Remise du diplôme de Haver à Emond Fleg

SÉMINAIRE ISRAÉLITE DE FRANCE
ANNÉE SCOLAIRE 5710 (1949-1950)
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SÉANCE SOLENNELLE DE RENTRÉE
tenue le 28 novembre 1949
(7 kislev 5710)
sous la présidence de M. GUY DE ROTHSCHILD
président du Consistoire central des Israélites de France

La séance qui a marqué la reprise des cours du Séminaire pour l'année scolaire 1949-1950 - année religieuse 5710 - n'a pas été solennelle seulement, au sens étymologique du terme. Diverses circonstances ont concouru à donner à cette cérémonie, qui a eu lieu le 28 novembre 1949 (1), un caractère particulièrement imposant.

Elle a été présidée par le baron Guy de Rothschild, qui avait été élu quelques mois auparavant président du Consistoire central, à la suite de la démission de M. Léon Meiss, et qui prenait ainsi la place de son père, feu le baron. Edouard de Rothschild, décédé le 30. juin 1949.

Le Séminaire avait perdu au cours de l'année scolaire écoulée deux autres grands amis : M. Jacques Sée, président honoraire du Consistoire de Paris, décédé le 30 mars 1949, et M. Gaston Hildenfinger, membre du Consistoire de Paris et du Comité de Bienfaisance israélite de Paris, membre de la Commission administrative du Séminaire, décédé le 24 novembre 1948, ainsi que deux rabbins : le grand-rabbin Abraham Bach, professeur de Talmud, décédé à Nice le 3 janvier 1949, et le rabbin Georges Apeloig, secrétaire général adjoint du Consistoire central, décédé le 12 février suivant. M. le grand rabbin de France Isaïe Schwartz, président de la Commission administrative, a prononcé l'éloge des défunts et récité les prières traditionnelles à leur mémoire.

En même temps qu'il honorait ses morts, le Séminaire voulait témoigner l'admiration de la Communauté israélite à M. Edmond Fleg, poète et romancier, historien et penseur, illustration du judaïsme de France, à l'occasion du 75e anniversaire de sa naissance. Le titre de "Habêr",. "Compagnon de la Tora", lui a été conféré au cours de la séance, et un diplôme, écrit sur parchemin par un élève de l'Ecole, M. Emmanuel Chouchena, et signé par trois grands rabbins, lui a été remis à l'issue de la cérémonie.

La collation de ce grade honorifique avait été précédée par le discours d'usage, prononcé par le nouveau Professeur de lettres, M. Pierre Mélèse, professeur agrégé de l'Université. Faisant ressortir les liens qui unissent la culture juive et la culture française, M. Mélèse, qui, par une heureuse rencontre, s'est. reconnu des origines messines, a traduit l'idéal du Séminaire israélite de France depuis sa fondation à Metz en 1829, en même temps qu'il caractérisait l'oeuvre d'Edmond Fleg. M. Ben Danou, speaker à la Radiodiffusion nationale, professeur de diction à l'Ecole, a lu ensuite un poème de M. Edmond Fleg approprié à la circonstance (2).

Enfin, M. le grand rabbin Julien Weill, vice-président de la Commission du Séminaire et ancien professeur de lettres à l'Ecole, a rappelé les titres de M. Edmond Fleg à être honoré dans une maison consacrée à l'étude du judaïsme (3) et a donné lecture de la traduction française du diplôme de "Habêr".

Le programme de cette cérémonie - nous le reproduisons plus loin - avait attiré au Temple de la rue Vauquelin, qui est l'oratoire du Séminaire, un public aussi nombreux que l'édifice pouvait le contenir. Aux premiers rangs de l'assistance on remarquait les membres du Consistoire central et du Consistoire de Paris : MM. le Dr André Bernheim, Adolphe Caen, André Kahn, Maurice Kanapa, René Mayer, Jacques Mosséri, Edmond-Maurice Lévy, Néhémie Rottemberg, Robert Sommer, Georges Wormser ; M. R. A. Olchanski, ancien trésorier du Consistoire central etc..., etc... ; M. le grand rabbin Jacob Kaplan ; MM. les rabbins Paul Bauer, Meyer Jais, Henri Schilli, Jean Schwartz, André Zaoui. (…)

M. René Cassin, président de l'Alliance Israélite Universelle - dont le Comité central compte M. Fleg parmi ses membres - avait envoyé un message particulièrement élogieux : "Je suis heureux de saisir L'occasion que m'offre le 75ème anniversaire de M. Edmond Fleg, non seulement pour adresser au grand poète, au grand français, au grand juif, mes félicitations les plus chaleureuses et mes vœux les plus fervents, mais aussi pour lui dire la gratitude de L'Alliance Israélite pour la collaboration qu'il lui donne.
Aux nombreux titres qu'il s'est acquis à la reconnaissance du judaïsme, il faut ajouter celui que lui confère sa qualité de membre du Comité central de l'Alliance Israélite. Ce n'est point l'effet d'un hasard qu'il siège dans notre Conseil. L'universalité de sa pensée, expression et synthèse à la fois de son idéal français et de son idéal juif, trouve sa place tout indiquée dans le cadre de l'Alliance, elle aussi marquée par le caractère d'universalité, en raison de ce même double idéal qu'elle poursuit."

