Les derniers statuts des Juifs de Nancy et de Lorraine à la veille de 1789
par Simon SCHWARTZFUCHS
Actes des 16ème et 17ème Colloque de la Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine, 2004-2005


Les archives des Nations juives du Nord Est de la France, celles de Metz exceptées, ont mal survécu à la tourmente révolutionnaire. Il faut donc se contenter des rares épaves qui ont pu en être conservées. Parmi celles-ci il faut mentionner le Registre de correspondance de la Nation juive de Lorraine et les Takanoth ou règlements adoptés par la communauté de Nancy à la veille de la Révolution. Ces deux documents ont été rédigés en yiddish et en hébreu. Elles reflètent la vie de la Nation et des communautés juives de Lorraine à la veille de leur disparition .

Les Takanoth ou Tikounim, dont il sera question ici, ont été copiés sur un cahier de douze feuillets, dont la première ainsi que la dernière page sont restés vierges.
Ce petit registre ne contient que des décisions d'une portée générale et n'est donc pas un "Protokolbuch" qui reflète les petits événements de la vie quotidienne. Un tel registre a certainement été tenu à Nancy, mais il ne nous est pas parvenu.
On se demandera à juste titre quelle est la provenance de ce registre. Son existence était ignorée jusqu'à présent; il fut rédigé en son temps par le secrétaire-notaire assermenté de la Nation : Yeshayahu Rappschwir, autrement dit Isaïe de Ribeauvillé, lequel avait également tenu le registre de correspondance mentionné plus haut.

C'est grâce à la perestroïka, qui a ouvert les portes des bibliothèques russes, que son existence nous a été révélée. Le département des microfilms hébraïques de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Jérusalem s'est lancé à la suite de ces événements dans un intense programme de microfilmage dans les bibliothèques russes. Son directeur, M. Mordecai Richier, auquel j'exprime toute ma reconnaissance, a ainsi pu me signaler la présence d'un manuscrit - il porte le n° 1740 - qui lui semblait d'origine française au sein de la célèbre collection de manuscrits hébraïques du baron de Gunzbourg que conserve la Bibliothèque Nationale Russe, ex-Bibliothèque Lénine. C'est ainsi que j'ai pu identifier le manuscrit nancéien qui fait l'objet de la présente communication. Il a très probablement été acquis par le baron de Gunzbourg à Paris, où il a fait de nombreux séjours, et c'est à la suite de la confiscation de sa collection qu'il est arrivé dans l'ex-Bibliothèque Lénine, où il a finalement pu être retrouvé, conséquence inattendue de la chute du régime communiste.

Tel quel, ce règlement fait problème : concerne-t-il la communauté - Kahal - de Nancy ou celle - Nation ou Médinah - de Lorraine ? Il ressort de sa lecture que ces deux institutions étaient assez souvent, mais pas toujours, confondues ainsi qu'on pourra le constater par la suite. La communauté de Nancy, il convient de le rappeler, ne comptait pas moins d'une centaine de familles au cours des années qui nous intéressent ici, c'est à dire entre le 7 septembre 1788 et le 8 mai 1791, première et dernière dates portées par les documents qu'il conserve.

Intérieur de la synagogue de Nancy
On peut considérer que la communauté de Nancy était alors arrivée à maturité : elle avait pu acquérir un terrain pour son cimetière à la mi-1788 et procéder à la construction de sa nouvelle synagogue, qui sera inaugurée le 19 juin 1790. Il y a tout lieu de croire que cette suite d'événements convainquit les dirigeants de la communauté et de la Nation - ces derniers résidaient généralement à Nancy - que le moment était venu de procéder à la révision et même à la refonte de leurs règlements et de les consigner dans un nouveau registre qui serait ouvert à cet effet. Il est donc évident qu'un grand nombre de décisions ou de règlements datés de cette période sont en fait des confirmations ou des renouvellements et qu'il faut se garder de les considérer comme des "innovations".

Notre registre conserve le texte de quatorze décisions ou règlements relatifs aux sujets les plus divers. Ils seront brièvement analysés ici.

