Le patrimoine juif, composante du patrimoine national (suite et fin)

Delme

Delme

Frauenberg

Frauenberg

Jungholtz

Kageneck

Schwenheim

Toul

Toul

Toul

Toul

Vantoux

Vantoux
Le plus grave des problèmes est la désaffection cultuelle. Bien sûr, elle touche l'ensemble de la population, particulièrement dans le monde rural, et pas seulement les Juifs, mais la situation est cependant dramatique en Alsace où il n'existe plus de juifs dans la plupart des communes où ils étaient en grand nombre au 19e siècle.
Cet abandon se superpose aux évènements dramatiques du 20e siècle, à une déconsidération du patrimoine juif, dévalorisé aux yeux des juifs eux-mêmes, pour des raisons complexes qu'il n'est pas possible de développer ici.
Cela se traduit par l'indifférence conduisant à des destructions pures et simples, comme récemment encore à Ringendorf ou Pont-à-Mousson déjà cité.

A cela s'ajoute parfois la malveillance. Comme à Cernay, où le fauchage n'a pas concerné l'herbe mais les stèles funéraires elles-mêmes dont il ne reste qu'une seule debout. Cette situation se retrouve à Hagenthal-le-Haut et Hagenthal-le-Bas.

Ici je voudrais faire une incidente sur la perception du classement des monuments historiques dans certains villages. A Hagenthal-le-Bas se trouve une stèle funéraire sur laquelle est gravée une élégie que le regretté Robert Weyl a publié dans la Revue des Etudes Juives. Une erreur de lecture de la date lui a fait remonter au milieu du 18e cette tombe d'un fabricant de casquettes des années 1860, ce qui lui donnait en effet un caractère remarquable. Les Monuments historiques, confiants dans cette interprétation, inscrivirent le cimetière à l'inventaire supplémentaire et prirent même la décision de le classer. L'opposition de la population a bloqué la procédure, le maire assurant qu'il ne pourrait empêcher quelques excités de détruire la stèle, mettant fin ainsi au problème. La situation en est restée là après quelques entrevues houleuses, la position de l'administration étant particulièrement délicate du fait que la redatation du cimetière lui fait perdre une grande partie de son originalité.

Parfois la simple méconnaissance contribue à la destruction du patrimoine. Même avec les meilleurs intentions. Le cas de Mackenheim est à cet égard symptomatique. Je vous rappelle que c'est là que Gunther Boll a tiré de la décharge municipale des mappoth du 18e siècle en train de se consumer. Déjà, la municipalité, propriétaire de l'ancienne synagogue avait cru bon de créer un décor extérieur en rupture totale avec la destination originelle du monument (scènes de chasse au sanglier). Afin de contribuer à la Journée de la culture juive il y a deux ans, elle a envoyé des engins pour nettoyer le cimetière. Le résultat est éloquent. Plusieurs inscriptions anciennes sont irrémédiablement perdues, des stèles brisées.

Parfois, moins dramatiques en apparence, les mesures d'entretien, élaborées sans prendre conseil des services compétents, aggravent la situation. Par exemple au cimetière de Vantoux, dans le cadre d'une rénovation, les stèles anciennes du 18e siècle ont été placé sur des plots de béton. En créant un point dur et en empêchant la pierre de "respirer", c'est-à-dire de permettre l'évacuation harmonieuse de l'eau, les sels vont se condenser au bord du béton et là commencera la desquamation progressive de la pierre.

Un autre cas de méconnaissance technique, qui tient aussi à une volonté d'économie d'entretien, c'est l'usage immodéré des désherbants, comme à Haguenau. La composition de certains d'entre eux est nuisible à la pierre, mais c'est surtout en faisant perdre sa cohésion à la couche végétale que des glissements de terrain se produisent, les stèles s'affaissent, s'enfoncent, se brisent, disparaissent.

Le vandalisme stupide ne vient pas toujours des autres. Ainsi à Jungholtz, cimetière classé au titre des monuments historiques, ce ne sont pas des croix gammées et des inscriptions antisémites que l'on a bombé sur les stèles. Non, ce sont les moyens qu'ont trouvé des Israéliens pour repérer les tombes de leurs chers disparus. Je lis "savtah" (grand-mère), "sabah" (grand-père), "dod" (oncle), etc. Cela a un nom en hébreu, cela s'appelle Hutzpah.

Quelles perspectives pour ce patrimoine ?

La conclusion que l'on peut tirer des éléments qui précèdent est qu'il faut lutter contre la méconnaissance.
La première chose à faire est donc de connaître soi-même afin de faire connaître.

