il y a cent ans…les écoles israélites en Alsace (suite et fin)

la circulaire consistoriale du 22 mars 1812

La proclamation du Consistoire Central dont le texte a été publié dans notre précédent article était la suite d'une lettre du ministre des Cultes, contenant les dispositions du gouvernement sur "l'organisation de l'instruction religieuse de la jeunesse israélite et sur celle des études de théologie pour les candidats au rabbinat". La proclamation exprime la joie et la reconnaissance des représentants du judaïsme français de ce temps. Quant au côté pratique, à la manière dont ils voulaient mettre à exécution les idées générales du Gouvernement, on en trouve l'expression dans une circulaire du Consistoire Central aux Consistoires départementaux à laquelle furent annexées : 1° la copie de la lettre ministérielle, 2° la proclamation connue. Voici la partie essentielle de cette lettre-circulaire :

Paris le 22 mars 1812.

Vous verrez, Messieurs, par la lettre de S. Exc. que, grâce à sa sollicitude paternelle, les soins que le Consistoire Central se donne depuis si longtemps pour relever de ses ruines, et pour rétablir sur des bases solides, cette partie fondamentale de notre édifice religieux, ont été, avec l'aide du Très-haut, couronnés du plus heureux succès. Vous partagerez sans doute avec nous les sentiments de gratitude dont nous sommes pénétrés pour le Magistrat suprême, qui ne cesse de nous donner des marques éclatantes de sa justice et de sa bienveillance.

En effet, il ne suffisait pas que notre culte fût organisé, il fallait des moyens pour perpétuer les connaissances des dogmes sacrés de la religion de nos pères.

Israël ! Que ta reconnaissance éclate envers le plus grand des Héros législateurs ; tes vœux sont exaucés, la stabilité de tes saintes lois est assurée. Le gouvernement non seulement nous autorise de former des établissements d'instruction religieuse, mais il nous le présente comme un devoir, et impose au Consistoire Central la douce obligation de lui rendre un compte habituel de l'état et des progrès de ces établissements.

Il est conséquemment de la plus haute urgente, Messieurs, de réunir tous nos efforts pour remplir ce devoir sacré envers la religion et l'Etat.
Nos premiers soins doivent se porter sur les moyens de régulariser le système de l'instruction religieuse et civile en la graduant par des classes ; commençant par l'enseignement des connaissances nécessaires à chaque israélite pour la pratique de la religion, par celle des devoirs du sujet envers le Souverain, et du citoyen envers la Patrie, jusqu'à celle d'un cours de théologie professé par un grand-rabbin ; c'est principalement sur la nécessité de cette méthode si importante an développement intellectuel de la jeunesse que nous appelons spécialement toute votre attention et tout votre zèle religieux.

Que des écoles de première instruction, à frais communaux, s'ouvrent dans toutes les communes de votre circonscription, où se trouvent des Israélites en nombre suffisant pour subvenir à l'entretien d'un instituteur, de manière que l'enfant du pauvre puisse recevoir la même instruction religieuse et civile que celui de l'homme aisé ; cette première instruction doit consister dans l'enseignement des principes élémentaires des langues hébraïque et française, de la grammaire des deux langues, de l'écriture, des dogmes et préceptes pratiques de la religion et de la morale, de l'arithmétique, des cinq livres de Moïse avec le commentaire de Raschi, autant que possible, des prophètes avec le même commentaire ou celui de Radak (3), et enfin de la Missna (!) suivie des conclusions (halacothe) de Hariph (4), si les instituteurs des communes sont en état de l'enseigner.

Qu'une école d'instruction théologique pour les jeunes gens qui se destinent au rabbinat, soit établie aux frais de tous les Israélites de la circonscription, dans la ville où siège le Consistoire, avec les maîtres et répétiteurs nécessaires au nombre des élèves, ces élèves ne devront être admis dans cette école qu'après avoir subi un examen sur leur capacité en première instruction.
L'enseignement dans cette école se composera de la Missna, du Talmud, des commentateurs et des auteurs classiques, de théologie et de morale ; ces études seront divisées en trois classes, dont la dernière sera un cours de théologie pratique professé par M. le grand-rabbin de la circonscription, qui sera en même temps chargé de la surveillance particulière de l'école.
Les jeunes gens qui joindront aux études théologiques la culture des sciences humaines et de belles-lettres (ce qui leur sera facile, en fréquentant les cours des lycées, comme externes), seront toujours préférés dans les élections aux places de grands-rabbins, conformément à l'article 20 du règlement de l'assemblée du 10 décembre 1806.