  1. Cette Takanah précise la démarche à suivre pour que les décisions qui sont sur le point d'être prises puissent être considérées comme contraignantes pour tous les membres de la communauté. Toute décision consignée dans le registre par les soins du secrétaire-notaire assermenté de la
    communauté de Nancy - il remplissait les mêmes fonctions auprès de la nation - devra être signée par les syndics de la communauté ou au moins par deux d'entre eux pour la rendre exécutoire "jusqu'à la venue du Messie", à moins d'une modification intervenue entretemps dans les formes prévues par les règlements en vigueur. Rien ne pourra être porté dans le registre qui n'ait recueilli l'accord préalable d'une commission composée de cinq personnes désignées par le sort d'une part et des syndics de l'autre. Ils seront autorisés à annuler ou modifier ce qui aura été décidé par leurs prédécesseurs. Par contre, le processus de prise de décision restera immuable. "Fait dans la chambre de la communauté en présence de la plupart des habitants de notre ville qui l'ont contresigné sur un document particulier qui sera déposé sous bonne garde dans la chambre de la communauté."
    La copie de ce document constitue le premier règlement consigné dans ce registre. Ici Nancy le dimanche 5 Eloul 548 selon le petit comput ,7 septembre 1788."
    Suivent les signatures du rabbin Jacon Eigger. Il n'est pas établi que ce personnage, qui siégera par la suite dans le Sanhédrin napoléonien, a occupé une fonction rabbinique auprès de la communauté nancéienne et il n'est pas impossible que la première place qu'il occupe ici constitue un hommage rendu au descendant de l'illustre lignée rabbinique dont il porte le nom, et de vingt cinq chefs de famille, y compris les syndics et les frères Lippmann et Théodore Cerf Berr. La présence de ces derniers ne saurait étonner : il est bien connu que leur père, le grand Cerf Berr, résidait alors à Tomblaine, à proximité de Nancy, où il avait fait l'acquisition d'une importante propriété.

  2. La deuxième délibération enregistrée dans ce registre concerne bien entendu la synagogue et le cimetière. Elle est précédée par l'indication suivante : "copie conforme du document déposé sous bonne garde dans la chambre de la communauté, veuille son roc la garder, qu'ils ont signé de leur main, ainsi qu'il sera précisé plus loin." Les membres de la communauté ratifient les dispositions prises jusqu'à présent par Meir Landau et Ber Orchel, syndics de la nation, pour l'achat du terrain du cimetière, l'érection d'une maison de purification et la construction de la nouvelle synagogue, ainsi que celles qu'eux ou les syndics qui leur succéderont seront appelés, à prendre à l'avenir. Ils devront cependant se faire assister, avant de prendre toute nouvelle disposition qui risque d'entraîner une dépense supplémentaire, par trois autres représentants de la communauté qui seront tirés au sort. (Leur nombre devait bientôt être porté à cinq.) Les décisions seront prises à la majorité des votants.
    Il fut également stipulé que le montant des sommes exigibles des contribuables pour ce supplément de dépenses serait établi sur la double base de la capitation (Rosh Bayith) et de la fortune (Erekh).
    Ce règlement fut adopté, comme le précédent, le 5 Eloul 548 (7-9-1788). Il fut signé cette fois - les signatures sont figurées - par 57 membres de la communauté, parmi lesquels on peut dénombrer au moins trois femmes, toutes veuves. Deux noms apparaissent en caractères latins, mais il n'est pas impossible que leurs porteurs aient signé une deuxième fois en hébreu.

  3. Le surlendemain mardi 7 Eloul 548 (9-9­1788) les syndics décidèrent de nommer un syndic supplémentaire et de porter le nombre des administrateurs non-syndics à neuf . Ces derniers ayant communiqué leur accord pour leur désignation, il fut décidé de nommer Hirts Bische comme syndic des Juifs de Lorraine. Il s'agissait à l'évidence de Cerf Berr, qui était généralement connu sous le nom de Hirts de Bischheim, faubourg de Strasbourg où il avait longtemps résidé. Étant donné que l'on n'était pas sûr de son acceptation, il fut décidé que tous, les syndics en tête, se rendraient auprès de lui dans sa résidence de Tomblaine pour l'implorer de ne pas refuser et aussi pour l'honorer. On lui offrirait à cette occasion la première place dans l'enceinte des hommes de la nouvelle synagogue, de même que le droit de résidence, sans exiger aucune contrepartie. Cerf Berr ayant communiqué son accord, on se réunit le lendemain pour en prendre acte, non sans remarquer que la communauté de Metz l'avait déjà porté aux fonctions de syndic.

