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Juifs et Chrétiens d'aujourd'hui
Qu'as-tu fait de ton frère ?

Les représentants des trois religions concordataires en Alsace-Moselle se sont associés à ce travail par de très beaux messages de fraternité. Ils contribuent ainsi à détruire les stéréotypes et les préjugés qui enferment les Juifs dans un ghetto mental, et montrent que les Églises catholique et protestante d'Alsace, après la Shoah, ont remis en cause l'enseignement du mépris. Ils offrent à tous une source d'espérance.

Gutman René Gutman, Grand Rabbin du Bas-Rhin

Parmi les arts, ce sont les arts plastiques, en tant qu'arts de l'espace, qui ont pour ainsi dire imité la Création. Mais les œuvres sont enfermées dans des galeries, des musées, des cabinets, chacune est séparée des autres par son cadre artistique, elle est sur un socle propre, dans des cartons… "chambres mortuaires de l'art" disait le philosophe Franz Rosensweig. Alors apparaît l'architecture et elle libère les œuvres prisonnières pour les conduire dans l'espace sacré des églises. Désormais, le peintre décore plafond et murs, ainsi que le riche reliquaire de l'autel ; le sculpteur décore les colonnes et frontons, piliers et corniches, le graveur décore le livre saint. Parmi les arts, ce sont les arts plastiques, en tant qu'arts de l'espace, qui ont pour ainsi dire imité la Création.

L'œuvre d'art qui semblait condamnéeà l'isolement, renaît à la vraie vie. Elle sort de son espace propre pour entrer dans un espace réel où elle prend elle-même pleine réalité, et où elle cesse d'être purement de l'art. Tel est l'art médiéval en Alsace quand il illustre la Synagogue, ou qu'il suggère le juif. Telle est la raison la plus profonde de ce mélange à la fois de haine et de fascination à l'égard des juifs, haine qui a recueilli l'héritage de la haine païenne hostile – rappelons-le – aux juifs comme aux premiers chrétiens.
Haine, à travers les caricatures parfois obscènes du juif, et fascination, comme l'a montré le Professeur Asch, pour la Synagogue figurée par une belle Dame, comme si cette haine, ce n'était rien d'autre que la haine de soi-même, dirigée contre le Témoin insupportable qui l'exhorte en silence par sa seule existence, par sa fidélité à la Loi qui pour le judaïsme rachète le monde, à l'instar du ressuscité pour l'Église.
Fascination et donc présence presque obsessionnelle du Juif dans l'art sacré comme si le chrétien, s'il n'avait pas le juif derrière lui, se perdrait où qu'il se trouve !
Si j'osais, je dirais qu'au-delà de la représentation du juif, même dans son aspect le plus violent, se révèlent les sentiments ultimes dont est capable le chrétien face à celui qui lui impose sa propre conscience. À Frédéric le Grand qui l'interrogeait sur
la preuve du christianisme, un pasteur pouvait répondre en toute logique : "Majesté, les Juifs !". De nous, les chrétiens ne peuvent douter. Notre existence garantit leur vérité. Aussi est-il parfaitement logique, d'un point de vue chrétien, que Paul fasse demeurer les Juifs jusqu'à la fin, jusqu'à ce que "la multitude des peuples soit entrée", c'est-à-dire, jusqu'au moment où le Fils rendra la royauté au Père. Le judaïsme qui continue, quant à lui, de vivre éternellement, au long des siècles, le judaïsme, attesté par " l'Ancien" ou le "Premier" Testament, et l'attestant lui-même par sa propre vie, le judaïsme donc, à travers l'art médiéval, a alimenté invisiblement les rayons qui sont devenus visibles dans l'art chrétien, et qui s'éparpillent pour entrer, pour tous les enfants de cette terre d'Alsace dans l'éternité.

Lienhard Marc Lienhard, Président de l'Alliance nationale des Églises luthériennes de France

À travers les siècles, les relations entre Chrétiens et Juifs s'inscrivent dans une ambivalence fondamentale : n'ont-ils pas été des frères ennemis ! Tantôt c'est la proximité et la solidarité qui ont prévalu, tantôt – et plus souvent – ce furent le rejet et la haine.

