La tragédie de la Communauté juive de Lunéville
et de son ministre officiant Jules Weill

Le contexte historique

Avant même la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France, le 3 août 1914, Lunéville est déjà bombardée. En effet, ce territoire, au contact direct de la frontière, est composé de collines qui offrent une large vue panoramique. Il est l'un des verrous de Nancy, entre les villes fortifiées de Toul et Épinal.

Dès la déclaration de guerre, aux premiers jours du mois d'août 1914, la population, assiste au passage de troupes françaises qui prennent l'offensive. Mais la 2e armée française est bientôt contrainte à la retraite et, en regagnant précipitamment la rive gauche de la Meurthe, les soldats abandonnent la ville à l'ennemi. Bientôt les premiers obus allemands tombent sur Lunéville et quelques heures plus tard, les habitants se terrent lorsque les troupes ennemies traversent la ville. Dans la soirée, on apprend que les Allemands s'installent au château ; commencent alors trois semaines d'occupation. Pour rendre impossible toute velléité de résistance, l'envahisseur choisit treize otages parmi les notables de toutes les classes sociales, en les menaçant de mort ou de confiscation de leurs biens. Isolée, la population terrorisée ne reçoit ni lait, ni denrées alimentaires. Après avoir confisqué les farines, l'ennemi n'en laisse que trente quintaux par jour aux dix-huit mille habitants. La mortalité est effrayante et frappe surtout les enfants.

Durant les journées sanglantes des 25 et 26 août, sous prétexte que des civils auraient tiré sur des soldats, de paisibles citoyens sont tués par balle dans les rues tandis que l'hôtel de ville et cent dix maisons sont la proie des flammes, et certains habitants sont brûlés vifs. Accusant les citoyens de s'être livrés "à une attaque par embuscade contre des colonnes et des trains", les Allemands infligent une contribution de guerre de 600 000 francs en or et 50 000 francs en argent.

Enfin, le 12 septembre, le drapeau allemand cesse de flotter plus sur le donjon : la ville est délivrée par l'armée française.
Plus de détails sur le site : http://chtimiste.com/batailles1418/lorraine.htm


Extrait du rapport ; Les atrocités allemandes en France
"Rapport présenté à M. le Président du Conseil par la Commission instituée en vue de constater les actes commis par l'ennemi en violation du droit des gens"

Un des dessins originaux de Maurice Leroy qui illustrent le Rapport
Le 25 [août], l'attitude des envahisseurs changea subitement. Le maire. M. Keller, s'étant rendu à l'hôpital, vers trois heures et demie de l'après-midi. vit des soldats tirer des coups de fusil dans la direction du grenier d'une maison voisine, et entendit siffler des balles, qui lui parurent venir de l'arrière. Les Allemands lui déclarèrent que des habitants avaient tiré sur eux. Il leur offrit alors, en protestant, de faire avec eux le tour de la ville, pour leur démontrer l'inanité de cette allégation. Sa proposition fut acceptée, et comme, au début de la tournée, on trouvait, dans la rue, le cadavre du sieur Crombez, l'officier qui commandait l'escorte dit à M. Keller : « Vous voyez ce cadavre, c'est celui d'un civil qu'un autre civil a tué, en tirant sur nous, d'une maison voisine de la synagogue. Aussi, comme notre loi nous l'ordonne, nous avons brûlé la maison et nous avons exécuté les habitants". Il faisait allusion au meurtre d'un homme dont le caractère timide était connu de tous, le ministre officiant israélite Weill, qui venait d'être tué chez lui, avec sa fille, âgée de seize ans. Le même officier ajouta : "On a également brûlé la maison qui fait l'angle de la rue Castara et de la rue Girardet, parce que des civils avaient tiré de là des coups de feu.". C'est de cet immeuble que, suivant les prétentions des Allemands, on aurait tiré sur la cour de l'hôpital; or la disposition des lieux ne permet pas d'admettre l'exactitude d'une telle affirmation.

Tandis que le maire et la troupe qui l'accompagnait poursuivaient leur reconnaissance, l'incendie éclatait de différents côtés ; l'hôtel de ville brûlait, ainsi que la synagogue et plusieurs maisons de la rue Castara, et le faubourg d'Einville était en flammes. En même temps commençaient les massacres qui devaient se continuer jusque dans la journée du lendemain.