  4. Les travaux du cimetière ayant bien avancé, une réunion eut lieu le dimanche 19 Eloul (21-9-1788) dans la chambre de la communauté, sous la présidence de Jacob Schweich, le rabbin des Juifs de Lorraine,
    pour pourvoir à l'organisation des cérémonies qui allaient marquer son inauguration. Le texte d'une proclamation qui devait être lue le lendemain dans la synagogue après la lecture de la Torah fut adopté. Elle devait rappeler aux fidèles que le dimanche 5 Eloul précédent (7-9-1788) une cérémonie s'était déjà déroulée, au cours de laquelle l'enceinte du cimetière avait été définie à l'aide d'une corde composée de mèches qui serviraient par la suite à l'allumage de la lumière éternelle qui se trouve dans la synagogue. Des Psaumes avaient été récités et une prière composée pour cette occasion par le rabbin, avait été lue.
    ûne particulier avait été proclamé, ainsi qu'il est d'usage dans toutes les communautés d'Israël. Il était irrévocablement fixé au jeudi 25 septembre prochain et de nombreuses prières et lamentations devaient y être lues. Tous les fidèles étaient instamment priés d'y participer. A cet effet il avait été décidé que : - toutes les réunions de prières particulières, y compris dans les maisons de deuil, seront interdites ce jour ;
    - les enfants devront assister à cet office à partir de l'âge de six ans révolus ;
    - le rabbin communiquera l'ordre des prières qui seront dites à l'office du matin ; les règles relatives aux jeûnes publics seront appliquées en cette circonstance ;
    - chacun, homme, femme ou enfant, fera un don de 4 sous et demi, qui sera déposé dans la synagogue ;
    - les fonds recueillis ainsi seront immédiatement distribués aux pauvres ;
    - tous devront jeûner, les hommes à partir de l'âge de 13 ans et les femmes à partir de 12 ans.
    Les malades ou autres personnes empêchées s'adresseront au rabbin pour lui demander s'ils sont dispensés du jeûne. Il leur faudra dans ce cas racheter le jeûne selon le tarif prévu. Ces fonds seront versés au compte de l'hospice.


  5. La demande des deux frères Joseph et Leizer, fils de Néta de Lunéville, et de leur père d'être admis à faire partie de la communauté de Nancy, d'y obtenir le droit de résidence et d'y payer toutes les charges accoutumées, est agréée le 23 Eloul 548 (25­9-1788), "car il est de notre devoir de rapprocher nos frères Juif, qui désirent se conduire comme la communauté et se plier à tout ce qu'elle pourra décider à partir de ce jour ."

  6. Pour la première fois depuis son élection, Cerf Berr préside le dimanche 26 Chevat 549 (22-2-1789) une assemblée réunie à la demande des syndics pour examiner et préciser divers articles de son règlement. Il est décidé que les syndics et administrateurs se réuniront une fois par semaine, le dimanche, pour veiller aux affaires de la communauté et apaiser les différends éventuels. Cerf Berr ayant été dispensé de cette obligation, un syndic supplémentaire - Wolf Orschel - qui communique son accord est élu pour assister les autres. Il est rappelé que leurs décisions seront contraignantes pour tous leurs administrés. Deux députés - Wolf Eigger et Leima Landau - sont nommés pour une année pour assister les syndics pour tout ce qui concerne la construction de la nouvelle synagogue, l'exploitation du cimetière et l'ouverture de 1'hospice.
    Dix neuf , signatures suivent le texte de ces décisions. Cerf Berr n'a pas signé. Il avait sans doute quitté la réunion avant la fin.