(…)

ALLOCUTION DE M. ISAIE SCHWARTZ
grand rabbin de France
président de la Commission du Séminaire

Mesdames, Messieurs,
La cérémonie de rentrée du Séminaire comporte aujourd'hui un élément nouveau.

Avant d'accorder une pensée pieuse et fidèle aux personnes dévouées que nous avons perdues cette année, j'ai j'agréable devoir de souhaiter la bienvenue au poète et penseur qui a consacré à la gloire et à la défense du judaïsme les dons merveilleux reçus de Dieu. Il s'agit vous l'avez deviné - de M. Edmond Fleg, universellement connu et cher à notre cœur. Le grand rabbin de Paris, doyen des rabbins formés dans notre Maison, aura le privilège de lui remettre, au nom de ses collègues, le diplôme de "Haber", en témoignage de respect et d'admiration. Ce diplôme peut, dans une certaine mesure, être comparé à celui de docteur "Honoris causa" que délivrent les Facultés. Mais pour nous, rabbins, il a une signification plus profonde et plus intime.
Il rend hommage à l'écrivain et à l'homme, indissolublement unis, ainsi que l'indique le mot "Haber" ; il en fait un compagnon qui se plaira dans la société des rabbins et que ceux-ci sont heureux et honorés d'accueillir en leur milieu. Puisse-t-il le rester de longues années, ad mé'a ve'esrim chana.

(…)

TRADUCTION DU DIPLOME DE "HABÊR" CONFÉRÉ A M. EDMOND FLEG (4)

C'est un privilège d'Israël, faute d'être prophète, d'être du moins enfant de prophètes (5). Or, voici que, dans notre génération si bouleversée, s'est élevé un enfant-prophète (6). Son inspiration a soufflé d'abord dans Genève, sa ville natale, et, mû par cet esprit, il est venu dans la capitale de la France pour, y étudier les lettres et les arts (7). Là, il s'est élevé de plus en plus haut pour exceller en tout savoir dont l'homme peut être gratifié par Celui qui accorde à l'homme sagesse et intelligence (8).

Il a manifesté alors son talent dans la poésie et dans la prose poétique, tant profane que sacrée. Mais il a préféré la bien-aimée Tora d'Israël à la célèbre Sagesse de l'Hellade et à la fameuse science de la Germanie. Dans son amour pour la Tora et pour Israël, il a entrepris d'armer ses frères de l'arc-en-ciel (9) de la poésie et de faire jaillir pour eux les sources vives de l'Écriture et de la Tradition (10). Il leur a appris à chanter "Ecoute, Israël... tu aimeras le Seigneur ton Dieu (11)", et à s'imprégner, dans cette foi et cet amour, de l'éternelle espérance d'Israël au milieu de ses tribulations (12).

Telles furent les Enfances (13) de cet homme de talent et tels les Hauts-Faits de ce féal Servant de la Sagesse. Or, les princes aiment honorer les vaillants et, si les docteurs de la loi ne sont point des princes," ils sont du moins gens de haut lignage (14).

Ainsi donc, en ces jours où notre éminent ami a atteint l'âge médian entre la vieillesse et la force (15), nous proclamons : "Voilà celui que le Roi du monde veut honorer" (16). Ce pourquoi nous, grands-rabbins soussignés, avons décidé d'un commun accord de lui réserver un siège dans la Session des Sages (17) parmi les compagnons de l'Académie d'En-bas (18), afin qu'il occupe dans le pavillon de la Tora (19) un lieu et un monument plus précieux que fils et filles (20).

En conséquence, nous couronnons du titre de Haber, de "Compagnon de la Tora", notre cher et affectionné, le bien nommé Israël, fils de Moïse, de la famille Flegenheimer, qui a illustré son surnom d'Edmond Fleg.

Veuille le Seigneur le garder et le protéger, prolonger ses jours dans son foyer, auprès de sa chère compagne (21). Puisse-t-il assister à l'exaltation de la Tora et à la Consolation d'Israël (22), à l'avènement du vrai prophète Elie (23), dont béni soit le nom.

Ainsi écrit et signé, en l'honneur de la Tora et de ses disciples, en ce deuxième jour de la semaine où nous lisons dans le texte de la Tora : "Il rêva et voici qu'une échelle était dressée à terre et son sommet atteignait le ciel, et voici; que les anges de Dieu y montaient et en descendaient" (24), et du millésime auquel fait allusion ce verset du prophète : "Et toi, reviens à ton Dieu, observe charité et justice, et espère en ton Dieu constamment" (25).