Voilà, Messieurs, l'esquisse du plan d'instruction religieuse et civile que nous soumettons à vos lumières et à votre sagesse, et sur laquelle nous provoquons votre avis et vos observations analogues (?) aux localités, tant sur les moyens qui seront en votre pouvoir pour son exécution que sur le mode le plus économique à adopter.
Il est également nécessaire, Messieurs, que vous nous fassiez connaître dans le plus bref délai possible l'état actuel de l'instruction religieuse dans votre circonscription, ainsi que le nombre des maîtres d'école et instituteurs qu'elle renferme, en y joignant vos remarques sur leur capacité.

C'est en nous entr'aidant et en nous éclairant mutuellement sur un objet de si haute importance que nous parviendrons à rendre à Israël le lustre dont il brilla dans les siècles des Raschi, des Maimonides, des Abenesdra, etc., etc.

dix ans plus tard : la circulaire du 22 novembre 1822

D'après le premier document que nous avons publié (daté du 10 août 1819), le Consistoire central avait encore espéré pouvoir fonder non seulement des écoles primaires, mais aussi une Ecole Supérieure Centrale pour la préparation des rabbins. Trois ans après, on avait laissé tomber l'idée d'une Ecole Centrale pour toute la France parce que l'exécution de ce projet aurait demandé des fonds trop élevés.
On voulait maintenant se borner à établir une école de théologie dans chaque département. Le document que nous allons reproduire fait connaître aux consistoires départementaux ce changement, mais il est surtout intéressant parce qu'il porte la marque d'un régime nouveau, la Restauration succédant aux années de guerre du premier Empire.
Il porte la date du 22 novembre 1822 et les signatures des grands rabbins de Cologna et E. Deutz, des membres laïques Aron Schmoll, S. Mayver Dalmbert et du secrétaire Polack.
Messieurs,
Dix années se sont écoulées depuis que, pour la première fois, nous appelâmes l'attention des Consistoires départementaux sur la nécessité de pourvoir à l'instruction religieuse et morale de la jeunesses israélite.
Notre circulaire du 13 mars 1812 (5) invitait ces Administrations à établir dans les communes de leurs circonscriptions des Ecoles d'instruction primaire et dans le chef-lieu une Ecole supérieure pour l'enseignement des élèves qui se voueraient au rabbinat.

Des années de guerre et d'inquiétudes ont dû justifier à nos yeux le retard qu'ont mis les Consistoires à répondre à notre appel. Il nous a été facile de nous convaincre que leur bonne volonté se trouvait enchaînée par la force des circonstances. En effet, à peine la Restauration s'est-elle opérée, à peine le Roi légitime est-il venu occuper le trône de ses glorieux ancêtres, portant avec lui la paix et le repos, que le zèle des Consistoires s'est aussitôt réveillé et nos sollicitations ont cessé de demeurer sans succès. Des écoles israélites d'instruction primaire out été organisées et d'autres s'établissent journellement. Les progrès toujours croissants des jeunes élèves sont un monument vivant de la pieuse sollicitude des Administrations consistoriales, dont la reconnaissance publique proclame le zèle et les bienfaits.
Le Consistoire central, en se félicitant de voir ses intentions si bien secondées, ne saurait se dispenser, Messieurs, de vous entretenir de ce qui reste encore à faire pour compléter l'oeuvre sainte de l'instruction religieuse, nous voulons parler de l'organisation d'écoles destinées à former des élèves en rabbinat, mesure évidemment indispensable au soutien de l'édifice sacré du culte de nos pères.

Nous pensons que votre sagesse sera plus à même d'apprécier notre plan relatif à cet important objet d'après le développement et les réflexions que nous allons vous présenter.
La fondation d'établissements consacrés à l'instruction d'un certain nombre d'élèves qui puissent y acquérir les lumières et les connaissances nécessaires pour occuper un jour le ministère important du rabbinat est le plus grand service que réclame l'intérêt véritable de notre sainte Religion et l'un des besoins les plus pressants que doive sentir quiconque s'honore du nom de vrai Israélite. Comment, en effet, remplira-t-on ce vide qu'apporte inévitablement la marche de la nature s'il n'existe une pépinière de jeunes élèves parmi lesquels l'on puisse choisir des remplaçants, capables par leurs lumières et par leur conduite exemplaire d'exercer honorablement les fonctions sacrées de leurs vénérables devanciers ?