  7. Les syndics, les députés et une grande partie des membres de la communauté se réunissent le dimanche 27 Sivan 549 (21 juin 1789) pour examiner les problèmes posés par le financement de la construction de la nouvelle synagogue
    Quatorze personnes ont signé.


  8. Le passage à Nancy d'un Yerushalmi de Tibériade le dimanche 4 Tamouz 549 (28 juin 1789) est signalé. On lui a remis six louis d'or neufs, soit 48 livres, sur la Caisse de Terre Sainte.
    Le secrétaire-notaire Isaïe de Ribeauvillé signe seul.

  9. Les dénommés Kaufman Brisac et Leizer fils de Simon Arieh se présentent le jeudi 8 Tamouz 549 (2-7-1789) dans la salle de la communauté et demandent à faire partie de la communauté de Nancy. Ils s'engagent à payer l'impôt selon leur fortune et selon les règlements qui seront en vigueur. La communauté décide de les recevoir et de leur accorder le droit de résidence, car son devoir est de rapprocher ceux qui sont loin.
    Les syndics ont signé avec les intéressés.

  10. Il est décidé dans l'assemblée qui a été convoquée le lundi douze Tamouz 549 (6-7­1789) que la communauté tiendra désormais un Protokolbuch, où seront consignées toutes les décisions particulières qui seront prises et qui n'ont pas un caractère permanent. Ces dernières seront consignées dans un registre particulier. Les décisions portées dans les deux registres seront contraignantes.
    Cinq signatures suivent, dont celles des syndics.

  11. Un règlement relatif aux "Pletten" ou billets de logement distribués aux Juifs de passage et aux malades qui résident à l'hospice est adopté le jeudi premier jour de la néoménie d'Adar 549 (26-2-1789). 11 a été convenu que chacun devrait remettre avec son Plett ou billet la somme de deux sous. Les particuliers seront ainsi dispensées de payer la nuitée (Schlafgeld) des intéressés. Les membres de la communauté qui n'ont pas les moyens de payer cette somme remettront douze billets au lieu de dix. Les personnes fortunées qui émettent plus de 50 Pletten verseront la contrepartie de cinq Pletten en espèces - quinze sous par Plett - et compenseront ainsi les sommes que les membres les plus défavorisés n'auront pas versées.
    Le dénommé Leib Rehns , qui est préposé aux malades de l'hospice, recevra quotidiennement pour leur entretien la somme de 18 sous par malade et pour chaque femme qui y aura fait ses couches. Il ne pourra prétendre à rien de plus pour leur nourriture, boisson, chauffage ou éclairage. Quant aux hôtes de passage qui auront été admis à l'hospice, il percevra la somme de 10 sous pour chaque jour de la semaine où ils se trouveront à l'hospice et la même somme pour chaque repas du Shabath qu'ils y prendront. Il devra leur servir pour chaque repas Shabathique une chope de vin.
    Dix personnes ont signé cette délibération, qui a été transcrite sur le registre le lundi onze Av 54 (3-8-1789) par Isaïe de Ribeauvillé, secrétaire-notaire de la nation.

  12. Le cimetière israélite Preville à Nancy
    A la suite d'un oubli, le règlement général de la Hévra Kadicha, la sainte confrérie du dernier devoir, qui a été ratifié le mardi 27 Tichri 549 (8-10-1788), n'a été transcrit dans le registre que le mercredi 13 Av 549 (5-8­1789). Il concerne aussi bien les malades, les mourants que les morts et ne comprend pas moins de 32 articles.

