À PROPOS DE HANOUCCA

Il y a 2082 ans

La fête de Hanouka, dont nous allons célébrer le deux mille quatre-vingt-deuxième anniversaire, nous reporte vers une des époques les plus tristes et les plus glorieuses de notre histoire. En effet, en l'an 168 avant l'ère chrétienne, les deux plus saintes choses qui soient dans ce monde, la religion et la patrie, étaient sur le point de disparaitre pour Israël, mais elles furent sauvées l'une et l'autre par l'héroïsme et l'esprit de sacrifice de nos pères.

Le roi de Syrie, Antiochus Epiphane, l'Illustre, surnommé aussi, et avec plus de raison. Epimane, le fou, crut pouvoir triompher aisément de ce petit peuple d’Israël, avec ses nombreuses légions. Il ne se doutait pas de la résistance que peut opposer aux plus fortes armées une nation jalouse de son indépendance, qui a conscience de défendre le droit et la justice.

Le choc fut terrible et la lutte gigantesque. Les juifs n'étaient qu'une poignée d'hommes, mais dans lesquels avait passé l’âme des anciens héros d'Israël, et qu'entraînait à la victoire un des plus grands capitaines de l'antiquité, l’indomptable Juda Maccabée. Flavius Josèphe met dans sa bouche ces fières paroles : "Soldats, souvenez-vous que les lâches ne peuvent, non plus que les vaillants, éviter la mort, mais que lion acquiert une gloire immortelle en exposant sa vie pour son pays, et ne doutez pas qu'en allant au combat avec la forte résolution de vaincre ou de mourir, on triomphe de ses ennemis ". Et de fait, les juifs triomphèrent, les forts tombèrent aux mains des faibles et les impurs succombèrent sous les coups des purs, comme il est dit dans Al-Hanissim.

L'historien juif trace d'Antiochus, le Fou, un portrait dont ilest piquant de noter ce trait. Ce roi, dit-il, ne respectait pas la parole donnée ni même la foi jurée. Il avait fait serment aux israélites de laisser intact le temple de Jérusalem, ce monument d'art et de loi, célèbre dans toute l'antiquité ; mais sa rapacité était telle que lorsqu'il vit les vases d'or et les riches tentures qui le paraient, il ordonna de s'emparer de ces objets précieux et de les transporter à Antioche, afin d'en orner son propre palais.

Un historien moderne termine le récit des merveilleux événements de Hanouka par cette réflexion : Ce fut une des belles heures de l'histoire, où la conscience humaine, se soulevant contre la force, prouva qu'elle était plus forte qu'elle.

L'historien qui racontera un jour la lutte gigantesque que la noble France soutient avec ses alliés pour le triomphe du droit sur la force, et dont elle sortira victorieuse, pourra dire aussi que la conscience universelle s'est soulevée contre la pire agression de la force et qu'elle n'a été apaisée que par la défaite de l'agresseur.

M. METZGER, rabbin.

De Juda Maccabée à Albert Ier

Dans combien de maisons juives, pour la plupart attristées par le départ d'êtres frappés par la gêne soudaine ou, pis encore, dévastées par le passage des armées, bouleversées par toutes les horreurs d’une guerre mondiale, s'allumeront-elles, cette année, les petites lumières de Hanoucca, commémoratives d'un passé lointain, héroïque et glorieux ?

Les sombres jours que nous traversons, cependant, sont merveilleusement propres à faire jaillir la haute et virile leçon qui se dégage des événements dont, depuis des siècles, nous gardons pieusement le souvenir, sans toujours en saisir l’essentielle signification.

Obéissant à l'instinct - il en est de morbides - qui, depuis un trop long temps, pousse le judaïsme à se spiritualiser à l'excès, à se vider de tout contenu positif et historique, nous en sommes arrivés à considérer la plupart de nos fêtes religieuses, celles-là même qui sont le plus chargées de couleurs hébraïques, les plus évocatrices d'authentiques réalités, comme des cérémonies purement symboliques, la mise en œuvre de froides abstractions...

Et Hanoucca, particulièrement, l'anniversaire de la victoire remportée par Juda Maccabée sur les légions d’Antiochus Epiphane, et de la renaissance nationale de 1a Judée, n'est-il pas devenu quelque chose comme la fête de la lumière, de la vérité abstraite, la consécration du "rayonnement pacifique de l'idée de Dieu "?

