RELATIONS JUDEO-CHRETIENNES EN ALSACE
par Mireille WARSCHAWSKI


Les rapports n'ont pas toujours été détendus. Le judaïsme était un judaïsme de campagne, mais les juifs ne possédaient que de très petites parcelles de terre. Ils devinrent donc marchands de bestiaux et marchands de grains (comme mon grand-père). Les juifs n'avaient pas le droit d'habiter en ville avant la Révolution française, mais certains pouvaient y travailler (habiter à Bischheim, communauté-mère de Strasbourg, et travailler à Strasbourg). Le cas le plus célèbre était celui de Cerf-Beer, habitant de Bischheim, qui travaillait à Strasbourg où il possédait même un lieu d'habitation, avec l'autorisation du roi Louis XVI. Il a même obtenu, grâce au roi, la nationalité française avant la Révolution. Cerf-Beer était marchand de chevaux, et le royaume de France était un de ses clients.

Autrefois les enfants juifs, s'ils fréquentaient l'école, n'allaient pas dans une école juive. Ma mère était élève de l'école catholique (à Erstein) et les enseignantes étaient des religieuses. Mon père, à Osthouse, ne connaissait pas non plus l'école juive, et c'est en dehors de l'école qu'on lui enseignait le judaïsme. Mais n'oublions pas que des écoles juives existaient dans beaucoup de villages.

Je n'ai aucun souvenir d'une remarque ou d'un comportement antisémites. Nous nous entendions bien avec nos camarades catholiques et protestants. Dans la petite ville de Erstein, à vingt kilomètres de Strasbourg, où est née ma mère et moi aussi, mes parents, la famille de ma mère, n'ont eu que des contacts très détendus avec leurs voisins non-juifs, qui venaient normalement le Shabath pour chauffer leur appartement et allumer la cuisinière sur lequel on chauffait le repas shabathique.

Quand les non-juifs alsaciens purent revenir chez eux, après la guerre de 1939, ce retour fut interdit aux juifs. Tous les chrétiens ne revinrent pas, mais la grande majorité retrouvèrent leur appartement et ne firent pas grand chose pour soutenir les juifs. Les appartements des juifs furent pillés. Quand en 1945 ceux-ci retournèrent "chez eux", les logements avaient été vidés. Quelques uns retrouvèrent des meubles dont les non-juifs étaient devenus propriétaires. La vie reprit normalement – sans affrontement, ou presque…

Dans ma jeunesse, il n'existait plus d'école juive. J'ai fait neuf années d'études au lycée de jeunes filles de Strasbourg. Nous étions minoritaires, avec une grande majorité de catholiques et de protestantes. Nous avions l'autorisation de ne pas écrire le Shabath. Nous écoutions les cours et nous n'avions jamais de compositions ce jour-là. Pendant les jours de fête, nous étions dispensées de venir en classe. Nos camarades nous prêtaient leurs cahiers pour que nous puissions recopier ce qui avait été écrit pendant Shabath. C'était une de nos importantes occupations du dimanche.

Comme les élèves non juifs, nous avions droit (grâce au Concordat (*) à un "cours de Religion" au lycée et à l'école communale, payé par l'Etat. Lorsque les juifs revinrent en Alsace après la guerre, cet enseignement religieux reprit comme auparavant. De plus, une école juive, l'école Aquiba, ouvrit ses portes

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La situation de la femme (juive ou non-juive) évolua. Les femmes eurent de plus en plus de possibilités de représentation officielle, par exemple à la Mairie et dans les organismes officiels. Les femmes de Strasbourg fondèrent une association de femmes actives, quelle que soit leur appartenance.

Les femmes de la communauté avait, après la guerre des six jours en Israël, créé un groupement de liaison où toutes les associations féminines (une vingtaine environ) étaient représentées. Ce fut la naissance du GLIF – Groupement de Liaison Juif Féminin. Celui-ci représentait l'ensemble des femmes juives dans la ville de Strasbourg.

Toutes les femmes de la ville étaient amenées ainsi à travailler ensemble pour résoudre les problèmes qui les concernaient dans la cité et les environs… même dans le pays.

Après la guerre des six jours, les regards jetés par les non juifs sur Israël changèrent rapidement. Nous avons demandé une rencontre entre les responsables catholiques, protestants et juifs.

A l'issue de la soirée où nous avons mis les choses au clair, nous avons décidé d'apprendre à nous connaître. Nous avons fixé une rencontre par mois, chez les Franciscains qui mettaient une salle à notre disposition. Chaque groupe expliquait sa façon de vivre, de fêter les périodes religieuses, de comprendre un texte biblique. Il ne s'agissait en aucun cas de vouloir prouver que nous avions raison ; ce que nous avons décidé de faire, c'est d' "écouter l'autre" et de le comprendre.

Des amitiés extrêmement profondes sont nées de ces rencontres ; elles subsistent malgré les distances qui séparent "les amis".

Les rencontres, une fois par mois, le jeudi soir, continuent à avoir lieu, toujours chez les Franciscains. Notre génération y participe toujours, mais également des plus jeunes qui remplacent ceux qui sont partis. Je pense que les juifs et chrétiens qui ont créé des rencontres après la guerre continuent à se réunir, sans que ne se manifestent des sentiments de supériorité et d'infériorité.

Je crois sincèrement que l'avenir dépendra de ces liens qui se sont créés, des ces groupes interconfessionnels. Les trois religions, le judaïsme, le christianisme, et l'islam, trois enfants d'un même père, doivent développer les rencontre entre les monothéismes et faire comprendre que ces trois religions ne doivent pas se maudire l'une l'autre au nom de D.ieu, mais se réunir en conservant leur identité propre pour ramener la paix sur la terre.

Je ne voudrais pas oublier de dire combien le Concordat (*) a aidé les juifs et les non-juifs à se connaître, à apprendre à vivre ensemble, à créer des amitiés interconfessionnelles, entre les responsables religieux et entre les différents membres des croyances monothéistes.


(*) Le Concordat
Le Concordat est signé à Paris entre les représentants de Bonaparte et ceux de Pie VII : le pape reconnaît alors la République française, le clergé sera rémunéré par l’Etat, dont le chef pourra nommer les évêques. Ce concordat est appliqué sur le territoire français jusqu’à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, en 1905. Or, à cette date, l’Alsace-Lorraine est allemande et n’est donc pas concernée par cette loi. En redevenant française, elle garde ce statut concordataire, encore appliqué aujourd’hui.
Concrètement, le concordat intervient à deux niveaux. D’un côté, le statut des cultes définit les relations entre l’Etat et les religions reconnues, à savoir l’Eglise catholique, les Eglises protestantes (calvinistes et luthérienne) et le culte israélite. D’un autre côté, le statut scolaire oblige l’enseignement religieux dans les écoles publiques et donne un statut aux professeurs de religion. Ce statut scolaire date de la loi Falloux de 1850.


Relations judéo-chrétiennes
 
         

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