Au Moyen Âge, au moins jusqu'à la fin du 11e siècle, la cohabitation fut plutôt pacifique. Puis, en lien avec les deux premières croisades (1096 et 1146), la violence collective s'est déchaînée contre les Juifs. Des textes théologiques, mais aussi juridiques, prônent jusque vers 1140 à la fois la protection et l'ostracisme des communautés juives.
Dans une perspective théologique, le peuple juif est à la fois perçu comme témoin porteur d'une vérité, celle de l'Ancien Testament, mais aussi un peuple rejeté pour n'avoir pas su recevoir le Christ. À partir du 13e siècle, la situation des Juifs s'est dégradée, surtout dans les royaumes de France et d'Angleterre. Au sein de l'Empire romain germanique, ils jouissent longtemps de la protection de l'Empereur. En 1516 encore, l'Empereur Maximilien publie un privilège pour les Juifs d'Alsace. Mais aux 15e et 16e siècles, bien des territoires et villes de l'Empire avaient expulsé les Juifs. Les temps de violence, de persécution, n'ont pas manqué tout au long des siècles précédents, en rapport notamment avec les grandes épidémies dont les juifs furent rendus responsables.
La polémique a fait rage, préparée, dès les premiers siècles, par un certain nombre d'écrits des Pères de l'Église, y compris sous la plume de saint Augustin. Elle s'est exprimée par l'écrit, suscitant d'ailleurs aussi des réponses juives, telles que le Livre de l'Alliance de Joseph Kimhi (12e siècle). Plus répandu encore, et plus populaire, fut le recours à l'image. La Synagogue
aveugle fut représentée d'innombrables fois. Lors de l'expulsion des Juifs d'Angleterre, au 13e siècle, apparaissent les premières représentations de juifs à bonnet à quatre pointes. En Rhénanie, en Aragon et ailleurs encore, on caricature les juifs par des profils accentués. Les caractères physiques, tels que les nez pointus ou crochus, ou les vêtements et signes distinctifs obligatoires apparaissent à des moments et en des temps précis. D'autres images furent plus terribles encore.
Tout cela ne doit pas faire oublier la rencontre qui s'est produite autour de la Bible entre exégètes chrétiens et juifs, en particulier aux 12 et 13e siècles. Nous voici arrivés au 21e siècle et parvenus à d'autres relations entre chrétiens et juifs.
Près de nous émerge le sommet de la tragédie que fut la Shoah. Elle s'insère dans l'histoire séculaire d'une ancienne tradition antijuive, et les chrétiens y portent – hélas – une lourde responsabilité. Les luthériens, en particulier, ne peuvent occulter la violence des derniers écrits antijuifs de Luther, mais aussi d'autres passages où il oppose l'Évangile à la foi des juifs qu'il stigmatise comme religion des mérites. Le fait qu'il y ait aussi d'autres approches chez Luther ne peut faire oublier de tels textes et l'influence qu'ils ont pu exercer.
Les théologiens chrétiens d'aujourd'hui affirment l'élection permanente d'Israël, fondée sur la fidélité de Dieu à ses promesses. Ils relèvent que Jésus n'était pas seulement extérieurement membre du peuple juif. Selon un point de vue chrétien, son message est une continuation et un développement du Premier (ou Ancien) Testament. Ainsi, il ne s'agit pas d'opposer le Nouveau Testament à l'Ancien Testament. Malgré les interprétations divergentes de l'Ancien Testament par les chrétiens et les juifs, il est clair aujourd'hui pour les chrétiens que le Dieu de l'Ancien Testament est le Père de Jésus-Christ.
Pendant longtemps les chrétiens ont utilisé les réalités de la religion juive comme un repoussoir, alors que l'enseignement et la pratique chrétiennes ont en commun avec le judaïsme des éléments fondamentaux de la foi biblique et de la pratique cultuelle.
Nous sommes appelés aujourd'hui à redécouvrir les points communs de nos fois respectives, invités aussi à analyser la validité de ce qui nous sépare, et à faire disparaître les caricatures ancestrales. L'antisémitisme a malheureusement la vie dure. Il s'inscrit au fond des âges. Pourtant, nous osons croire aux forces du renouveau, de la repentance et du pardon.
Il s'agit de combattre aujourd'hui, ensemble, au service de l'homme, en lien avec Dieu, tel que la Bible nous le présente. Face aux nihilisme et matérialisme destructeurs de l'homme, c'est là notre vocation.

