Traduit de l’allemand par Colette STRAUSS-HIVA

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Non sans les plus sages intentions, le 28 janvier (1) , l’Assemblée Nationale a conforté les Juifs du Portugal, d’Espagne et d’Avignon dans la possession de tous les droits qui leur avaient été déjà reconnus par des Lettres Patentes du Roi ; ce faisant, avec non moins de justice, elle a déclaré que LES JUIFS CI-DESSUS DESIGNES SERONT DESORMAIS CONSIDERES COMME DES CITOYENS ACTIFS, SI AUCUNE DES CONDITIONS REQUISES NE LEUR FAIT DEFAUT. Pourtant, cette disposition légale peut-elle vraiment légitimer la demande formulée par les Juifs d’Alsace de bénéficier des mêmes prérogatives ? Ou est-elle, au contraire, de nature à contrecarrer leurs demandes excessives ? Car entre les premiers et ces derniers subsiste une différence patente : les premiers jouissent de privilèges spécifiques, qui leur ont été reconnus depuis deux siècles (2), tandis que les derniers ne peuvent rien justifier de tel ; entre eux n’existe nulle autre similitude, nulle autre caractéristique commune que leur communauté d’origine et de religion.

Cet aspect n’échappe pas à la conscience des Juifs d’Alsace ; de sorte que dans leur présente requête, ils ne se fondent pas sur un acquis qu’ils possèdent DE FAIT et de par la loi, mais sur l’acquisition d’un droit NOUVEAU (3). S’ils réussissent à atteindre leur but, c’en est fini de notre prospérité, et nous subirons inévitablement un préjudice irrémédiable affectant l’ensemble de nos activités commerciales et industrielles, et de nos biens.

Toutefois, leur hardiesse ne s’arrêtant pas là, ils vont jusqu’à fonder leurs demandes en partie sur les droits de l’Homme et du Sujet qui leurs sont indéniablement reconnus ; mais aussi sur l’utilité et sur la prospérité de la France qui ne saurait leur refuser cette prétendue justice sans les contraindre à détourner leur richesse ainsi que leurs activités lucratives au bénéfice de peuples voisins, et à se venger (4) par là-même, autant qu’il se peut, contre ceux qui les traitent de la sorte. Mais, selon eux, cette vengeance reviendrait alors à ce que, comme jadis, ils se soucient de leur propre bien-être et non du bien-être de la patrie.

Après ces menaces teintées de provocation, ils font grand cas des dures servitudes sous lesquelles ils ont tant gémi durant de longues d’années. A leurs dires, si l’Assemblée Nationale ne les avait déjà supprimées, ces mêmes servitudes pèseraient certainement lourd dans la reconnaissance du bienfondé de leur présente demande. Enfin, ils osent imputer notre opposition légitime contre leur requête à de prétendus préjugés fielleux dont ils nous accusent avec infamie, voire à un manque de tolérance, lequel est pourtant inconnu chez nous, comme il se doit chez tout citoyen honnête.
Puissent les Juifs cesser enfin d’user de manigances aussi tortueuses ! Puissent-ils enfin comprendre que cette sublime morale qu’ils ont été les premiers à recevoir de Dieu avant de nous la transmettre comme un précieux trésor, continue de demeurer parmi nous, intacte et authentique ; puisse l’amour fraternel qui constitue la base de leur loi, demeurer également bien vivant dans nos cœurs ; et qu’au lieu de les haïr, et de les mépriser, choses toutes deux contraires à l’humanité, à la raison et à la religion, nous reconnaissions unanimement qu’en incluant dans l’ensemble de Son œuvre cette sage inégalité si nécessaire à la cohésion de toute société humaine, le Créateur nous a dotés d’un degré d’humanité identique au leur ; qu’en tant qu’hommes en tout point semblables à nous, ils possèdent les mêmes caractères, la même aptitude à la vertu, et qu’ils ont donc tout autant que nous droit aux gratifications ; qu’en un mot, vu sous cet angle, ils vivent en tant qu’hommes, à nos côtés, et sont nos frères.

Mais tout cela est étranger à la question présente. Ces caractères si nobles, brièvement mentionnés ci-dessus et que nous leur reconnaissons, illustrent certes ce que devraient être les Juifs mais non pas ce qu’ils sont vraiment, et vouloir en déduire quelque conséquence quant à leur acceptation parmi nous serait aussi absurde que de prétexter qu’il soit possible de corriger aisément les insuffisances inhérentes aux Juifs et, partant, de les rendre aptes et dignes de la communauté des citoyens à laquelle ils aspirent si ardemment.

