Le Miqweh, témoin de l'histoire du Judaïsme rhénan
par Jean-Pierre LAMBERT

Le bain rituel de Strasbourg
© M. Rothé
Mon propos ne sera pas de vous décrire les miqweh (bains rituels) de notre région, mais plutôt de montrer comment on pourrait, en les étudiant mieux, comprendre notre propre histoire. Mais laissez moi commencer par un regret : S'il existe une littérature abondante sur les synagogues et le cimetières, les miqwaoth (pluriel de miqweh) n'ont jamais fait l'objet d'une étude dans leur ensemble, ou même d'un simple recensement. Ces quelques lignes ne vont certes pas combler ce vide, mais peut-être susciteront-t-elles des vocations !

Du moyen-âge nous restent dans notre région trois miqwaoth en assez bon état, ce qui est assez remarquable puisque nous n'avons pas plus de deux synagogues de cette époque, à l'état de trace.
Spire, de style roman très pur, est le mieux conservé et est daté des environs de 1200. Celui de Strasbourg est également très monumental. Il est antérieur en tout cas au massacre de 1349. Celui d'Offenbourg date du 14ème siècle ; sa belle voûte gothique plaide plutôt pour le début du siècle.

Ces miqwaoth étaient au moins pour Strasbourg et Spire partie intégrante d'un complexe communautaire et donc proches de la synagogue. Leurs tailles imposantes, le soin apporté à leur architecture montre clairement qu'ils étaient l'œuvre de communautés riches.

Puis c'est le vide : A ma connaissance nous n'avons pas de trace de miqweh entre la fin du 14ème siécle et la fin de la guerre de Trente ans. Cette absence démontre à l'évidence la lente disparition des juifs du paysage rhénan. Peut-être certains miqwaoth ont-ils existé, mais ceci probablement dans des maisons privées et ils n'ont pas été conservés.

Cette habitude de créer son miqweh privé dans sa maison est en tout cas clairement attestée à la fin du18ème siècle, et nous connaissons en Alsace de nombreux miqwaoth plus ou moins bien étudiés (en fait plus mal que bien) datant de cette période et du début du 19ème siècle : miqwaoth de Marmoutier (au musée et dans la ville ou le regretté Pierre Katz parlait de cinq bains rituels situés dans les caves), Oberbronn, Wintzenheim (Haut-Rhin), Bischheim, Ettendorf… Cette habitude est à rapprocher de l'habitude qu'avaient à l'époque certains juifs aisés d'installer un local de prière dans leur maison (voir l'exemple de Cerf Berr à Strasbourg, mais aussi celui du grenier de Traenheim). Faire de son domicile un lieu d'activités sociales est courant au18ème siècle ; pensons aux dames qui tiennent salon ou aux nobles et bourgeois qui tiennent loge (maçonnique) à domicile ! De ces miqwaoth privés, le plus beau est sans aucune contestation possible celui de Bischheim, construit vraisemblablement au début du 19ème siècle par Baruch Lévy, propriétaire de la maison du 17 rue Nationale. Pour construire son miqweh, Baruch Lévy n'hésitera pas à réemployer un escalier en colimaçon datant de la Renaissance.

L'escalier en colimaçon menant au
bain rituel de Bischheim - © M. Rothé

Il faudra attendre le 19ème siècle pour voir reparaître des miqwaoth communautaires, installés soit dans le sous-sol des synagogues (Dambach, Sélestat…) soit dans des locaux communautaires (Schaffhouse-sur-Zorn, Diemeringen, Hochfelden, Niederbronn). Il se peut même que certaines installations se soient faites le long des cours d'eau (Niederroedern). Le cas de Pfaffenhoffen est unique puisque le local communautaire datant de 1793 abritant éventuellement le miqweh est en même temps rez-de-chaussée de la synagogue ! En savoir plus sur la cave de Pfaffenhoffen serait incontestablement un plus. Un autre des plus anciens cas de miqweh communautaire cité est celui de Fegersheim où un "local de bain" figure sur le plan cadastral de 1842.

