturber la cérémonie pour que le nouveau bâtiment soit transformé en église. Le maire prévint le préfet qui envoya une compagnie de grenadiers sur place tambour en tête et bannière au vent au grand soulagement de la communauté. Il s'avéra que l'alerte n'était absolument pas fondée et les jeunes catholiques de Soufflenheim vinrent sur place pour le prouver et pour participer aux festivités finalement particulièrement réussies.

FORT-LOUIS

Grille de la synagogue de Herrlisheim
FORT-LOUIS appartenait directement au Roi de France après 1648. C'était une place forte construite sur le Rhin par Vauban en 1688, non loin de Soufflenheim qui avait le même statut, pour assurer à la France le contrôle d'un passage du fleuve. Le village se développa ainsi rapidement et, selon l'expression de l'époque, il comptait 180 feux, ou foyers fiscaux, en 1698 (soit environ 900 personnes) et 320 en 1750 (soit environ 1500 personnes). Assiégée par les autrichiens en 1793, la place forte de Fort-Louis capitule le 14 novembre sous d'intenses bombardements. Les fortifications seront définitivement détruites en 1814, et Fort-Louis restera à partir de là un simple petit village.

La présence d'une garnison dont les effectifs ont pu atteindre 3500 hommes, créé des besoins importants pour assurer le ravitaillement et l'équipement. C'est ainsi que deux familles juives vont s'y installer dès la fin du 17ème siècle, les DREYFUS et les ARON. Ceux-ci, arrivés sans rien, vont rapidement former des consortiums familiaux capables de satisfaire tous les besoins de la clientèle (vivres, fourrage, chariots, chevaux …). En 1784, ce sont treize familles, parmi lesquelles celle de Moïse BLIN, qui constituaient une communauté d'environ 55 personnes. On note la présence de sept servantes et domestiques et d'un certain Jacob, précepteur, ce qui prouve que l'instruction religieuse y était assurée.

Lors de la prise de nom patronymique en 1808, la communauté juive de Fort-Louis n'existait plus. On retrouve les familles de 1784 surtout à Haguenau. Elles avaient perdu presque tous leurs biens sous les bombardements. Après une période d'adaptation, la famille DREYFUS va conquérir une place de choix dans le commerce du houblon et les BLIN, descendants des LEVY de Schirrhoffen, dans la fabrication de tissus. Ces derniers vont alors quitter Haguenau pour Bischwiller où ils deviennent les drapiers BLIN. Lorsqu'en 1871 l'Alsace deviendra allemande, les BLIN n'hésiteront pas à abandonner Bischwiller pour se reconstruire à Elbeuf.

HERRLISHEIM et OFFENDORF

A hauteur de Bischwiller, et proche du Rhin, HERRLISHEIM et OFFENDORF faisaient partie de la prévôté d'Offendorf du Comté de Hanau-Lichtenberg où, de tout temps, une politique relative de tolérance était pratiquée à l'égard des juifs. En 1752, il y avait treize familles à Herrlisheim et trois à Offendorf . Ces deux communautés voisines se développent au 19ème siècle et se maintiennent au 20ème pour ne s'éteindre que vers 1975.

Synagogue d'Offendorf
Malgré leur proximité, les deux communautés ont longtemps conservé leur individualité. Le recensement de 1851 montre qu'à Herrlisheim c'est le commerce rural (celui du bétail, des chevaux, de la farine, des tissus) qui domine tandis qu'à Offendorf c'est plutôt le commerce ménager (celui de la viande et du pain). Il semble même que des juifs d'Offendorf tenaient boutique à Freistett de l'autre côté du Rhin.

Les deux communautés se différencient aussi par leur aisance. En 1851, Offendorf semble plus aisée puisqu'elle comporte quatorze commerçants établis et seulement trois fripiers et deux couturières. Herrlisheim comporte par contre vingt fripiers, vingt-quatre commerçants et marchands établis, sept couturières et cinq mendiants. En 1910 Herrlisheim comptait 156 juifs, Offendorf 54, en 1936 respectivement 80 et 36 et en 1953, 36 et 15.

Herrlisheim s'est dotée d'une synagogue dès le 18ème siècle, elle a été reconstruite en 1950 et définitivement fermée en 1969. Abraham BÄER, en fut le ministre officiant en en 1784, puis Seligmann WOLFF et de son fils Jacques en 1851. Notons que Séraphin PICARD, qui s'appelait Cerf BICKERT sous le régime allemand, fut lui ministre officiant de 1902 à 1920 avant d'être nommé à Rosheim. Il entama un remarquable travail sur le cimetière de Rosenwiller mais mourut à Auschwitz avec sa femme et deux de ses filles. Offendorf, pour sa part, s'est doté d'une synagogue en 1885 et celle-ci a été détruite en 1944. Isaac MEYER en fut le 'hazan de 1890 à 1930 puis son fils Sylvain jusqu'en 1934. Les Juifs des deux communautés étaiententerrés à Haguenau et ce n'est qu'en 1886 qu'elles se sont dotées d'un cimetière situé entre les deux communes.

