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Phalsbourg

Phalsbourg

Phalsbourg

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Soultz
Soultz

Zillisheim
Zillisheim

 
Le patrimoine juif,
composante du patrimoine national
par Max POLONOVSKI
Conservateur en chef du patrimoine,
Chargé de mission pour la protection du patrimoine juif

Conférence prononcée en mars 2003 au Colloque de la
Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine

Je tiens à remercier, tout d'abord, les organisateurs de ce colloque de m'avoir invité à venir parler ici d'un thème qui regarde la Société d'Histoire des Iisraélites d'Alsace et de Lorraine au premier chef. La situation dans laquelle je me trouve ici au milieu de vous me fait penser à cette histoire juive qui veut que lorsque vous racontez une histoire drôle – a witz – à un juif, non seulement il ne rit pas, mais il vous répond : "d'abord je la connaissais et en plus je la raconte mieux". C'est pourquoi je ne vais pas vous dresser un tableau des trésors et richesses que recèle l'Alsace et la Lorraine en matière de patrimoine juif que vous connaissez mieux que moi, mais je vais m'attacher à situer les problèmes posés par la conservation de ce patrimoine, en tant que partie intégrante du patrimoine national.

La notion de patrimoine

En premier lieu, que recouvre la notion de patrimoine ? J'en donnerai une définition restreinte, celle dans le cadre duquel s'exercent les activités du Service des Monuments historiques depuis un peu plus de 150 ans. Il s'agit essentiellement d'un patrimoine mobilier et immobilier, intéressant l'histoire et l'art. Nous ne parlons donc pas ici de patrimoine littéraire ou musical, mais plutôt historique, architectural, urbanistique, artistique et archéologique. Reconnus comme monuments historiques, ces éléments patrimoniaux jouissent d'une protection légale et peuvent éventuellement bénéficier d'une aide financière de l'état pour leur conservation.

Le service des monuments historiques est né après la révolution de 1830. Ce furent d'abord les vestiges du moyen-âge qui furent remis à l'honneur. Le romantisme de l'époque adopta les monuments qu'une longue période de clacissisme avait dédaigné. Une doctrine s'établit bientôt qui privilégiait les églises romanes et gothiques, les châteaux du moyen-âge et de la Renaissance. Si les périodes historiques plus récentes furent peu à peu reconsidérées au fur et à mesure que l'on s'est avancé dans le 20e siècle, c'est toujours dans cette catégorie d'architecture que les classements au titre des monuments historiques se sont opérés.

C'est ainsi que des éléments appartenant au patrimoine juif ont fait leur entrée dans le parc des monuments protégés. Les synagogues de Cavaillon et de Carpentras en 1924, la synagogue de Trets en 1926. Il est évident que c'est le caractère archéologique de cette dernière, et le caractère artistique des deux premières qui ont justifié leur classement. C'est en ce que les critères habituels de protection s'appliquaient parfaitement que le classement n'a pas posé de problème (décor baroque, 18e siècle, grande qualité, malgré ou à cause de l'étrangeté de la nature de l'édifice cultuel). C'est le critère de l'histoire de l'art plutôt que celui de l'histoire qui a pratiquement toujours prévalu au sein de la commission supérieure des monuments historiques.

Une nouvelle sensibilité

Ce n'est que depuis une vingtaine d'années qu'une nouvelle sensibilité s'est faite jour. Elle est marquée par l'année du Patrimoine en 1980 lancée par Jean-Philippe Lecat. La notion de patrimoine devient plus affective. On englobe tout une série de catégories dont la valeur en tant que telle n'avait pas encore été perçue : c'est le patrimoine industriel, le patrimoine maritime, le patrimoine instrumental, ce sont aussi les cinémas, les devantures de magasins, le patrimoine du 20e siècle. C'est dans ce contexte que le patrimoine juif apparaît en tant que tel pour la première fois dans une circulaire. C'est ce que l'on appelle de la discrimination positive. La circulaire en question demandait aux différents services régionaux de faire des propositions de protection de synagogues et de faire preuve d'indulgence quant à leur qualité et de ne pas leur appliquer les critères habituels de sélection. Le ministre donna d'ailleurs l'exemple avec le classement en totalité de la synagogue de Lunéville, exemple je crois pratiquement unique de décision d'un ministre sans prendre l'avis de la commission des monuments historiques.