Si le recensement complet des miqwaoth n'a jamais été fait (on m'a également cité Mutzig, Bergheim, Ingwiller sans que je puisse me faire une idée précise de leur implantation), leur fonctionnement est tout aussi mal connu.

L'alimentation en eau pose souvent problème. Certains miqwaoth ont été à l'évidence creusés dans des nappes phréatiques. Pour d'autres, cette hypothèse me semble plus hasardeuse. Pourtant à chaque visite d'un miqweh complètement sec, la réponse est invariablement "il y avait une source" ou "la nappe était plus haute", même si le contexte géologique plaide contre une telle hypothèse ou si le bassin est soigneusement carrelé ! Par contre dans de nombreux cas, des traces d'implantation de tuyauterie semblent montrer qu'une récupération de l'eau de pluie provenant des toits est envisageable, posant immédiatement un nouveau problème : pourquoi dans ce cas mettre le bassin en sous-sol ? Est-ce parce que, pour un bon juif alsacien traditionaliste, un miqweh doit être en sous-sol ? ou pour permettre l'évacuation du trop-plein dans un puits perdu ?

Un réchauffage de l'eau des miqwaoth par ajout d'eau chaude ou de cailloux chauffés a parfois été évoqué, mais cette hypothèse la encore pose problème : Une simple règle de trois montre que pour réchauffer 800 litres d'eau de 5° à 10°C, il faut déverser 50 litres d'eau à 95° C, ce qui n'est pas si simple à manipuler dans un escalier (les jeter d'en haut fait perdre une grande partie de la chaleur, et donc augmente considérablement le volume à utiliser). Et que dire quand à Spire ou Strasbourg, le bassin fait quelques mètres cubes !

Enfin, dernier problème que nous évoquerons, certains miqwaoth ont une géométrie les rendant peu utilisables tel quel, Sélestat et Pfaffenhoffen en particulier. Un relevé précis et quelques coups de pioche permettraient sans doute d'en savoir plus.

En conclusion, nous dirons que s'il est clair que nos anciennes communautés respectaient les règles rituelles de pureté, nous ne savons pas grand-chose de leurs habitudes quand à l'emploi des bains rituels, et pourtant une meilleure connaissance de ces habitudes nous apprendraient beaucoup sur l'état d'esprit de nos anciens…

Le commandement du bain rituel.
Dans le judaïsme, le sang est synonyme de mort, totalement impur, et il ne saurait être question d’utiliser le sang pour la vie, de mélanger vie et mort. D’où la nécessité de saigner la bête à l’abattoir, de laver et saler la viande, de ne pas mélanger lait (la vie) et viande (la mort) ou encore de ne procréer qu’en l’absence de sang.
Les femmes doivent donc se purifier dans une eau pure (n’ayant pas été traitée par l’homme) après leurs menstrues. A noter que les hommes pieux vont au mikweh avant tout acte religieux (Shabbat ou écriture de texte saint).
Les règles du mikweh sont simples : eau pure, courante (la mer ou une rivière font l’affaire), la nappe est limite (lente) d’où ajout d’eau de pluie le plus souvent ; immersion brève, mais totale, sans écran (vêtements, position ouvrant les cavités naturelles) ; volume d’eau pure variable selon les rabbins, minimum 450 litres mais le plus souvent 800 l. ; possibilité de mélanger l’eau pure avec de l’eau traitée (la pureté est contagieuse !) en toutes proportions (d’où possibilité de chauffer avec de l’eau très chaude ou d’utiliser deux bassins, un d’eau pure l’autre d’eau chaude de ville, en communication par une tuyauterie !)

Remarque du Rabbin Claude Heymann : il faut rajouter à la liste Reischhoffen dont le mikwé est situé en face de l'ancien bâtiment de l'école juive dans une pizzeria (c'était il y a quinze au moins lorsque je l'ai vu, il a pu être détruit depuis !)

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