Depuis un certain nombre d'années, des inventaires ont été entrepris, il concerne généralement les synagogues (avec comme point de départ les travaux pionniers de Michel Rothé et du grand rabbin Warschawski, suivis de ceux des étudiants de M. Luckel et de Gilbert Weil), et les cimetières, avec l'inventaire des cimetières d'Alsace réalisé par Isabelle Meidinger, pour la DRAC et la Société d'Histoire des israélites d'Alsace et de Lorraine. On peut citer aussi ceux de Pierre André Meyer et plus récemment de Patrick Schuhlmann et de Jean-Pierre Bernard pour la Moselle.
Il s'agit d'une étape nécessaire qu'il faut poursuivre et élargir à d'autres domaines, notamment celui des objets et à celui du patrimoine urbain.

La seconde phase vient ensuite avec les campagnes de diffusion de la connaissance initiées par l'ADT et le Bnai Brith Hirschler. Je n'insiste pas car vous connaissez et participez à ces journées devenues européennes. Elles procèdent de cette idée qu'en rendant régulier le succès de ces journées, non seulement il est le meilleur outil de communication de la culture juive, mais aussi qu'il est le meilleur avocat pour justifier la demande de crédit d'entretien et de restauration pour ce patrimoine.

Reste cependant en suspens le devenir de ces monuments qui passe par leur utilisation afin de les pérenniser.
Dans le cas des cimetières, le cas est difficile. Un devis de remise en état du cimetière d'Hagenthal établi par l'architecte des Bâtiments de France s'élevait à un million de francs. Ce n'est ni l'association chargée du cimetière, ni le consistoire, encore moins la municipalité qui financeront cette remise en état. A Frauenberg, d'où est originaire le fondateur de la banque Lazard, l'état du cimetière n'est pas meilleur. Pourtant, il y a quelques années, la banque avait versé une subvention pour faire des travaux. Ceux-ci ont été effectués, mais en l'absence d'entretien régulier, tout est à recommencer.
Il existe cependant des exemples de chantiers de jeune ou des initiatives comme celles du maire de Schwenheim qui a fait nettoyé le cimetière juif à ses frais.
Il existe aussi des cimetières comme à Phalsbourg qui bénéficie d'un entretien courant qui laisse entrevoir ce que pourrait être la mise en valeur du patrimoine juif dans cette région si ces exemples étaient suivis.

Comment justifier les demandes de crédits de restauration d'édifices qui n'ont pas trouvé de nouvelle affectation ?
Les cas heureux sont exemplaires mais peu nombreux. Pour des cas comme Hochfelden ou Delme, combien de Balbronn ou de Westhoffen ?
Est-ce que le choix est entre destruction comme la synagogue de la rue Kageneck ou la réutilisation profane comme un exemple ancien à Scherwiller, plus récent à Soultz ?
Dans les cas de la rue Kageneck ou de Soultz, on peut regretter que la destruction ou les transformations intérieures n'aient pas été précédé de relevés complets graphiques et photographiques.

Je sais que tout le monde ne partage pas mon point de vue fataliste vis-à-vis de la transormation de la synagogue de Soultz en logements sociaux. Ma conviction est que tout est préférable plutôt qu'une disparition. Les synagogues sont souvent la seule trace clairement visible d'une présence juive passée. Si la synagogue disparaît, comment expliquer aux générations futures quelle fut l'importance des communautés juives en Alsace ? Le patrimoine juif est trop ténu, trop réduit pour que l'on accepte d'en perdre un seul élément. Naturellement, j'aurais préféré que la synagogue de Soultz ait eu, à défaut de rester une synagogue en fonction, une affectation culturelle et plus respectueuse de sa vocation. Mais alors, il faut bien accepter l'idée que le devenir de toutes les synagogues désaffectées ne sera pas résolu par notre génération. Cela implique des choix financiers d'entretien que peu d'élus consistoriaux ou peu d'élus du peuple sont prêts à assumer. Il semble que nous vivions dans un pays où l'on préfère faire de gros travaux de réparation plutôt que de pratiquer un entretien de bon père de famille. On préfère marquer son passage par des actions visibles plutôt que par la simple transmission d'un héritage à ceux qui nous suivent.

Permettez-moi donc pour finir de plaider pour qu'on laisse à l'imagination de nos successeurs le soin de résoudre une partie des problèmes posés par le patrimoine juif. Mais pour cela, il y a une condition, c'est que du patrimoine juif, on leur en laisse un peu.


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