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Juifs de Rosheim
Peintures à la gouache de © Martine Weyl
Reconstitutions d'après des documents anciens



1755 - Pour se rendre à la Cour, solliciter la révision du procès contre Hirzel Levy, Menkeh Levy et Moyse Lang, le Préposé Général Lehmann Netter de Rosheim a revêtu l'habit de cour.








1762 - Les jeunes mariés de Rosheim.
Le marié (17 ans) porte un béret, un manteau-pèlerine à collet plissé, une longue veste avec culotte et bas blancs. Le costume de la mariée (15 ans) est proche de celui des filles d'Alsace, avec corsage en pointe, jupe et tablier. Elle est coiffée d'un petit bonnet à nœud.








1762 - Mari et femme se rendent à la synagogue .Le costume de l'homme est très proche de celui porté par les Juifs rhénans : béret appelé aussi barrette, manteau pèlerine descendant au dessous du genou, veste à boutons, culotte et bas. Il ne porte pas la fraise, mais un collet avec ou sans plis. Le vêtement de la femme est plus proche de celui des filles d'Alsace que de celui des dames juives de Frankfurt a.M. mais elle a conservé le "viereckiger Schleier", sorte de cornette aux origines médiévales, que les élégantes strasbourgeoises allaient remettre à la mode.








1762 - Marchand de bestiaux
en costume de tous les jours.








1805 - Colporteur juif, marchand de vieux habits.








1860 - Mari et femme se rendent à la synagogue.
Le costume des Juifs d'Alsace
par Robert WEYL
Cette étude a bénéficié de la collaboration de Martine WEYL, qui en a aussi assuré l'illustration
Les sous-titres sont de la Rédaction du site


L'Eternel dit à Moïse :

"Parle ainsi aux enfants d'Israël. Je suis l'Eternel votre Dieu. Vous ne ferez pas ce qui se fait aussi bien dans le pays d'Égypte, où vous avez demeuré, que dans le pays de Canaan où je vous conduis; vous ne suivrez pas leurs coutumes..."
Ce passage du Lévitique (18:3) est éclairé par le Shul'han Arukh, Yore Déa (178:1.2.) :
"Vous ne suivrez pas les moteurs des idolâtres et vous ne copierez pas leurs vêtements."

Les origines d'un vêtement spécifiquement juif sont donc lointaines, bien que la Torah ne renferme que peu d'indications précises : l'obligation de porter des franges (tsitsith) fixées aux quatre coins du vêtement (Nombres 15:38 et Deutéronome 22:12), l'interdiction de couper les coins (péoth) le la barbe (Lv. 20:27), l'interdiction de mélanger dans un tissu lin et laine (Dt. 22:11) sauf  pour les tsitsith, et la ceinture du grand prêtre (1). L'obligation si importante pour un juif l'avoir la tête couverte n'est pas inscrite dans la Torah, si ce n'est pour le grand prêtre. Nous lisons dans le traité Shabath (156 b) :

"Des astrologues avaient prédit à la mère de Rabbi Nachmann bar Isaac que son fils deviendrait un voleur. Elle ne le laissa plus jamais aller la tête nue et lui répétait sans cesse : Couvre ta tête afin que la crainte de l'Eternel soit sur toi".

Un vêtement discriminatoire

Le vêtement des juifs résulte à la fois de règles propres à leur culture et d'interdits que leur imposèrent les nations parmi lesquelles ils furent amenés à vivre. L'objet de cette courte étude se limitera à  la manière de  se vêtir des juifs d'Alsace, principalement au cours du 17ème siècle.

Il faut croire qu'au 13ème siècle, les juifs ne se distinguaient pas suffisamment des chrétiens, puisque le pape Innocent III s'en indigna. Au cours du quatrième concile du Latran, en 1215, il réclama des marques distinctives permettant de reconnaître juifs, sarrasins et chrétiens, car, disait-il, en certaines provinces chrétiennes la confusion est grande, et il arrive que, par erreur, des chrétiens aient des relations avec des femmes juives ou sarrasines, ou encore que des juifs ou des sarrasins aient des relations avec des femmes chrétiennes. Pour faire cesser ce scandale, le concile ordonna aux juifs de porter des signes distinctifs, sans toutefois les préciser. Une iconographie importante nous apprend que les juifs portaient alors un chapeau pointu, appelé Judenhut dans les régions de langue germanique, et pileus cornutus dans les textes de l'époque. Ils portaient aussi de longues robes par-dessus leurs vêtements.