    Au cas où un membre de la confrérie tomberait gravement malade, deux autres membres seront immédiatement alertés et viendront passer la nuit à son chevet. A cet effet les deux syndics de la Hévra, assistés de son Chamach ou huissier, procéderont au tirage au sort des membres de la confrérie et établiront ainsi la liste de veilleurs qui seront convoqués à tour de rôle pour remplir cette obligation. Les absents seront remplacés par les membres de la Hévra dont les noms suivent sur la liste. Ils devront cependant payer la moitié de l'amende réglementaire. Ceux qui ne voudront pas se présenter pourront se faire remplacer par un membre de la confrérie et payeront une amende du montant de 15 sous.
    Les syndics de la Hévra pourront louer, le cas échéant, les services d'un garde-malade, qui ne saurait toutefois être membre de la confrérie. Au cas où le malade serait une femme, les syndics loueront les services de deux gardes-malades aux frais de la confrérie. Les femmes pourront d'ailleurs créer une Hévra de femmes : dans ce cas la Hévra des hommes sera déchargée de toute responsabilité envers elles.
    Si l'état du malade est tel qu'il exige également une garde de jour, on procédera comme pour la nuit. Au cas où le ou la malade se trouve être une personne indigente qui n'est pas membre de la Hévra, les syndics rétribueront aux frais de la confrérie un homme ou une femme pour le ou la veiller de jour et de nuit . Au cas où la vie du malade serait en danger, ils engageront deux gardes. Quand les syndics seront convaincus que l'état du malade membre de la confrérie est critique, ils convoqueront les membres de la confrérie à la synagogue pour y réciter des psaumes et dire les prières de circonstance. Les absents seront mis à l'amende. On procédera ensuite à une quête dont le produit sera remis au malade, s'il est pauvre, ou distribué aux pauvres de la communauté dans le cas contraire. Dans le cas d'un malade qui ne serait pas membre de la confrérie, on les convoquera de la même manière, mais les défaillants ne payeront pas d'amende. Si le malade est un enfant de moins de treize ans et que sa vie soit en danger, on engagera pour lui un garde-malade de jour et de nuit aux frais de la confrérie. Il sera procédé pour les prières à la synagogue comme plus haut.
    Quand les syndics s'apercevront que le malade, qu'il soit membre ou non de la confrérie, agonise, ils ordonneront au Chamach de convoquer sur le champ les membres de la sainte confrérie pour qu'ils viennent réciter les prières d'usage. Les défaillants seront mis à l'amende.
    Le règlement précise ensuite les obligations des membres de la Hévra en cas de décès. Ils déposeront le corps par terre et tireront au sort les noms des six ou huit membres de la confrérie qui seront chargés de creuser la tombe. Une fois que ce travail aura été commencé, ils en informeront le syndic, qui réunira alors les autres membres de la confrérie et ceux-ci construiront alors le cercueil avec les planches préparées à cet effet. Les héritiers du défunt verseront à la Hévra six livres pour le cercueil d'un adulte et trois pour celui d'un enfant. Six hommes porteront le cercueil jusqu'au cimetière, deux du côté de la tête, deux du côté des pieds et deux au milieu. Les équipes de porteurs accompliront cette tâche à tour de rôle, de
    telle sorte que tous les membres de la Hévra puissent y participer. Tous les membres de la Hévra, à l'exception des fossoyeurs, participeront à la purification du corps.
    Dans le cas où le décès se serait produit dans la famille d'un membre de la Hévra, dix de ses membres devront assister matin et soir aux prières dans la maison du défunt pendant la semaine de deuil, sauf le samedi. Ils y procéderont à chaque fois à une étude sacrée. Plusieurs des articles qui suivent précisent les devoirs des membres de la confrérie : étude du Shabath, cotisations mensuelles, frais d'adhésion à la Hévra, dons faits dans la synagogue après la lecture de la Torah, etc. Les membres de la Hévra s'imposeront un jeûne le premier Nissan ainsi que le premier Tichri et assisteront ensuite à l'office de Yom Kippour Katan.