Depuis son institution, le Consistoire central n'a jamais perdu de vue ce grand objet et, à plusieurs reprises, il s'est occupé d'un plan pour la création d'un Collège central de théologie. Mais ses voeux n'ont pas pu se réaliser par l'obstacle que présentent les frais d'un semblable établissement; les dépenses, calculées d'après la plus stricte économie, ont été trouvées énormes, même à l'époque où, par la très grande étendue du territoire français, le nombre des contribuables était incomparablement plus fort qu'il ne l'est aujourd'hui. Il est évident que cette réduction de la population, quoique exigeant un nombre d'élèves moindre, n'influerait pour rien sur l'économie des dépenses qui seraient encore excessives ; en effet, le traitement des professeurs attachés à l'institution, ainsi que leur nombre et plusieurs autres frais, seraient à peine susceptibles de quelque diminution. Il est, en outre, à observer que le déplacement des jeunes gens demeurant à une certaine distance du point central les soumettrait à des frais considérables, ce qui pourrait encore les détourner de s'adonner aux études théologiques.

Il est vrai que l'article 3 de l'Ordonnance royale du 29 juin 1819, que nous avons provoquée, contient des dispositions qui ont rapport à l'hypothèse de la fondation d'une Ecole théologique centrale, puisqu'il y est déclaré que des frais d'instruction pourront être compris dans la répartition des dépenses de notre Administration; il est également vrai que, dans notre circulaire du 19 août 1819 (6), nous avons nous-mêmes émis le voeu de voir s'élever un établissement de cette nature. Cependant les réflexions que nous venons d'exposer plus haut nous donnent la conviction que le projet de l'établissement d'un Collège central est, du moins quant à présent, inexécutable.
Or, le Consistoire central, placé entre l'impossibilité de réaliser ce projet et la nécessité impérieuse de pourvoir à la conservation d'une classe de fonctionnaires si intimement liée à la conservation de notre sainte Religion, a pensé qu'un plan moins étendu et approprié â la position des élèves des diverses contrées, en offrant un avantage considérable sous le rapport de l'économie, donnera en même temps un résultat assez satisfaisant pour atteindre le but salutaire dont il s'agit.

En conséquence, nous avons l'honneur d'inviter MM. les membres des Consistoires départementaux et MM. les notables des circonscriptions respectives à voter, à l'occasion de la formation des budgets, une somme annuelle pour l'établissement d'une Ecole départementale de théologie pour un nombre d'élèves proportionné au besoin présumé de chaque circonscription, sauf l'approbation du Consistoire central relativement au genre d'études, à la méthode à suivre dans l'instruction et au règlement de chacune de ces écoles.

Messieurs les membres des Consistoires et Messieurs les notables, le zèle qui vous anime ne saurait vous permettre de fermer les yeux sur l'avenir ; le sort futur de notre sainte Religion dépend de votre prévoyance ! Que deviendrait en effet l'héritage précieux et céleste que nous ont légué nos bienheureux ancêtres sans ces ministres capables et dignes d'en conserver le dépôt sacré ? Se peut-il que le culte du vrai Dieu, que la Religion toute divine soient les seuls exposés au risque de manquer un jour de ces fonctionnaires qui en sont les gardiens nés ?

Non, Messieurs, votre piété reconnue nous rassure sur la crainte de ce vide effrayant. Le Consistoire central sait par expérience que vous proposer de faire le bien, c'est pouvoir compter d'avance sur votre concours et sur vos efforts. Une école, modeste mais utile, s'organisera dans chaque circonscription pour des élèves en rabbinat, et les générations qui s'élèvent, dirigées par des pasteurs aussi pieux qu'éclairés, se féliciteront des avantages réels qu'assure la Religion et béniront les noms de ceux qui ont fondé des établissements indispensables à la conservation de leur culte antique et sacré.
Nous avons l'honneur, etc.

création des écoles

Les "vieux papiers" dont nous devons la possession à un hasard ne disent plus rien sur notre sujet. Les archives des Consistoires qui, à notre connaissance, n'ont pas encore été utilisées pour l'étude de l'histoire du dernier siècle, doivent en parler plus longuement. Il serait temps de les ouvrir et de les rendre accessibles aux historiens.

On sait qu'une école talmudique a été fondée en 1823 à Metz et qu'elle est restée la seule en son genre dans notre pays ; elle a été transformée en 1830 en Ecole centrale rabbinique et transférée en 1859 à Paris.
Après l'annexion allemande, c'est l'école préparatoire rabbinique de Colmar qui formait les candidats-rabbins jusqu'à leur entrée à l'Université : ils terminèrent leurs études, dans les premières années à. Strasbourg, plus tard dans les séminaires rabbiniques de Berlin ou de Breslau. L'Ecole de Colmar n'a existé qu'une vingtaine d'années, de 1880 à 1900.
L'heureux retour de nos provinces à la France ramène nos candidats-rabbins à l'École Rabbinique de la rue Vauquelin à Paris.