Ce chapeau pointu, qui a un aspect outrancier et caricatural, apparut sur des miniatures aux origines diverses, françaises, germaniques, anglaises et suédoises, sur des sculptures aux portails des cathédrales françaises, allemandes et italiennes; ce sont autant de témoignages concordants, que viennent confirmer les sceaux juifs, comme celui de Moshe ben Mena'hem (Monumenta Judaïca B 160). S'il est censé dans l'optique de certains chrétiens cacher une corne diabolique, les juifs n'intériorisent pas ce mépris et n'y voient pas un signe d'infamie.

Peu à peu, ce chapeau tombe en désuétude et le pouvoir décide de marquer d'une manière visible les vêtements des juifs par la rouelle. C'était un morceau de tissu en forme d'anneau de couleur jaune ou rouge que l'on cousait sur le devant des vêtements. Le décret de 1551, par lequel l'empereur Ferdinand imposa aux juifs la rouelle, fut accueilli par ces derniers comme une humiliation. Elle  était portée aussi bien par les hommes que par les femmes et les enfants. De plus, on imposa aux femmes le port d'un voile dit oralia ou orales, voile qui prit bientôt une forme pointue désignée sous le nom de coralia ou cornu, en allemand Flieder, Sendelbinde ou Riese.

Cette coiffure caractérisa la femme juive jusqu'au 17ème siècle. Elle subit une nouvelle transformation en devenant le viereckiger Schleier, qui subsista, tout au moins pour l'usage synagogal, jusqu'à la Révolution. Il s'agissait d'une coiffe enserrant la tête qui était flanquée de chaque côté de deux grandes ailes dressées. Le tout était fait de toile de lin blanche (2), apprêtée à la manière des coiffes des religieuses que nous avons encore bien connues dans la première moitié du 20ème siècle.

Le chapeau pointu des hommes avaient laissé la place au chaperon (Gugel, Kappe). C'était une sorte de capuchon habillant la tête et se prolongeant sur les côtés par de longues bandes de tissu (liripipe) que l'on laissait retomber sur les côtés, ou le plus souvent, que l'on drapait élégamment autour de la tête et  des épaules. Cette coiffure était commune aux hommes et aux femmes, aux juifs et aux chrétiens durant le moyen-âge.

A partir du 17ème siècle

Au 16ème siècle, les juifs abandonnèrent le chaperon en faveur du Breithaupt, la barrette noire. C'était une sorte de béret très ample, généralement en feutre ou en velours pourvu à son entrée d'une base un peu plus rigide. Cette coiffure fut conservée pour les cérémonies religieuses du Shabath  et des jours de fêtes durant les 17ème et 18ème  siècles. Les anciens déplorèrent l'abandon du chaperon qui couvrait totalement la tête durant la prière, ce qui favorisait le recueillement comme le prescrit le Talmud (Talm. Babyl. 'Hagiga 14 b).

La barrette était accompagnée du sarbal ou Schulmantel. C'était un vaste manteau, ou un manteau pèlerine, de couleur noire, orné au col d'une fraise appelée quelquefois Judenkragen. Les femmes portaient également le Schulmantel, manteau pèlerine orné d'une fraise. Il s'agissait là, de toute évidence du Schabbeskleid, du costume réservé au samedi, aux jours de fête et aux cérémonies (3). On connaît le règlement de la communauté de Ribeauvillé en haute Alsace, portant la signature du rabbin Samuel Sanvil Weyl, rabbin de la haute et de la basse Alsace, daté de 1738. Il précise en son article 11 :

"Si quelqu'un se permet de venir à la synagogue autrement qu'en redingote ou en manteau, et sans Breithaupt, il payera une amende de 2 livres et 12 sols par 100 gulden de fortune".
Et l'article 12 poursuit :
"Un étranger ne pourra être appelé aux honneurs de la Torah sans manteau".
Il ne s'agit évidemment pas du tallith dit quelquefois manteau de prières, mais bien du Schulmantel.