Les services furent un peu pris de court. En l'absence d'inventaire, ils firent des propositions un peu au hasard. Les lenteurs de l'administration firent que ce ne fut que quatre ans après qu'une commission se réunit pour examiner les dossiers retenus. Une seule séance sensée rattraper 150 ans. Les critères de jugement étaient plus que flous. Phalsbourg fut refusé, de même que Pont-à-Mousson. Cette dernière a été détruite depuis. Phalsbourg a été réexaminée dix ans après.

Le patrimoine juif au sein du patrimoine national

C'est donc une reconnaissance récente, dans un cadre général d'une perception élargie du patrimoine architectural. Et s'il faut se réjouir de cette prise en compte d'un aspect important de notre histoire nationale, il faut reconnaître que sur le plan des effets pratiques de cette reconnaissance, on peut s'interroger. En effet, comme je l'ai dit, le patrimoine juif n'a pas été le seul à être redécouvert depuis les années 80.

Quelques chiffres vous donneront une idée de la part que ce patrimoine représente au sein du patrimoine national. Combien y a-t-il d'églises et de chapelles en France ? 50 ou 60 000 ? Combien y a-t-il de châteaux et manoirs dans notre beau pays ? 120 à 150 000 ? Il y a environ 40 000 édifices protégés au titre des monuments historiques, classés ou inscrits. Il y en a une cinquantaine relevant du patrimoine juif. Il est évident que les moyens financiers du Ministère de la Culture n'ont pas suivi la croissance exponentielle du nombre de monuments protégés. Si, déjà, il y eut toujours de grande difficultés à faire face aux besoins de restauration que réclamait un patrimoine ancien, il est aujourd'hui impossible de faire face à la simple demande d'entretien que demande des édifices de plus en plus nombreux, de plus en plus récents qui alourdissent sans cesse le parc des monuments historiques. Dans ces circonstances, le rôle de l'Etat consiste à surfer sur la crête des demandes, essayant de satisfaire aux pressions locales et électorales.

Et pourtant quel poids pèse le patrimoine juif ? Les besoins sont-ils si grands qu'il ne puisse trouver les moyens de sa pérennité ? Que représentent le nombre de synagogues (moins de 200), de cimetières (180 dont 53 antérieurs à la Révolution), en tout pour ces deux catégories moins de 400 monuments ? C'est dire combien on peut en faire facilement le tour.

Quels sont les périls spécifiques qui menacent le patrimoine juif ?

Une caractéristique du patrimoine cultuel juif qui ne touche pas directement l'Alsace-Moselle est l'extraordinaire paradoxe qui a régit la situation des synagogues après la loi de 1905. Cette loi qui voulait décatholiciser la France, a transféré la nue propriété des églises aux communes.

Ainsi les utilisateurs des lieux de cultes catholiques se sont vu soulagés du poids financier considérable des gros travaux de réparation désormais pris en charge par les collectivités. En revanche, les synagogues sont restées à la charge des associations cultuelles et cela ne contribue pas à faciliter leur entretien. Cette situation affecte donc une partie de la Lorraine et est illustrée par le cas de Toul. Cette belle ville fortifiée possède plusieurs églises dont une ancienne cathédrale. Pour une dizaine de milliers d'habitants, la charge est lourde. La synagogue, construite en 1850, appartient à l'association cultuelle, qui a succédé en 1906 au consistoire de Toul. L'association compte deux membres. On voit combien une telle situation est préjudiciable au maintien du patrimoine. Le trop petit nombre de membres de la communauté ne lui permet pas de faire face aux dépenses nécessaires à la restauration de la synagogue. Conséquence : nécessité de trouver des fonds, vente de la maison du rabbin, attenante à la synagogue. Cette disparition progressive du capital permet de tenir quelques années encore, mais cette opération ne pourra pas se renouveler plusieurs fois. Certes, l'abandon de la synagogue de Toul est un exemple extrême du peu de moyen et de poids que pèse le consistoire aux yeux de la municipalité ; celle-ci d'ailleurs a fait détruire l'ancien cimetière sans que le consistoire en soit même prévenu.



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