BISCHWILLER

BISCHWILLER enfin, est bien entendu la communauté la plus importante du RIED NORD. Une présence juive y est attestée de 1322 à 1349 puis marginalement en 1499. Ensuite elle ne se développe qu'à partir de 1825. Avant la révolution, la ville faisait partie du Duché des deux Ponts (Zweibrucken). En 1851 la communauté, vers laquelle convergent désormais les juifs des communautés rurales, compte une centaine de personnes, elle double sa population en 1882, atteint 237 personnes en 1910 et comptera encore 193 personnes en 1936 et une centaine en 1953.

On ne trouve plus à Bischwiller de représentants du commerce rural. En 1851 on y trouvait cinq commerçants négociants, neuf employés de commerce et surtout huit fabricants de draps (parmi lesquels les Blin originaires de Schirrhoffen et Fort-Louis), un ingénieur des ponts et chaussée, un ministre officiant et même un gendarme (Georges DREYFUS). 8 familles sur 14 ont une servante. Il s'agit donc bien d'une communauté assez riche par rapport aux autres. Elle se dote dès 1856 d'une synagogue qui fut détruite en 1944 et reconstruite en 1959.

Ancinne synagogue de Bischwiller
En 1851 la communauté a un 'hazan, Samuel BRAUN. Baruch HAGUENAUER qui changea son prénom en Benoît, fut quant à lui ministre officiant de 1869 à 1872 préférant lui aussi quitter l'Alsace sous le joug allemand pour Reims. En 1889, Henri MARX devint à 18 ans le 'hazan de la communauté et se maria en 1894 avec Zélie, la fille de Simon LEVY, le rabbin de Schirrhoffen que nous avons déjà évoqué. Zélie, dans la misère en 1929, se verra pourtant refuser toute aide publique au motif qu'elle avait une fille mariée en Amérique susceptible de subvenir à ses besoins.

Deux événements significatifs se sont déroulés à la fin du 19ème siècle. Le premier secoua la communauté, le second la rassura plutôt. En 1872, une sœur missionnaire voulut forcer en vain une petite fille juive de 9 ans, scolarisée à l'école catholique où elle enseignait, à se convertir. L'affaire fit grand bruit et révéla de toute évidence un antisémitisme réel dans le petit milieu ultra-catholique concerné. Par contre, en 1885, le pasteur GRIM remit solennellement un don de 1000 mark à la communauté selon les dernières volontés d'un riche industriel protestant, Ulrich Ernst, qui avait tenu à aider chaque communauté de la ville. 

La communauté eut un rabbin en 1910, comme nous l'avons vu, Sylvain LEHMANN, nommé d'abord à Schirrhoffen et il ne sera pas remplacé en 1938. Il était également agrégé de philosophie et mourut en 1938 suite à un accident de la circulation sur sa mobylette qu'il utilisait pour se rendre à Schirrhoffen où il donnait des cours ainsi qu'à Haguenau . Il avait été nommé officier d'académie en 1936.

L'histoire de la communauté juive de Bischwiller est intéressante à plus d'un titre. Tout d'abord elle est celle du passage du judaïsme rural au judaïsme urbain avec l'évolution des mentalités et des comportements qu'elle implique. L'enfant du pays, Claude VIGEE, ce célèbre poète et écrivain, a magnifiquement retracé cette évolution dans son livre Un panier de houblon. Dans un autre registre, cette histoire est aussi celle du développement et de la décadence de l'industrie textile en Alsace où les juifs de Bischwiller ont tenu leur place au milieu de nombreux autres acteurs.   

Le RIED NORD, par sa diversité, constitue donc un parfait exemple de ces juifs d'Alsace, vivant dans une situation précaire dans un environnement souvent peu favorable, mais qui savent toujours s'adapter aux circonstances locales et ainsi s'assurer leur survie et parfois une certaine aisance. Certains finirent même par jouer un rôle important dans la vie locale et économique de la région. Ils n'ont jamais hésité, après une catastrophe, à repartir de zéro pour se rebâtir une existence. Même après la Shoah, certaines communautés ont essayé de revivre ou survivre et c'est cet état d'esprit qu'il convient également de relever.

Alain KAHN
(janvier 2010)

Sources principales :

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