A l'aide de documents notariés, généralement des inventaires après succession, nous avons pu reconstituer le Schabbeskleid d'un juif d'Alsace au 17ème siècle. Il comportait une longue veste ou une redingote de couleur noire, boutonnée, sur une culotte et des bas de même couleur. Veste et culotte étaient en drap ou en velours, les bas d'été en coton, les bas d'hiver en laine. Sur cet ensemble, il portait le Schulmantel, manteau à manches, ou manteau pèlerine avec des ouvertures latérales, orné au col d'une imposante fraise. Par la suite, la fraise fut ramenée aux dimensions d'un collet plissé, peut-être brodé ou orné de dentelles. Le juif était coiffé du Breithaupt, la barrette noire, décrite précédemment.

A de menus détails près, le juif d'Alsace s'habillait de la même manière que ses coreligionnaires du monde ashkénaze vivant à Francfort, Fürth, Nuremberg, Metz ou Prague. Il eût été naturel pour les femmes de tenter d'échapper à cette uniformité et de mettre quelque fantaisie dans leur habillement. Or, les images qui ont survécu nous les montrent toutes revêtues de la cape noire ornée de la fraise, à une exception près. L'image nous est fournie par une mappa brodée provenant de Rosheim en basse Alsace, datée de 1762, et représentant la classique scène de mariage, la huppes. Les hommes, le jeune marié et son père, sont revêtus du costume traditionnel, mais les femmes ont abandonné la cape noire et se présentent dans un élégant costume, très voisin du costume local: blouse à manches s'arrêtant au coude, plastron triangulaire, jupe très ample, descendant à mi-mollet, et, enfin, le tablier, inséparable du costume alsacien, à la ville ou à la campagne. La mère porte encore le  "viereckiger" traditionnel, tandis que la jeune mariée porte une coiffe très simple enveloppant la tête et ornée à l'avant d'un petit nœud.

Le costume masculin des juifs d'Alsace se distinguait de celui de ses contemporains protestants par quelques détails, importants il est vrai. Juifs et protestants portaient le même costume de cérémonie, longue veste noire recouverte d'un manteau en forme de cape, culotte et bas noirs, mais les protestants portaient le jabot blanc alors que les juifs en étaient encore à la fraise ou au collet plissé. Les premiers se coiffaient du tricorne alors que les juifs portaient la barrette. Les protestants cachaient leurs cheveux sous une perruque, ce qui n'était pas autorisé pour les juifs, ne serait-ce que parce qu'un homme ne doit pas porter des vêtements de femme, le mot vêtement devant être compris dans un sens très large (Dt. 22:5) ; de plus, cela était considéré comme 'hugoth ha-goyim, usage non juif. Pourtant, le Shul'han Arukh (traité Yore Dea) admet que lorsqu'un juif se trouve être en contact avec le souverain, il est autorisé à s'habiller comme les non juifs. Ceci explique que Cerf Berr a pu porter perruque et costume de cour, mais non pas se faire peindre en cette tenue.

Pour les femmes, il devait exister une plus grande liberté. Une tradition orale, que nous n'avons pu vérifier et qui ne remonte pas au-delà du 19ème siècle, nous apprend que les femmes catholiques portaient une jupe d'un rouge écarlate bien particulier, les protestantes la jupe verte, violette, ou rouge foncé quant aux femmes juives, le violet ou le brun leur semblaient réservés.

Du vêtement de tous les jours nous ne dirons pas grand chose, car il se confondait avec celui des gens du pays et il dépendait de la profession exercée : le colporteur n'était pas habillé comme le marchand de bestiaux ou le banquier. Mais le samedi, réunis à la synagogue, dans leur Schabbeskleid, riches et pauvres, colporteurs, rabbin ou préposé général, tous avaient la même apparence en l'honneur du Shabath. Cette impression d'uniformité nous est laissée par la relation de la visite du Cardinal-Prince de Rohan en sa bonne ville de Mutzig en 1786 :

"Près du Grand-Pont, environ à 200 pieds de la ville, les juifs en habit noir se rangèrent en haie, ayant leur rabbin à leur tête. Le bon Prince ne put s'empêcher de leur témoigner la satisfaction qu'ils lui donnaient par les démonstrations de la joie la plus vive et la plus sincère."