Dans les temps si proches et qui nous semblent si reculés déjà, les esprits délicats - et ils sont nombreux parmi nos coreligionnaires – se détournaient volontiers des spectacles de brutale bestialité qu'évoque le mot seul de guerre, et plus d'un parmi nos pasteurs s'en serait voulu, en allumant le luminaire à neuf branches, de simplement penser à perpétuer le souvenir belliqueux de la force, même mise au service du droit. Quant à nos savants historiens, juifs par le hasard de la naissance, niais admirateurs passionnés de la culture hellénique, il va sans dire qu'ils considéraient la révolte maccabéenne comme une réaction piétiste, entachée d'un déplorable fanatisme...

Des fanatiques, les Maccabées ? Mais au fait, où donc avons-nous lu dernièrement ce mot de fanatisme ? N'est-ce pas dans l'élucubration de quelque savant teuton et ne s'appliquait-il pas au sursaut d'héroïsme qui vient de mettre debout la petite et pacifique Belgique, le roi Albert en tête ?...

La Belgique qui, voilà quatre-vingts ans, s'était violemment détachée de la Hollande, parce que le régime qu'on lui imposait "froissait ses mœurs, son instinct, sa liberté, ses traditions religieuses, sa langue, sa culture", ne veut pas subir aujourd'hui l'empreinte de la "culture allemande". Il ne s’agit pas de savoir laquelle des deux est supérieure, laquelle des deux a le plus d'avenir devant elle, laquelle des deux a donné et donnera les plus beaux résultats dans le domaine des sciences, des lettres, des arts. Ce sont là autant de questions dont les contemporains sont mauvais juges, auxquelles seules les plus lointaines postérités apportent des réponses, variable d'ailleurs au gré de leurs secrètes préférences. Ce qu'il s'agit de savoir, c'est si, dans l'Europe future, il sera permis aux petites nationalités de vivre selon leurs goûts, leurs traditions, leurs croyances ; ce qu'il s'agit de savoir, c'est si, dans la société des nations, il sera loisible à l'une d'elles, quelle qu'elle soit, d'imposer aux autres sa règle uniforme d’activité, ses valeurs intellectuelles et morales.

C'est parce que le roi des Belges a, sans l'ombre d'une hésitation, pris fait et cause pour le principe des nationalités, que, mus par l'instinct le plus vivace et le plus profond qui soit en l'homme, les spectateurs les plus désintéressés, semble-t- il, du résultat final suivent avec angoisse les péripéties de la grandiose tragédie qui se joue sous nos yeux et que le nom du roi Albert est devenu, dans le monde entier, synonyme de vaillance et d'honneur.

Et, sans essayer de faire des rapprochements forcés, forcément artificiels, n'apparaît-il pas que vers l'an 166 avant l'ère chrétienne, c'est au fond le même problème que se posait aux juifs du temps de Juda Maccabée, luttant contre l’hellénisme agressif et les provocations brutales de la dynastie séleucide ?

Puisque, par une inévitable réaction, après les désillusions de l’humanitarisme, les déceptions du pacifisme, chaque nation en revient au culte jaloux et souvent ombrageux de son patrimoine historique ; puisque, après tant d'années de civilisation amollissante, les esprits les plus sincèrement épris de progrès pensent à la nécessité de reprendre une culture intensive des vertus viriles, nous sera-t-il permis, en allumant cette année les lumières de la "Menorah", de concevoir une ambition plus haute que celle de rester à tout jamais les inoffensifs et impuissants "serviteurs de la lumière" ?

Sur tous les champs de bataille, nos coreligionnaires de toutes les nations, surmontant leur horreur naturelle du carnage, oubliant que par endroits c'est à une lutte fratricide qu'on les conduit, versent généreusement leur sang pour leurs patries respectives qui, demain peut-être, se retourneront contre eux. Quel sera, après la guerre, le sort fait aux juifs de l’Europe orientale, vivant pour la plupart au milieu de populations mêlées, aux aspirations contradictoires ? Après, comme avant, de bons apôtres continueront-ils à nous prêcher la patience, la résignation, l'attente de jours meilleurs ?

L'histoire est un éternel recommencement, et de Juda Maccabée à Albert Ier, les mêmes vérités se font jour... Un sagace observateur des événements présents l'a dit : "II faut qu'un peuple vive en honnête homme, mais il ne lui suffit pas (hélas !) de s'armer d'innocence !

BARUCH HAGANI.

Faut-i1 "fêter" Hanouka ?