Il importe d’élucider la question posée en considérant uniquement ce que les Juifs sont REELLEMENT ; ce qu’ils ONT ETE de tout temps et continuent d’être réellement permettra de déduire ce qu’à l’avenir ils pourraient encore être parmi nous ; en outre, vu l’état passé et présent des Juifs, n’est-il pas évident que l’accession aux droits civiques qu’ils sollicitent entrainerait le déclin de notre ville, l’inévitable dépravation de l’ensemble de ses habitants ?

De fait, tous les livres d’histoire prouvent qu’en tous lieux, depuis leur dispersion, les Juifs ont pratiqué l’usure. Il est notoire que sur les 20 000 (5) d’entre eux qui habitent notre Alsace, la majorité vit d’escroqueries et d’usure. S’il est irréfutablement attesté que faute d’aptitudes artistiques et faute d’artisans qui les détestent, ils ne pourront que poursuivre indéfiniment ce genre de filouteries corruptrices, et démonstration sera faite que, pareille à un arbre privé de sa sève, notre communauté aura tôt fait d’y perdre toute sa vigueur. De plus la dépravation de nos habitants actuels n’entraînerait-elle pas nécessairement celle de nos descendants ?

En quoi consiste vraiment le souhait des Juifs d’Alsace ? Ce qu’ils souhaitent, c’est le droit de s’établir à leur guise dans tout le pays. Mais qu’adviendra-t-il si ce droit leur est concédé ? Pour apporter une réponse correcteà cette question il suffit de mettre en lumière leur propre écrit, leur requête, les termes employés par leur défenseur.

Celui-ci affirme, sans le moindre détour (6), qu’après avoir obtenu les droits civiques, les Juifs s’installeront de préférence dans les villes ; qu’ils œuvreront dans les arts et l’artisanat ; que ceux d’entre eux qui possèdent quelque fortune achèteront des terrains et se livreront à l’agriculture ou au commerce ; ce faisant, il nous prévient que ces mêmes Juifs, précisément, du fait qu’ils manquent d’expérience tant dans les arts que de l’artisanat (7), poursuivront leurs activités passées, mais que, de son propre aveu, celles-ci ne sont autres que l’usure (8), dont héritent la plupart des Juifs d’Alsace (8) ; et fort justement il ajoute que l’usure ayant déjà été tolérée durant des siècles, pourquoi ne pourrait-on continuer à la tolérer pendant quelque temps, soit pendant ving ou trente ans ?

A ce genre de motivations absurdes, qui ne peuvent qu’anéantir le souhait des Juifs eux-mêmes, ajoutons également les motifs inclus dans leur requête. Ils reconnaissent consciemment le commerce comme étant leur principale activité favorite puisque la plupart des autres métiers leur est interdite ; en conséquence, ils affirment que dès l’obtention des droits civiques le commerce prospèrera et se développera ; ils nous rassurent aussi en arguant d’une augmentation considérable de la population (9), imputant ce processus en partie à leur loi qui l’encourage et l’ordonne, mais aussi à l’afflux massif de Juifs étrangers qui, empêchés ailleurs d’exercer leur métier, se hâteront d’arriver, animés du désir de partager avec le reste de leurs coreligionnaires, au milieu de nous, les bénéfices de la liberté.

Cette évolution des choses fera de Strasbourg la principale ville alsacienne par la taille et la population, et conséquemment, pour des usuriers fieffés, le lieu idéal (10) voire central où se rassemblera une foule de Juifs venus d’ici et d’ailleurs ; les uns, certes, voulant poursuivre parmi nous l’usure, jusqu’ici unique activité de leur vie excentrique, fourniront, jour après jour, à nos enfants et notre voisinage de nouvelles occasions de tromperie; les autres, en revanche, afflueront dans le but d’accaparer la totalité de nos activités commerciales, et de surcroit ils captiveront les pauvres gens, incapables d’estimer la qualité des marchandises, en usant de l’attrait d’un prix inférieur, ce qui ne manquera pas d’entrainer le déclin de nos métiers et l’effondrement de notre prospérité.