Le ministre officiant Jules Salomon Weill

Né en 1858, Il fut ministre officiant à Lunéville de 1888 à son décès, en 1914. Il subit une mort affreuse, brûlé vif avec sa fille après avoir été enfermé dans l'immeuble communautaire par des soldats allemands qui s'étaient cru agressés. Sa femme se réfugia à Porrentnruy.


Ce qui s'est passé à Lunéville
Lettre du président de la Communauté
Extrait de l'Univers Israélite, 22 janvier 1915

Lunéville - Aspect de la Sous-Préfecture incendiée par les obus allemands
le 25 août 1914
"Je n'ai jamais quitté la communauté. J'ai eu le grand malheur de perdre ma femme pendant l'occupation allemande, également victime de la guerre. N'ayant pu supporter le départ de mes deux fils, qui sont toujours en campagne, elle est décédée le 8 septembre, époque à laquelle les batailles étaient tellement violentes aux environs de Lunéville — les obus tombaient à profusion — que je n'ai pu enterrer ma femme au cimetière, elle repose encore de son dernier sommeil dans mon jardin, en attendant le retour de mes deux fils.

Les malheurs se sont abattus sur ma famille et sur ma chère communauté pendant cette même époque. Le mardi 25 août, les Allemands ont été battus sérieusement à Rozelieurs, aux environs de Lunéville, et, pour se venger, ils ont commis des atrocités ; je ne vous dirai que celles concernant la communauté.
Ils ont d'abord fusillé mon frère, M. Léon Kahn, sans aucun motif que celui que je vous donne ci-dessus. Ils ont incendié sa maison, faubourg d'Einville. Dans cette maison, couchait au premier étage, ma digne et vieille mère, âgée de 97 ans, doyenne de la ville de Lunéville ; la pauvre femme a été carbonisée après avoir encore reçu deux coups de revolvers de ces brutes.
Dans le même faubourg, demeurait le capitaine Schweict et sa sœur Célestine ont péri ; leur maison a été également incendiée et leurs corps retrouvés dans les décombres.
Enfin, notre dévoué premier ministre officiant, M. Jules Weill et sa bonne, Jeanne, âgée de 19 ans, ont été trouvés asphyxiés dans les caves de nos immeubles, également incendiés par les Allemands.

Vous voyez, Monsieur le rédacteur, que nous avons eu notre part, heureusement que notre synagogue qui touche les immeubles n'a pas été atteinte.

La cérémonie de Kippour a été faite chez moi, le temple n'avait plus de lumière et mon quartier n'avait plus d'électricité, nos fêtes ont été bien tristes.
Heureusement, M. Marx, ministre-officiant de Blamont, évacué à l'hospice d'ici, a aidé M. Bloch, notre second ministre officiant.

Au sujet de M. Boris, nous nous sommes occupés de tous côtés, personne ne peut nous renseigner. Quel malheur si ce digne rabbin a été tué et quelle perte pour le rabbinat français ! Il était estimé et aimé par toute la communauté, malgré le peu de temps qu'il a occupé cette place.

Je crois vous avoir donné tous les renseignements concernant Lunéville. Quelle histoire pour ma communauté et pour moi personnellement ! Nous espérions fêter le centenaire de ma pauvre mère, si pieuse et si estimée à Lunéville, élever une famille de 12 enfants, arriver à 97 ans et mourir de cette façon, n'est-ce pas terrible ?
Recevez, etc...

Extrait de l'Univers Israélite, 19 février 1915

Une de nos lectrices, Mme G. Garret, nous envoie ce billet, daté de Lunéville, 28 janvier : "Je crois que votre article n'est pas exact : voilà ce qui reste de la synagogue et à l'intérieur tout est détruit. Dimanche dernier, j'ai vu ce que ces monstres ont incendié à Lunéville." Ces lignes sont écrites sur une carte postale illustrée, qui représente la synagogue ; on y voit que l'édifice, s'il est resté debout, a beaucoup souffert de l'incendie.


Note de la Rédaction : on remarquera que les diverses sources qui décrivent ces événements présentent des témoignages parfois contradictoires, notamment au sujet de l'identité de la jeune fille brûlée vive avec le ministre officiant Weill, et sur l'état de la synagogue. Dans l'impossibilité de trancher, nous avons exposé ces récits tels que nous les avons trouvés.


© A . S . I . J . A .