A partir de novembre 1793, les juifs abandonnèrent le Breithaupt et le Schulmantel qu'il était dangereux de porter. Les Jacobins avaient fermé les synagogues et fait défense aux juifs de porter la barbe, de parler ou d'écrire en hébreu. Le Talmud était livré au feu. Les juifs s'habillèrent comme tout le monde. La tourmente révolutionnaire passée, les juifs d'Alsace ne remirent pas le Schulmantel, ni le Breithaupt : ils montrèrent une certaine sympathie pour le tricorne pendant encore un bon tiers du 19ème siècle, alors que les Alsaciens des autres cultes l'avaient depuis longtemps abandonné. En Autriche, en Allemagne, dans les pays qui n'avaient pas connu la Révolution française, on continuait à porter à la synagogue Breithaupt et Schulmantel, durant la première partie du 19ème siècle.

Le costume des rabbins

Pendant des siècles, les rabbins alsaciens ne se distinguèrent pas des autres membres de leur communauté. Au cours du 18ème siècle, les communautés d'Alsace avaient pris l'habitude de faire venir des rabbins d'Allemagne ou d'Europe centrale. Ceux-ci avaient pour la plupart séjourné auprès de maîtres de la Torah en Pologne, et ils avaient conservé de ce séjour l'habitude de porter un bonnet de fourrure. Ils continuèrent de le porter à l'intérieur de leur communauté alsacienne, et ce chapeau de fourrure devint, peu à peu, un signe de la dignité rabbinique. Naphtali Lazar Hirsch, grand rabbin et président du Consistoire du Haut-Rhin, le porta jusqu'à sa mort en 1823. Le grand rabbin David Sinzheim est représenté sur les gravures avec la coiffure de président du Grand Sanhédrin, que lui imposa l'empereur Napoléon 1er. C'est une sorte de toque de fourrure à double coiffe, peut-être censée évoquer les deux tables de la loi. Il est probable qu'en dehors de la présidence du Sanhédrin, David Sinzheim ne remit jamais cette coiffure.

Au 19ème siècle, c'est le tricorne qui devint la coiffure du rabbin. La Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine conserve dans ses collections au Musée alsacien de Strasbourg un tricorne de rabbin de la première moitié du 19ème siècle, orné d'un bouton d'argent gravé du magen David, l'étoile de David.

Au cours de la seconde moitié du 19ème siècle, l'influence du monde extérieur fut de plus en plus marquée sur la vie juive. Orgues et chaires à prêcher pénétrèrent à l'intérieur des synagogues, tandis que les rabbins abandonnaient le tricorne et se coiffaient, tout au moins à l'intérieur de la synagogue, du chapeau rond et plat emprunté aux curés (4). Ils portaient aussi la soutane ornée d'un rabat, Dans la rue, ils s'habillaient comme tout le monde, avec toutefois un peu plus de solennité ils n'hésitaient pas à porter le chapeau haut-de-forme, ce chapeau que les particuliers portaient volontiers à la synagogue les jours de fête et même les jours de semaine à l'occasion du Jarhzeit (anniversaire de deuil pour père ou mère) dans nombre de communautés d'Alsace (5).

Après la seconde guerre mondiale, les rabbins alsaciens abandonnèrent le chapeau rond et plat du prêtre, et adoptèrent une sorte de toque de magistrat, que les rabbins allemands et autrichiens avaient dalleurs déjà adoptée au 19ème siècle. Les chantres alsaciens la portaient depuis longtemps. Sa forme rappelle également la toque des prêtres de l'Église orthodoxe, et à travers elle, la coiffe des Perses et des Phéniciens.

Les vêtements rituels

Il n'est pas possible d'étudier le costume des juifs sans évoquer le tallith, ou châle de prière, et sa forme réduite, l'arbaa-kanfoth, et le sarjeness, vêtement mortuaire que le juif porte cependant de son vivant en certaines circonstances.