    Les syndics et les députés seront tirés au sort, mais les seuls contribuables possédant au moins 6000 livres pourront présenter leur candidature. Les membres non autochtones de la confrérie ne pourront pas non plus soumettre leur candidature au cours des trois premières années de l'existence de la Hévra. Le premier élu sera le premier syndic et celui qui suivra le second syndic. Les trois suivants seront les députés. Leur mandat sera d'un an et ils ne pourront renouveler leur candidature que lorsque tous les candidats possibles auront accompli leur année de service. Tout refus de remplir lers fonctions de syndic sera sanctionné par une amende.
    Le premier syndic tiendra la caisse et sera responsable des dépenses ; le second s'occupera des amendes. Le premier syndic rendra compte de sa gestion et remettra sa caisse aux députés à la fin de son mandat. Les syndics seront tenus de visiter les malades, de s'enquérir de leur état et de se prononcer sur la nécessité de leur désigner des gardes-malades. En cas de difficulté les syndics pourront s'adjoindre les trois députés pour en délibérer. Ils pourront également convoquer une assemblée plénière de la confrérie pour lui demander de se prononcer. Les membres de la confrérie se réuniront chez le premier syndic la veille de la néoménie d'Eloul pour la désignation des nouveaux syndics et députés. Lecture y sera donnée de ce règlement pour le modifier le cas échéant. Les modifications proposées devront recevoir l'agrément des syndics de la Nation.
    Les syndics organiseront chaque premier Nissan un banquet pour les membres de la confrérie aux frais de la caisse de la Hevra et avec la participation de ses membres.
    Une fois la sainte confrérie bien établie, nul, sinon ses membres, ne sera plus autorisé à creuser la tombe, à participer à la fabrication du cercueil ou à la purification du corps du défunt.

    Au cas où un Juif étranger, qui n'a aucun droit ici, venait à mourir, la communauté ne pourra réclamer des sommes injustifiées à sa succession. Les héritiers payeront le prix de l'emplacement de la tombe à la communauté et le tiers de cette somme à la Hévra. S'il arrive que la communauté décide pour quelque raison que ce soit de repousser la date de son inhumation, les dirigeants de la Hévra seront tenus d'obtempérer.
    Pas moins de vingt neuf chefs de famille, dont le Chamach Mathatias (Matess) fils de Samson, ont signé ce règlement le 27 Tichri 548 (8-10-1788). Les syndics le ratifient le jeudi soir premier Adar (26-2­1789).


  13. Le dimanche trente troisième jour de l'Omer (2-5-1790) les membres de la communauté adoptent un règlement général qui ne compte pas moins de 70 articles.
    Le premier expose que les membres de la communauté sont solidairement propriétaires de ses biens et qu'ils ne sauraient en disposer sans l'accord de la communauté tout entière, ce qui revient à déclarer qu'ils sont inaliénables. La seule exception prévue concerne les places dans la synagogue dont il sera possible de disposer dans des conditions qui seront précisées. Les personnes sans droit dans la synagogue ne pourront pas exprimer d'avis dans l'assemblée générale et elles ne seront pas tenues d'y assister.
    Les meilleures places dans la synagogue seront attribuées aux membres les plus fortunés et les plus imposés de la communauté et ainsi de suite. Ils en payeront bien entendu le prix annuellement. La meilleure place sera réservée à Hirts Bische (Cerf Berr). Diverses places sont attribuées aux épouses du rabbin et de l'huissier, ainsi qu'à la veuve du rabbin précédent.
    Aussi longtemps que la communauté n'aura pu disposer de toutes les places dans la synagogue, il sera interdit aux particuliers de louer et de vendre les leurs. Aucune vente ne pourra devenir effective avant que le vendeur et l'acheteur ne se soient présentés dans la salle de la communauté pour recueillir l'agrément de cette dernière et faire enregistrer le nom du nouveau propriétaire. Personne ne pourra prétendre s'installer sur quelque place que ce soit hors l'accord de son propriétaire. Ceux qui n'auront pas acheté ou loué une place, encore qu'ils en aient les moyens, prieront debout dans l'espace vide de meubles de la synagogue.

    Pour faire respecter l'ordre dans la synagogue, on fera choix de deux commissaires-surveillants parmi les membres de la communauté. Tous seront tenus de leur obéir et on en choisira de nouveaux chaque année. Ils pourront cependant être réélus après une interruption d'un an.
    On proclamera régulièrement l'horaire des offices tel que le rabbin l'aura fixé et on s'y tiendra très rigoureusement. Nul ne pourra officier sans la permission expresse des commissaires-surveillants. Les officiant ou lecteurs de la loi seront tenus de revêtir le manteau et de porter le chapeau large (breit Haub), qui seront achetés par la communauté. Les membres de la communauté payeront une capitation de 24 livres et une taxe de 4 livres pour mille sur leur fortune. Les défaillants perdront leurs places dans la synagogue . Les veuves payeront la moitié de la capitation et un impôt réduit.