Joseph Doré Monseigneur Joseph Doré, Archevêque de Strasbourg

(En hommage déférent à Monsieur le Président Jean Kahn)

Chaque fois que nous regardons tant d'images, gravées, peintes ou sculptées, que les chrétiens du Moyen Âge ont voulu donner des juifs, de ceux du passé comme de ceux qui leur étaient contemporains, nous, chrétiens, sommes assaillis de sentiments divers.
L'étonnement d'abord : comment des disciples de Jésus ont-ils pu être aveuglés au point de ne plus voir dans lesjuifs les frères de sang de celui qu'ils confessent non seulement comme Fils du Très-Haut, mais également comme fils d'Israël, profondément ancré dans la religion de ses Pères ?
La honte ensuite : comment des croyants qui ont entendu cet enseignement ultime : "Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés", en sont-ils venus à se montrer aussi infidèles à ce commandement de l'amour du prochain, lorsque ce prochain était un juif ?
L'indignation enfin : non ! nous, chrétiens d'aujourd'hui, nous ne nous reconnaissons pas dans cette façon de voir nos frères juifs, elle nous scandalise, elle nous blesse ; et nous ne voulons plus regarder ces images, témoins d'une époque révolue et qui ne nous concerne pas.
Mais alors nous viennent à l'esprit les paroles si fortes que n'eut de cesse de proclamer le pape Jean-Paul II durant notre grand Jubilé de l'An 2000, nous appelant à la "purification de la mémoire", nous invitant à "panser les blessures du passé afin que plus jamais elles ne s'ouvrent" (discours d'arrivée à Tel Aviv).
Pour pouvoir être pansées, des blessures doivent être regardées avec attention, quel que soit le rejet qu'elles peuvent appeler. C'est pourquoi une exposition comme celle-ci ne peut être que salutaire. Elle nous aide à regarder courageusement notre passé et à reconnaître ces erreurs dont nous ne sommes pourtant pas personnellement responsables. Un nombre important de ces représentations traduisent le message qui fut pendant des siècles celui de chrétiens face au peuple juif et au judaïsme, et que le grand historien Jules Isaac a magistralement résumé par l'expression "enseignement du mépris" : "Peuple infidèle, qui n'a pas reconnu la visite de son Messie, sourd à ses paroles, aveugle à ses signes, devenu incapable de lire sa propre Écriture Sainte et les promesses de salut qu'elle contient, le peuple juif se trouve rejeté par Dieu, maudit, pour avoir failli à sa mission.
C'est bien ce qu'illustrent toutes ces images négatives montrant les Juifs, soit humiliés à cause de leur aveuglement, soit – comme dans le Moyen Âge finissant – défigurés par les multiples tares que révéla leur impardonnable péché de déicide. Quoi qu'il en soit de cette représentation, que le Juif soit encore digne dans son malheur (comme le montre la magnifique Synagogue de la cathédrale de Strasbourg) ou qu'il soit caricaturé, le message théologique reste le même : "c'est maintenant au peuple chrétien qu'est passée l'élection ; et l'Église, verus Israël, triomphe, elle qui confesse la vérité du salut apporté par le Christ."
Au Concile Vatican II, l'Église catholique a enfin révisé cet enseignement et compris combien il contredisait la Bible elle-même, et d'abord la parole de saint Paul affirmant que "les dons et l'appel de Dieu sont sans repentance". Le décret conciliaire Nostra Aetate (1965), point de départ du "nouveau regard" porté par l'Église catholique sur les Juifs, rappelait le "patrimoine spirituel" qui l'unit au peuple de la descendance d'Abraham, et condamnait l'accusation de déicide (§4).
L'épiscopat français, en particulier sous l'impulsion de Mgr Elchinger, évêque de Strasbourg, publiait en 1973 un document sur les relations judéo-chrétiennes d'une force encore inégalée, tandis que Jean-Paul II rappelait à maintes occasions la pérennité
de la Première Alliance, "qui ne fut jamais révoquée" par Dieu (Mayence, 1980, etc.). Aujourd'hui, c'est à la réconciliation et au dialogue fraternel que nous voulons œuvrer avec nos frères aînés. Mais nous devons avoir l'humilité de reconnaître que l'enseignement du mépris et la "théologie de la substitution" faisant de l'Église le Nouvel et unique Israël de Dieu imprègnent encore bien des esprits.
Seul un long travail d'éducation parviendra à en extirper tout germe d'antijudaïsme.
Seule une continuelle purification de la mémoire, les rendant conscients des tentations qui les habitent, ouvrira les chrétiens à la vigilance et à la responsabilité. À eux aussi est adressée cette parole par laquelle Dieu interpella Caïn : "Qu'as-tu fait de ton frère ?".
L'Église appelle aujourd'hui les chrétiens à s'engager sur ce chemin de conversion, les invitant à construire avec leurs frères juifs un avenir où, ensemble, ils pourront être "une bénédiction les uns pour
les autres" (Jean-Paul II, 1993).


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