Au début de cette étude, nous avons cité un passage de la Torah relatif à l'obligation de porter des tsitsith aux quatre coins du vêtement (Nb. 15:38 et Dt. 27:12) :

"L'Eternel parla à Moïse en ces termes : Parle aux enfants d'Israël et dis-leur de faire, eux et leurs  descendants, une frange aux coins de leur vêtement, et d'ajouter à la frange de chaque coin un cordon d'azur, Ce seront pour vous des franges dont la vue vous rappellera tous les commandements de l'Eternel, afin que vous les exécutiez, et que vous ne suiviez pas les désirs de  votre cœur et de vos yeux, qui vous entraîneraient à l'infidélité."
Cette obligation fut prise à la lettre; les juifs fixèrent les tsitsith aux quatre coins de leur vêtement (l'himation ou pallium), comme on peut le  voir sur les mosaïques de Ravenne datant du 6ème siècle (Baptistère des Ariens, Ste Apollinaire la Nouvelle et Ste Vitale). Lorsque l'himation fut abandonné, on fixa les tsitsith à un grand carré de tissu de laine, le tallith, dont on s'enveloppa durant la prière. Mais pour que le commandement des tsitsith soit respecté durant la journée entière, on prit l'habitude de porter un petit tallith ou arbaa-kanfoth sous les vêtements.

Le sarjeness est un vêtement qui remonte à l'époque talmudique. L'origine du nom est incertaine; il dérive pour les uns de l'allemand Sarg (cercueil), pour les autres du français serge (une variété de tissus). Il s'agit d'une tunique en toile de lin blanche, descendant jusqu'au sol, pourvue de manches assez amples et d'une cape. Une cordelette permet de resserrer le col, et une ceinture marque la taille. La tunique est sans coutures, et les femmes qui la confectionnent prennent bien soin de ne pas faire de nœuds. Le sarjeness n'a pas de poches d'où le dicton en judéo-alsacien : "S'Sarjeness hot kan Säck" pour dire que l'on n'emporte rien dans l'au-delà.

C'est par destination le vêtement funéraire, et pourtant, au cours de son existence, le juif a l'occasion de le porter. Lorsque la date de son mariage est fixée, il fait faire son sarjeness ; il aura l'occasion de le porter pour la première fois, par-dessus ses vêtements, lorsqu'il se trouvera sous le dais nuptial avec sa jeune épouse, revêtue elle aussi du sarjeness. Cet usage, commun à tout l'espace rhénan, ne semble pas avoir été respecté en Alsace, ni en Suisse. Si nous examinons la demi-douzaine de scènes de mariage brodées sur les mappoth d'Alsace ou de Lengnau, nous découvrons les époux sous la "houppa" dans leurs plus beaux atours, mais sans sarjeness. La tradition orale n'en fait pas état.

En revanche, le sarjeness se portera à la synagogue lors des fêtes de Rosh ha-Shana, le Nouvel An, et de Kipour, le Grand Pardon. Des gravures d'origine allemande montrent le chef de famille revêtu du sarjeness présider à la célébration du Séder, le repas pascal au cours duquel on évoque la miraculeuse sortie d'Egypte, mais il n'est pas certain que cette coutume ait été introduite en Alsace. Le judaïsme alsacien avait ses caractères propres ; le grand rabbinat alsacien, au 18ème siècle, fut longtemps entre les mains de rabbins de vieille souche alsacienne, comme Samuel Sanvil Weyl, Leib Elsass, Benjamin Hemmendinger, Wolff Reichshoffen. Les nombreux rabbins, enseignants et chantres venus d'Allemagne, d'Europe centrale ou de Pologne, ne tentèrent pas - ou ne réussirent pas - à introduire en Alsace les coutumes qui avaient été les leurs dans leur pays d'origine.

Quant à la symbolique du port de vêtements mortuaires lors de certaines cérémonies, on a observé qu'à chacune d'entre elles correspondait le départ d'une période nouvelle dans l'existence, et que l'on portait le deuil de la précédente : le mariage, le Nouvel An, la Pâque (rappelons que si l'année civile hébraïque commence à Rosh ha-Shana, l'année religieuse, elle, débute à Pessa'h), et le jour de Kipour durant lequel, selon la tradition, le destin de chaque être est fixé.

La coiffure des femmes

De tout temps, les femmes juives mariées s'astreignaient à cacher leur chevelure de sorte que l'on pouvait présumer être en présence d'une jeune fille du simple fait qu'elle montrait ses cheveux. Il existe de nombreux textes à ce sujet, par exemple Mishna  Ketuboth 2:10 et 7:6, Tal. Bab. Berakhoth 24a.