    Chaque membre de la communauté, qui est astreint au payement de l'impôt, sera tenu d'émettre annuellement dix Pletten désignés sous le nom de "Pletten du chef d'hôtel", cinq pour les nuitées et cinq donnant droit à trois repas. Pour chaque millier de livres de fortune il émettra deux Pletten supplémentaires, l'un pour la semaine et l'autre pour le jour du Shabath. Un Plett de jour de fête correspondra à deux Pletten de Shabath.
    On ne distribuera pas plus de dix Pletten par jour de semaine et pas plus de cinq jours par semaine. On n'en distribuera pas plus de trente pour le Shabath et les jours de fête
    La personne qui aura été élue trésorier de l'hospice sera munie de deux urnes à Pletten, l'une qui contiendra eux de la semaine et l'autre ceux du Shabath et des jours de fête . Elle remettra chaque semaine au responsable des Pletten le nombre des Pletten prévus, à savoir cinquante pour la semaine et trente pour le Shabath. Ce dernier fera savoir la semaine suivante s'il lui en est resté. Ils seront déduits dans ce cas de la quantité prévue pour la semaine suivante.
    La personne de passage qui aura reçu un Plett de semaine ou du Shabath ne pourra pas en recevoir un autre avant trois mois écoulés. Le responsable de l'hospice en tiendra la liste, puisqu'il est le seul à pouvoir le faire. Les porteurs de Plett seront adressés aux émetteurs, en prenant garde de ne pas diriger plus de deux le Shabath et plus de trois la semaine vers les contribuables les plus fortunés et plus d'un vers les autres. Personne ne pourra refuser ce recevoir l'hôte qui lui aura été assigné Les Pletten de l'année devront être remis au responsable le premier Iyar au plus tard.
    Dans le cas où l'hôte de passage se révélerait être un personnage d'importance, il sera reçu trois jours de suite, même au cours de la semaine. La communauté ne le nourrira plus les jours qui suivent et il conviendra de l'en avertir. Un chantre et des choristes ambulants ou un homme de Jérusalem ou un rabbin de passage jouiront également d'un traitement préférentiel et seront reçus plus longtemps. Le mari d'une femme qui aura accouché d'un fils dans l'hospice, recevra des Pletten qui lui permettront de rester jusqu'à trois jours après la circoncision, et pour quatre jours au cas elle aurait donné le jour à une fille.

    Le membre de la communauté qui possède des places dans la synagogue et qui voudra quitter la ville pour aller s'installer ailleurs, devra régler ses comptes avec la communauté, étant donné qu'il doit participer pour sa part au remboursement des sommes empruntées pour la construction de la synagogue. On procédera au même calcul à la suite d'un décès.
    Les personnes étrangères à la communauté, auxquelles l'autorisation d'inhumation dans le cimetière aura été accordée, se concerteront avec les syndics pour fixer le montant de leur cotisation annuelle à la caisse de la communauté.
    Outre les commissaires-surveillants, la communauté fera choix d'un trésorier qui aura la haute main sur toutes lesdites recettes et dépenses. Alors que les surveillants ne pourront accéder à leurs fonctions que s'ils remplissent les trois conditions suivantes : payer plus de 100 livres par an à la caisse de la communauté, y avoir résidé depuis au moins deux ans et être marié depuis au moins dix ans, le trésorier, quant à lui, sera tenu de payer au moins 140 livres par an à la caisse de la communauté et devra être marié depuis six ans et avoir résidé sans interruption, à Nancy depuis deux années au moins, au cours desquelles il aura contribué à la caisse de la communauté. Le responsable de la caisse de charité devra avoir contribué depuis deux ans pour au moins 60 livres par an à la caisse de la communauté et être marié depuis deux ans au moins. Il maintiendra le bon
    ordre dans la synagogue quand les commissaires-surveillants et le trésorier ne s'y trouveront pas.
    Une place gratuite est attribuée sa vie durant au ministre-officiant Isaïe qui remplit ses fonctions depuis trente ans déjà.
    Les surveillants auront tous les documents de la communauté sous leur garde et contrôleront les activités de son secrétaire. Le présent règlement devant être prêt pour l'inauguration de la nouvelle synagogue, il a fallu faire vite. Il faudra donc réexaminer certains de ses articles par la suite.
    Ce règlement a été enregistré dans le registre de la communauté le mardi 26 Sivan 590 (8-9­1790). Il a été signé le même jour par quarante sept personnes, parmi lesquelles quatre femmes ainsi que Théodore et Lippman Cerf Berr.