En vain objectera-t-on que jusqu’ici, les Juifs ont dû se limiter à ce genre d’activités commerciales pénalisantes à cause de lois qui leur étaient défavorables, et qu’ils y ont subi les contraintes de diverses servitudes sur lesquelles ils ont si longtemps gémi, voire la pire détresse qui ne connait aucune loi. Cela nous importe peu : le mal n’en sera pas éradiqué pour autant, les calamités que nous craignons n’en seront pas mieux bannies ; de plus, à quoi bon connaitre la source d’un mal alors qu’il est profondément enraciné et devenu déjà incurable ? Après un tableau fidèle de la situation présente, que les Juifs eux-mêmes ne sauraient réfuter puisqu’il n’est autre qu’un extrait de leur écrit et résume l’expression même de leur propre aveu et de la conséquence qui en découle, qui pourrait être aveugle au sort funeste qui s’abattrait fatalement sur Strasbourg si elle venait à accueillir les Juifs ? Dès lors, qui oserait encore imaginer donner son aval à un projet dont la réalisation causerait la perdition de plus de CINQUANTE MILLE personnes, et profiterait à un peuple étranger dénué de toute légitimité, de tout droit à bénéficier de nos biens et de nos avantages ? (11)

Est-ce la juste récompense réservée à Strasbourg pour avoir, magnanime, renoncé volontairement aux droits les plus beaux ? Faut-il vraiment voirlà le premier fruit de cette noble liberté avec laquelle cette ville a fondu tous ses avantages avec confiance et allégresse ? Non : nul doute que l’honorable Assemblée Nationale ne refusera pas de la préserver d’un tel malheur : son immense sagesse, son amour de la justice nous le garantissent.

Dans l’examen de cette importante question, elle ne manquera pas d’imaginer le désespoir de maints pères de famille que l’effondrement de leur commerce priverait ainsi de tout moyen de subsister dans l’honneur ; ces pères qui, responsables de leur progéniture devant Dieu et la Patrie, exposeraient alors leurs enfants au constant péril de la séduction, mais une séduction à laquelle ils succomberaient à coup sûr, entrainant dans leur chute la perte considérable de leurs mœurs et de leurs biens. Nul doute que la sage Assemblée Nationale aura à cœur de considérer ces conséquences aussi douloureuses qu’inévitables ; ces malheurs, qui immanquablement nous menacent, justifieront à ses yeux nos inquiétudes et éclaireront d’un nouveau jour sa vision des revendications des Juifs, lesquelles revendications sont, de leur propre aveu, injustifiées.

Si la France était, comme l’exprime leur pétition (corroborant ainsi eux-mêmes notre propos) un royaume d’une médiocre étendue et dont le sol soit infertile, alors, à coup sûr, elle ne serait pas en mesure de couvrir les besoins d’une population plus nombreuse, de sorte qu’il serait préjudiciable d’encourager son peuplement, mesure allant nécessairement de pair avec une perte considérable de véritables sujets du pays. L’application d’un tel raisonnement à l’état de notre ville et à la nature de notre commerce révèle concrètement l’infondé de la demande des Juifs, dans sa totalité.

Strasbourg est limité par ses fortifications qui empêchent toute extension ; aussi, notre activité commerciale, reposant essentiellement sur une consommation et sur des échanges quasi constants quotidiennement à l’intérieur de nos propres murs, ne pourrait supporter d’être sensiblement développée.
A plus forte raison, elle ne pourrait être répartie sur un nombre accru d’habitants consécutif à l’accueil des Juifs ; car nul n’ignore que dans chaque branche le nombre de commerçants et d’artisans a déjà augmenté dans de telles proportions qu’il n’est pas un seul citoyen qui n’ait à déplorer le faible bénéfice qu’il tire de son négoce.

En conséquence, ne serait-ce pas porter à notre commune un préjudice manifeste que d’accroitre la masse des commerçants alors que déjà nombre d’entre eux, surtout dans la classe inférieure, gagnent tout juste le nécessaire à leur subsistance journalière ? En vérité, cet accroissement n’aurait d’autre effet que de causer un énorme préjudice en provoquant indubitablement la ruine des véritables commerçants établis à Strasbourg. Mais si la situation devait évoluer dans ce sens, comme on ne saurait en douter, alors, ce sont les Juifs eux-mêmes qui prononceront le jugement qui les exclura de Strasbourg.

Dans ce cas, en finissant par reconnaître qu’ils ont été fort mal inspirés de déposer inconsidérément une proposition aussi aberrante, ils finiront par reconnaître, que ni dans vingtni dans trente ans ils n’exerceront au milieu de nous l’agriculture ou quelque autre activité artisanale (12). Car il est impossible qu’un citoyen actif supporte chaque année la perte de 135 jours de travail. Qu’ils admettent, en un mot, que seul le plus élémentaire souci de préserver notre propre bienfaisance nous incite à repousser leur demande.