Pour le développement des écoles primaires on mit un zèle infatigable. Dans la période de 1820 à 1850,des écoles surgissent dans tout le pays, chaque communauté de quelque importance en a une, subventionnée d'abord, entretenue ensuite par la commune.

Dans le Bas-Rhin surtout, l'activité fut grande. Les membres du Consistoire faisaient des tournées périodiques, s'informaient des besoins des communautés, demandaient ce qu'on avait fait pour les écoles, surveillaient les administrateurs. Ceux-ci se rendaient tous les jours à l'école pour voir si les enfants étaient présents ; ils allaient les chercher s'ils n'étaient pas venus. (Voir Maurice Bloch, 1'Alsace juive depuis 1789).
Dans un rapport présenté en 1843 au Consistoire de Strasbourg, le grand rabbin Aron dit qu'il a visité trente communautés, interrogé les maîtres, les enfants, les administrateurs. Il rend compte de ce qu'il a vu dans chaque école, signale les lacunes, loue et critique. Il propose de ne plus nommer un seul Parness ou membre de commission administrative qui ne verse une souscription pour les écoles.

Dans le Haut-Rhin, le grand-rabbin S. Klein, de Colmar, écrit dans une lettre pastorale :

"Que toute la circonscription du Haut-Rhin se considère comme une seule et même communauté; qu'il s'y forme une caisse spécialement destinée à soutenir ou, s'il est nécessaire, à entretenir des écoles dans les localités privées de ressources, et que chacun contribue à cette oeuvre de piété selon ses moyens. Une partie de la dîme qui se prélève sur les dots à d'occasion des mariages en faveur des pauvres, nous parlons de cette partie qui, distribuée ordinairement sans discernement et sans utilité, sert plutôt à entretenir le vice et l'oisiveté qu'à soutenir l'indigence, trouvera un emploi plus utile, plus fructueux et plus méritoire, s'il est versé dans cette caisse."
Le progrès de l'instruction primaire en France - et en Alsace - datent du règne de Louis-Philippe. La loi Guizot crée les écoles communales. E n Alsace, un très grand nombre de villages habités par des juifs auront leurs écoles communales, où enseignent des maîtres zélés, au début souvent des autodidactes sans brevet ou formés dans des écoles talmudiques d'outre-Rhin, parfois même des Allemands, mais bientôt on n'emploie que des instituteurs sortis de l'école normale de Strasbourg.

Il doit avoir existé dans le Bas-Rhin et dans le Haut-Rhin une centaine d'écoles communales, fréquentées chacune par 40 à 80 enfants.
Nous pouvons constater partout, pour la fréquentation, une ligne ascendante jusque vers 1890, et depuis une rapide descente. Des nombreuses écoles, autrefois si florissantes dans la campagne de l'Alsace, il ne reste aujourd'hui presque aucune, et s'il en existe encore, au sait que leurs jours sont comptés.

M. Emile Schwarz a constaté, dans sa récente étude sur le rabbinat de Surbourg-Soultz-sous-forêts que la seule école communale existante encore dans ce rabbinat, celle de Soultz, est descendue de 80 élèves en 1884 à 8 en 1920. Cette constatation, on peut la faire partout. Moi-même, dans ma jeunesse, j'avais 80 camarades d'école à Grussenheim (village de 1.000 habitants en tout, dont 300 juifs); aujourd'hui l'école juive n'y existe plus et les enfants, qui fréquentent l'école catholique sont au nombre de 6 !
Nous ne pouvons cependant pas nous dissimuler que ce n'est pas seulement la disparition des familles juives à la campagne qui est la cause de cette situation, mais une autre circonstance encore, et plus grave. Disons-le : la diminution de la natalité. Naguère, il y a à peine 40 ans, 80 familles juives envoyaient 80 enfants à l'école ; aujourd'hui les 20 ou 30 familles qui restent dans tel village n'en envoient plus que 5 à 10.
Si pour l'immigration de la campagne il y a à la rigueur un pour et un contre, pour la diminution de la natalité, nous ne pouvons que la déplorer.

notes :
  1. Abréviation pour Rabbi David Quim'hi, grammairien et commentateur des livres de prophètes, vivait à Narbonne aux douzième et treizième siècles..    Retour au texte.
  2. Abréviation pour Rabbi Isaac al-Fâsi, célèbre commentateur du Talmud, venu de l'Afrique du Nord (Fez) à Lucène en Espagne, vivait au onzième siècle.    Retour au texte.
  3. Dans notre texte elle était datée du 22 mars 1812 (voir plus haut).    Retour au texte.
  4. Le document en question porte dans notre exemplaire la date du 10 août 1819 (voir note n°2).    Retour au texte.


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