De Limoges à Strasbourg
par Gérard Braun (Orvet)



Un office EI dirigé par Gérard Braun (Orvet)
Lorsqu'il s'avéra -en 1940- que la communauté de Strasbourg allait devoir signer avec la ville de Limoges un contrat de présence à durée indéterminée, une meute de louveteaux E.I. se constitua. C'est dans cette unité que commença mon parcours de 33 ans au sein du mouvement. Mes souvenirs de cette période sont assez confus et, sachant que "le vécu d'une expérience n'a rien à voir avec le rappel de cette expérience" (1), je me garderai de relater celle-ci qui se limita en fait aux classiques réunions, sorties et camps (très courts). Il est évident que je n'avais alors aucune idée de l'existence d'autres unités E.I. dans la ville, qu'il s'agisse d'unités de la branche cadette ou de la branche moyenne et, a fortiori, de la "Sixième". La seule trace qui reste claire dans ma mémoire est l'annonce qui nous fut faite -en 1943- de la dissolution des E.I. et de notre rattachement aux E.U. (d'obédience protestante).

En 1944, de retour à Limoges après un séjour d'environ un an dans une bourgade limousine, judenrein si l'on excepte notre famille, je quittais la meute pour la troupe. Avant de participer aux activités de la troupe Cerf-Berr de Strasbourg où nous retournâmes au début de l'année 1946, je fus un de ces "2000 jeunes qui se retrouveront et se croiseront, regroupés en différents camps et périodes, sur le "plateau cévenol" (2) du Chambon-sur-Lignon, près de l'hôtel des Roches dans lequel résidait Castor (et, sans doute, d'autres chefs E.I.). Gravissant les divers échelons de la hiérarchie (militaire ?) du mouvement, je me suis retrouvé Commissaire provincial pour la branche Éclaireurs et membre de la C.A., après avoir été chef de troupe et Commissaire local. Quittant la France en 1967 pour la Belgique, j'ai mis sur pied à Bruxelles une meute affiliée aux E.I., tout en restant membre de la C.A. jusqu'au conseil national d'Herbeys, en 1973 … .

Outre la description de mon parcours personnel au sein du mouvement, je voudrais faire, ici, quelques remarques concernant la place que ce dernier occupa au sein de la communauté juive française durant ces années d'après la tourmente. L'orientation générale du mouvement a été remarquablement décrite par Alain Michel qui, dès le début de son ouvrage (3) mentionne ce qui me semble avoir fait la force des E.I. d'après-guerre, à savoir la notion de pluralisme. Seul mouvement de jeunesse juive prêt à accueillir en son sein tout jeune juif, quelles que soient, par ailleurs, ses convictions "religieuses", il a été le creuset dont ont émergé nombre de rabbins, présidents de communauté, enseignants et rache yechivoth. En d'autres termes, les E.I. ont modelé la communauté juive de France durant dette période de reconstruction, et lui ont fourni nombre de ses dirigeants.

A l'échelon national, je pense que la plus importante des réalisations E.I., celle qui a été un moteur de la prise de conscience de l'identité juive par les jeunes juifs de France, réalisation qui a largement débordé les limites du mouvement, a été la création par Castor de l'école des cadres Gilbert Bloch à Orsay.

A l'échelon local de Strasbourg, tous les mouvements de jeunesse juive se sont regroupés au sein du Mercaz hanoar qui fut co- et autogéré par un ensemble de cinq mouvements de jeunesse aussi différents les uns des autres que pouvaient être Yechouroun et Hachomer hatsaïr. Là aussi, se retrouva ce pluralisme qui fut la marque des E.I. et qui permit de ressouder en une seule communauté les rescapés de la Shoah.

Finalement, ce qui fut pour moi la marque des E.I. a été cette possibilité de rencontre et d'échange d'idées entre jeunes et adolescents venus de tous bords. Déplorons la perte de ce qui a disparu et qui ne se retrouve pas ! (4)


EI de Strasbourg : de g. à dr. : Simone Kogan née Reichner, "Paupaul",
Roland Goestchel, Rolande Klein, Ruth Katz.

EI de Strasbourg : 1:Dr Jean Kahn - 2: Jean Kahn
(président du CRIF) - 3: Gaby Israël

Notes :
  1. B. Cyrulnik, Sauve-toi, la vie t'appelle, Paris, Odile Jacob, 2012 (p. 138).
  2. A. Michel,  L'histoire des E.I de 1923aux années 1990, Jérusalem, Elkana, 2003 (p.152)
  3. A. Michel,  op. cit. (p. 25).
  4. Traité Sanhedrîn 111a

Photographies : © coll. Philippe Klein

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