Une personne qui dirige une institution mi-scolaire, mi-philanthropique nous disait, l'autre jour : "Je n'ai aucune envie de faire fêter, cette année, Hanouka à mes administrés. On allumera les "lumières bien entendu, mais ce sera tout ".

Hé, pourquoi, mon Dieu, ne fêterait-on pas Hanouka, cette année ? Pourquoi les "lumières " seulement ? Pourquoi pas aussi des chants, avec les quelques discrètes réjouissances habituelles : repas plus "relevés", intimes réunions de famille et, dans les maisons "sephardioth", la traditionnelle et savoureuse "halva "brune"
? - Parce que l'on se bat tout près de nous ? Parce que les échos nous parviennent, sonores et parfois déchirants, du gigantesque drame qui se joue à l'heure présente et doit bouleverser le monde ? Mais c'est pour ces mêmes raisons, précisément, que, loin de désirer un amoindrissement, en quelque sorte, de Hanouka, nous souhaiterions, au contraire, que la fête prît cette année, parmi les israélites de France (et de Belgique aussi surtout ! et d'Angleterre, de Russie et d'ailleurs...) un caractère de plus ample et de plus générale solennité qu’à l'ordinaire.

Qu'on ne crie pas au paradoxe ! Et d'abord, une question très naturelle aussi : Supposons qu'au lieu de commencer au mois d'août, la guerre eût commencé au mois de juin. Eh bien nous demandons : est-ce qu'il se serait trouvé un seul Français pour proposer qu'on ne fêtât pas le 14 juillet ? Sans doute, on n'aurait pas dansé dans les rues. Mais d'instinct, le peuple aurait transformé les habituelles réjouissances de la fête nationale en une immense manifestation qui eût soulevé le pays tout entier, et la joie eût été frénétique, l'enthousiasme délirant, à cette pensée que pendant que ceux qui sont demeurés "au foyer" fêtent la fête de la liberté, ceux qui sont partis se battent, une dernière fois, pour donner au monde une liberté plus large et une paix à jamais assurée.

Or, entre la guerre de 1914 et les événements que nous rappelons, tous les ans, à pareille époque, il y a aussi plus d'une analogie : Les frères Macchabées ne luttaient-ils pas, eux aussi, pour une grande et sainte liberté : la liberté de conscience ? Leur adversaire ne représentait-il pas - tout comme celui de la France, aujourd'hui -, la force brutale et inique ? Et enfin, n'avaient-ils pas montré, dès ce temps-là, que le droit, qu'ils incarnaient, est invincible et finit toujours par terrasser la force brutale, plus impuissante, en définitive, que la faiblesse d'un enfant ? En vérité, Guillaume II ressemble beaucoup à Antiochus Epiphane ou, plutôt, Epimane le fou ! Jusqu'à la fameuse "Kultur" qui, resserre le rapprochement et qui, quoique grecque pour le souverain Syrien, n'en était pas moins odieuse aux juifs à qui l'on voulait 1' "enseigner" à coups de lances ou de javelots. (J'allais écrire à coups de crosse...)

Alors, puisqu'il en est ainsi, et il en est ainsi, n'avions-nous pas raison de soutenir qu'à l'heure où les fils de France se battent pour la liberté de la patrie, mais de la conscience aussi, les descendants des Maccabées, qui ne sont pas aux champs d'honneur de France ou de Belgique ou de Russie et même ceux qui y sont - si, toutefois, la vie des tranchées leur en laisse le loisir -, ont le devoir de fêter Hanouka avec plus d'enthousiaste solennité et avec plus de joie grave qu'ils ne ]a fêtent et ne la fêteront peut-être jamais ?

Nos temples devraient être aussi remplis qu'un jour de Rosch-Haschana ou de Kippour. Pas de chants ! a-t-on dit ? Mais beaucoup de chants au contraire ! Et, tenez, aux chefs de chœur de nos synagogues nous proposons ceci : qu'ils fassent donc chanter, après le Maoz Tsour, un beau chant français : la Marseillaise ! N’a-t-on pas, à Bruxelles, en plein office de Kippour, joué la Brabançonne, à la synagogue, en présence de plusieurs soldats et médecins militaires allemands, qui écoutèrent sans broncher ?
La Belgique accomplit, depuis ces derniers trois ou quatre mois, quelques gestes très beaux et très justes. Nous pouvons l'imiter en toute confiance...

BEN-ELI.