Dans le monde romain, une femme qui cachait ses cheveux était présumée juive. N'importe quel voile faisait l'affaire, mais dans quelques textes, il est question de perruques (Talm. Bab, Nazir 28b. Sanhédrin 112a, Arakim 7b). Mais la mode de la perruque en cheveux, à laquelle on donne le nom de Scheitel n'apparut véritablement qu'avec les temps modernes. Les rabbins n'étaient pas toujours d'accord avec cette mode. Ainsi Moyse Sofer de Presburg (1763-1839), interdit formellement aux femmes de sa famille d'en porter. Il y voyait à la fois immodestie, puisque la perruque faite en cheveux était portée sans voile, et introduction d'une mode nouvelle, ce que les rabbins voyaient toujours avec méfiance.

En Alsace, au cours du 19ème siècle, la mode fut diversement suivie. Elle est devenue aujourd'hui l'apanage des familles orthodoxes.

Un vêtement à la mesure de ses moyens

Au terme de cette brève étude historique, nous voudrions souligner l'importance accordée par les juifs au vêtement; les rabbins n'ont-ils pas déclaré que l'homme devait soigner son  apparence et être habillé à la mesure de ses moyens, alors qu'il devait manger et boire bien au-dessous de ses moyens (Hullin 84b) ? Les juifs ont suivi cette injonction au point qu'il fut nécessaire, dans certaines communautés, d'imposer des règlements somptuaires afin de bannir le luxe ostentatoire et ce que l'on désigne par le terme huqat h'agoyim, des habitudes non juives.

L'Alsace fut longtemps épargnée par ces sortes d'extravagances et l'on ne connaît pas de règlement somptuaire propre aux communautés alsaciennes. Bien au contraire, le règlement de la communauté de Ribeauvillé, qui porte la signature du rabbin Samuel Sanvil Weyl, rabbin de la haute et de la basse Alsace, impose une tenue convenable (Breithaupt et Schulmantel) pour tous ceux qui voulaient assister à l'office synagogal.

Les communautés d'Alsace étaient pauvres. A la fin du 17ème siècle, l'intendant De la Grange pouvait encore écrire que peu de juifs en Alsace étaient de condition aisée et qu'aucun ne saurait être appelé riche. Vers le milieu du 18ème  siècle, quelques familles sortirent de la masse, la plus riche étant celle de Cerf Berr. La jeune génération n'eut guère le loisir de scandaliser les masses par un luxe tapageur la Révolution eut vite fait de niveler les fortunes comme elle interdit le vêtement spécifiquement juif. La plus grande partie de la communauté eut quelque difficulté à adopter les habitudes vestimentaires de l'entourage, elle témoignera longtemps d'un certain retard à adopter une mode nouvelle.

Il convient de souligner le particularisme des juifs d'Alsace, notamment au 19ème siècle, Il est peu probable que l'on dressât jamais la huppa, le dais nuptial, en plein air; le mariage se faisait, non pas à la synagogue, mais dans le Tanzsaal, la sale de fêtes. On ne revêtait le sarjeness ni pour se marier, ni pour présider le Séder, la Cène pascale, On portait l'arbaa-kanfoth, mais les tsitsith demeuraient cachées.

Récemment encore une étude universitaire décrivait, à tort, les coutumes alsaciennes à partir du Shul'han Arukh du Rav Ganstried, alors qu'il convient de les situer dans la spécificité d'une culture et d'une histoire particulières, tout en ne négligeant pas, bien sûr, les échanges avec les autres communautés.

Notes
  1. Talmud Babylonien, Mena'hoth 6a, 39b.    Retour au texte
  2. Selon Schudt, le viereckiger Schleier était marqué par deux galons de couleur bleue réservés aux femmes juives (Jüdische Merckwürdigketen, Frankfurt a/Main. 1715). Nous n'avons rien remarqué de tel sur les documents alsaciens que nous possédons.    Retour au texte
  3. Les vêtements du Shabath  étaient d'une importance telle que le fait de les porter par inadvertance en semaine les rendait impropres à l'usage shabatique (Talmud Babylonien, 'Hagiga 20a).    Retour au texte
  4. Certains grands rabbins, prenant exemple sur l'évêque, avaient fait fixer à leur chapeau plat de curé un cordonnet dont les extrémités pendaient dans la nuque.    Retour au texte
  5. Le spectacle des juifs se rendant à la synagogue le samedi en chapeau haut de forme et en sabots ou en galoches, ne surprenait plus personne dans nos villages alsaciens.    Retour au texte

Traditions Judaisme alsacien
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