A chaque instant, nous les considèrerons à nos côtés en tant qu’hommes et que frères ; gardons-nous de jamais prêter l’oreille à des ragots infondés qui ne reposent que sur l’ignorance et les préjugés ; nous ne cesserons de leur souhaiter prospérité, mais ils sont loin d’en prendre le chemin en exprimant le désir d’être les égaux de nous tous, malgré l’obstacle insurmontable qu’y opposent leur loi et leurs usages.

Ne reste plus aux Juifs qu’un unique moyen d’accéder à une prospérité réelle, durable et compatible avec leur véritable situation ; qu’ils saisissent ce moyen, et bientôt, c’en sera fini des discordes sans cesse alimentées entre Juifs et Chrétiens par les divergences entre coutumes opposées, la confrontation des privilèges mutuels, l’augmentation fréquente de leur population. Ce moyen, c’est qu’ils se regroupent entre eux (14). S’ils sont justes ils le reconnaitront par eux-mêmes ; et s’ils sont intelligents ils s’en saisiront immédiatement. Cet unique moyen consiste à assigner en Alsace un lieu commun de résidence destiné aux Juifs dispersés. En Alsace, plusieurs lieux conviendraient à cet usage et la perspicacité des départements censés être prochainement créés repèrera sans peine ceux dont le défrichage ne nuira pas aux habitants alsaciens chrétiens, et dont l’achat ou la location occasionnera peu de désagréments pour les Juifs.

Ils pourront s’y installer et y établir les fondations d’une nouvelle Jérusalem ; ils pourront, à leur aise, y exercer toute leur énergie et leurs talents ; il reviendra à eux seuls d’y bâtir de vastes usines, qui, à en croire leurs promesses, se veulent si utiles et si bénéfiques à l’Etat. Le jour où cela sera mis en œuvre, nul ne les empêchera de bénéficier, avec tous et dans le respect des lois de la France, des fruits de la liberté. Sur les lieux qui leur seront dévolus ils useront des dispositions de la récente Constitution et ils possèderont leur municipalité, leurs juges, leurs offices religieux ; dans les secteurs qui leur seront désignés ils pourront faire valoir tous les droits qui nous sont propres ; rien ne les empêchera d’exercer, comme il leur plaira, les arts et l’artisanat ; bref, ils deviendront alors comme nous, des citoyens de France, libres et heureux. Au demeurant, nous ne saurions leur cacher qu’au cas où pourrait se nouer entre eux et nous une relation plus étroite, la seule façon de l’encourager est de s’inspirer autant que possible des us et coutumes mais aussi du zèle des Juifs portugais en établissant des relations commerciales mutuelles.

Cette proposition est conforme à leurs forces et leurs capacités. Certes, et nous le savons bien, sa mise en pratique prendra du temps ; et si, comme en atteste l’auteur déjà mainte fois cité, ils offrent la dîme à leurs frères indigents, cet usage ainsi que leurs autres talents leur permettront sans peine de parvenir à procurer un toit tant à eux qu’à leurs frères indigents.

Si cette proposition ne leur agrée pas, qu’ils la comparent à leur dessein de partager avec nous nos droits, nos logements, nos biens et nos vivres, contre notre volonté et sans pouvoir se prévaloir d’un droit ; et qu’ils se persuadent bien de cette vérité qui veut que de telles conquêtes ne s’acquièrent que par la force et ne sont jamais dénuées d’immenses périls.

Honorables représentants d’une nation juste et magnanime, vous, pères des Français ! Nous osons nous efforcer et nous glorifier d’espérer faire nôtres votre philosophie et vos vertus. Veuillez évaluer à l’aune de leur sagesse la revendication exprimée par les Juifs et les conceptions que nous lui avons opposées ; et vous serez parfaitement convaincus que leur regroupement ne peut être amélioré que s’il intervient dans un lieu spécifique ; à condition de le restreindre à des tâches utiles à l’Etat pour lequel ils constituent réellement un fardeau et une infortune. Ainsi, leur fortune n’entrainera pas notre perte. Daignez, nous vous en conjurons humblement, confier aux départements de notre province la mission de s’accorder sur le choix d’un territoire propre à recevoir le regroupement des Juifs, et de faire connaitre aux Juifs ce procédé visant à les contenter, procédé qu’ils ne pourront rejeter s’ils sont animés de bonnes intentions et du réel désir de servir l’Etat par le commerce et l’industrie. La sagesse d’une telle ordonnance répondra d’autant mieux à l’analyse et aux buts charitables exposés ci-dessus que face à la dépravation toute proche, nos âmes ébranlées l’appellent pour retrouver leur sérénité.

© A . S . I . J . A .