Notes :

  1. Une maladie du directeur de l'Ecole, survenue quelques jours après la séance et qui s'est prolongée plusieurs mois, a retardé la publication du présent compte rendu. Entre temps le Séminaire; qui avait eu à déplorer la disparition de plusieurs amis et bienfaiteurs, a eu à enregistrer un deuil de plus : M. Julien WEILL, grand rabbin de Paris, ancien professeur à l'Ecole et vice-président de.Commission administrative, est décédé le 25 avril 1950. Il a paru convenable de joindre au compte-rendu de la cérémonie de rentrée les discours prononcés tant aux obsèques du grand-rabbin Julien WEILL qu'au service de trentaine célébré au Temple de l'Ecole le 25. mai 1950 (9 sivan 5710) .
  2. L'Ecole du Ciel (Ecoute Israël, dernière partie :Et tu aimeras l'Éternel), Paris, 1948, p. 115 et suivantes.
  3. Nous regrettons de ne pouvoir reproduire l'allocution du regretté grand-rabbin de Paris ; elle n'a pas été retrouvée dans ses papiers.
  4. Le texte hébreu est écrit dans le style de la melitza (poésie) , cultivée principalement par les écrivains italiens de la Renaissance. C'est comme une mosaïque de références et d'allusions à des passages bibliques et talmudiques. On s'est efforcé, dans cette version française, de rendre autant que faire se pouvait les citations et les pointes de l'hébreu, précisées dans les notes qui suivent.
  5. Pesahim, 66 a.
  6. Allusion au roman ou plutôt à l'autobiographie romancée de Fleg L'Enfant Prophète.
  7. Edmond Fleg est né à Genève, le 26 novembre 1874. Il a été un brillant élève de l'Ecole Normale supérieure, où il a préparé l'agrégation d'allemand.
  8. Finale de la 4ème bénédiction des Chemonë-Essré.
  9. D'après II Samuel 1:18, interprété au figuré.
  10. Allusion aux principales oeuvres juives d'Edmond Fleg : Ecoute,, Israël, Moïse, Salomon, Anthologie juive, où la littérature biblique est enrichie par les interprétations traditionnelles.
  11. La Légende des Siècles juive que constituent les poèmes réunis sous le titre général d'Ecoute, Israël se termine par le cycle intitulé Et tu aimeras l'Éternel".
  12. Allusion au plus récent ouvrage d'Edmond Fleg, Nous de l'Espérance.
  13. Sens littéral de l'hébreu "Toladôth", qui peut aussi se traduire par "histoires, exploits, hauts faits".
  14. D'après Guittin, 62 a.
  15. Voir Aboth 5:24 (le terme de "force", tiré de Psaumes 90:10, pourrait être une litote pour "faiblesse").
  16. D'après Esther 6:6.
  17. IISamuel 20:8, d'après l'interprétation traditionnelle (voir Commentaire de R. David Kimhi).
  18. La Tradition (Berakhôth, 18 b et ailleurs)établit une corrélation et comme une correspondance entre l'Académie d'En-Haut, présidée par Dieu même, et l'Académie d'En-bas, où prennent place les Sages d'Israël, interprètes de la Tora. C'est cette conception qui est mise en oeuvre dans les deux parties finales de Ecoute, Israël.
  19. Genèse,20:27 d'après l'interprétation du Midrach.
  20. Isaïe 56:5.
  21. C'est l'interprétation traditionnelle de "sa maison" dans Lévitique 16:17 ; la maison, le foyer, est ici une métonymie -pour "épouse", qui autrement serait omise (voir Yoma 2a ; Chabbat 118b, etc...).
  22. La "Consolation d'Israël", annoncée dans Isaïe 50:1, désigne dans la théologie et dans la liturgie rabbiniques la restauration messianique, comme on le voit dans l'intercalation sabbatique de la 3ème bénédiction des Grâces, et ailleurs.
  23. Reprise de l'allusion du début. Elie est considéré dans la tradition juive comme le précurseur du Messie, d'après les deux derniers versets des Prophètes (Malachie 3:23-24).
  24. Genèse, 28:12, donc le lundi de la semaineon lit la Paracha de Vayétsé, dont ce verset est le troisième, en l'espèce le 7 Kislev 5710 = 28 novembre 1949.
  25. Osée 12:7 (au milieu de la haftara de Vayétsé). Les lettres surmontées d'un point dans cette citation ont comme valeur numérique (5) 710, millésime de l'année israélite. Cette double datation a ceci d'ingénieux que les versets cités caractérisent Fleg comme le rêveur inspiré de l'espérance d'Israël.



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