    Là-dessus on se réunit pour élire les dignitaires de la communauté. Furent alors élus :
    Premier commissaire-surveillant : Hirtz Medelsheim, qui n'est autre que Cerf Berr; Deuxième commissaire-surveillant : Meir Landau;
    Trésorier : Leima Landau;
    Trésorier de la caisse de charité : Ruben Schlesinger.
    Treize membres de la communauté signent le procès-verbal d'élection. Les fils de Cerf Berr ne semblent pas y avoir participé.

  14. Le dimanche 551 (fin 1790?), Meir Landau, le deuxième commissaire-surveillant, rend compte à l'assemblée de la communauté que Cerf Berr, qui a été élu premier commissaire-surveillant, a écrit le jeudi onze Kislev écoulé (18-11-1790) pour faire savoir qu'il refuse son élection, sur quoi l'assemblée décide de l'annuler et de prier Meir Landau de remplir cette fonction qu'il assumait déjà dans les faits. Ce dernier donne son accord. Il n'était pas nécessaire de consigner ces faits dans le registre, mais il a été décidé d'y procéder néanmoins parce que l'élection de Cerf Berr y a été mentionnée en son temps.
    Cette délibération a été signée à l'époque par quatorze personnes. Son insertion dans le registre le dimanche 4 Iyar 551 (8-5‑1791), est suivie de deux signatures, celles de Lippman Cerf Berr et de Wolf Eigger.

C'est sur cette délibération que le registre s'arrête. La raison du retrait de Cerf Berr n'est pas indiquée, mais il n'est pas interdit de penser que l'intense activité politique à laquelle il se livrait alors en faveur de l'amélioration des conditions de vie des Juifs de France n'y est pas totalement étrangère. Déjà syndic de la nation juive de la Province d'Alsace et de celle de la Généralité de Metz, il était également devenu le lundi 28 Tamouz 546 (24-7-1786) le premier syndic de la nation juive du duché de Lorraine et il ne se souciait sans doute pas de remplir une fonction semblable sur le plan local de la communauté de Nancy. Quoiqu'il en ait été, le lecteur ne manquera pas d'être intrigué par l'étrange silence que garde notre registre concernant les événements qui se déroulaient alors en France au cours de ces années fatidiques. Les Juifs de Nancy savaient très bien ce qui se passait alors dans le Royaume et ils avaient été eux-mêmes inquiétés par la "révolte" qui avait éclaté dans leur ville la semaine qui précédait le 27 mars 1789. Leurs maisons avaient été pillées et les autorités avaient dû envoyer les troupes pour mettre fin à ce mouvement.

Tout semble donc indiquer que les réformes révolutionnaires ont beaucoup surpris les Juifs de Nancy et pas seulement eux. Ils espéraient une amélioration de leur condition, mais n'attendaient pas une révolution. Ils n'imaginaient pas que leur nation et leurs communautés puissent être un jour dissoutes pour devenir des organisations volontaires et religieuses et n'éprouvaient aucun besoin de s'y préparer. Les statuts adoptés à la veille de la Révolution étaient destinés à perpétuer un passé qui leur était cher et non pas à préparer leur entrée dans les temps modernes. Ils n'étaient pas brouillés avec ce passé et n'entendaient pas y mettre fin. L'esprit et la lettre de leurs statuts en témoignent.


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