L'ÉCOLE JUIVE
par le dr b. cohn

Extrait du BULLETIN DES AMIS DE LA TRADITION JUIVE
POUR L'ANNEE ISRAELITE 5685 (1925)
Edité par les Amis de la Tradition juive, Colmar, 8 rue Chauffour

(Traduction d'un article de feu Samson Raphaël Hirsch, rabbin à Francfort-sur-Mein, paru dans le premier numéro du JESCHURUN, octobre 1854)

S'il y a un but en vue duquel nous désirerions disposer de la lumière de l'esprit, d'une parole persuasive, de l'art d'enthousiasmer - un but pour lequel nous voudrions éveiller dans toutes les classes de la société tous ceux qui ressentent dans leur coeur une vraie et sincère inclination pour la sainte cause du judaïsme, c'est sans doute l'école juive.

Créez des écoles juives ! Avec cette devise nous voudrions passer d'une ville à l'autre, de village en village : interprètes du devoir le plus sacré, nous parlerions au coeur et à la conscience de nos frères pour plaider la cause de tant de milliers de pauvres âmes juives qui attendent leur résurrection par les écoles juives Au nom du judaïsme, au nom de tout notre avenir, nous ne cesserions de nous écrier : Fondez des écoles, améliorez les écoles qui existent déjà.

Que pouvons-nous, en effet, espérer pour notre avenir, tant que se trouvent dans un état si lamentable les institutions où l'on répand et cultive la semence de cet avenir, - semence qui aurait tant besoin de lumière, de chaleur, de force, pour croître et s'épanouir jusqu'à la hauteur de cette vie juive, si riche en fleurs, que nous aimerions tant saluer comme image de notre avenir.

A quoi nous servirait-il à nous, les aînés, d'être très fidèlement attachés aux saintes traditions de nos pères, si nous abandonnions au hasard l'avenir de nos enfants, si dès le début nous ne leur inculquions pas l'unité de la force, de la foi et de la volonté, qualités qui seules les rendraient capables d'être forts dans l'accomplissement du devoir, qui leur est prescrit par Dieu, capables de vaincre les tendances matérialistes avec conscience et fermeté ?

Ce qui nous fait du tort ? C'est d'abord l'ignorance de la jeune génération ; et les ennemis du judaïsme traditionnel n'ont pas manqué de l'augmenter et de l'exploiter. En la détournant des sources bibliques et talmudiques, on a dérobé à la jeunesse juive la conscience de la valeur et de la grandeur de la destinée juive, de l'esprit clair et frais de toutes ses institutions qui illumine les yeux et qui charme les coeurs. L'étude de la loi juive qui devrait être répandue parmi tout le peuple, on l'a laissée à une seule caste qui, dès lors, pouvait répandre sur les saintes traditions de nos pères et leurs représentants des opinions quelconques, sans craindre d'être démentie par le peuple laïque qui, par suite de son ignorance, avait perdu la possibilité de faire opposition.

Qu'est-ce encore qui nous fait du tort ? C'est le manque d'une culture universelle, suite naturelle de la défection, dans tant de milieux orthodoxes. de la plupart des gens instruits. Cette défection a porté préjudice à une représentation digne de notre saint patrimoine dans les sphères de la société cultivée: elle a facilité aux prêtres de Jéroboam d'identifier le judaïsme avec la barbarie (non-culture) aux yeux des hommes, dont la culture n'est que superficielle.

Ce qui seul peut nous sauver ? C'est l'union étroite des connaissances et de la vie religieuses, avec une instruction profonde et véritablement sociale, c'est l'union intime de Torah im Dereh Erez (1), conformément à la théorie et à la pratique de nos grands ancêtres.

Pour atteindre ce but, nous avons besoin d'écoles juives, dans lesquelles on enseigne avec le même zèle, avec le même soin, le vieux et saint patrimoine de la communauté de Jacob, la science biblique et talmudique. en même temps que tout ce qui est vrai, bon et noble dans la culture moderne, en partant de l'A B C et de l'Aleph-Beth, en passant à travers tous les degrés des connaissances et du développement, enfin en donnant, toujours du même point de vue, aux esprits et aux coeurs des garçons et des filles, la formation et la fermeté gui les rendront capables de devenir des juifs vraiment cultivés, des hommes et des citoyens vraiment juifs. Préparer la jeunesse pour la vie, c'est se conformer au "Hanauh le Nâ'ar al pi Darkau" (2).

Notre temps ne se vante-t-i! pas d'avoir préparé l'ère de la science juive (3) (ou bien plus) et même de l'avoir créée ? Il est possible que nous ayons une érudition juive, mais si nous avions une science, une science juive vivante, une science du judaïsme sur la vie juive, les écoles en seraient les premiers témoins. Où sont-ils ces premiers et plus importants témoins de la science juive ?

Nous savons bien que çà et là on a fait d'honorables efforts pour réaliser cette première condition de la vie juive et nous serions bien aise si, pour nous encourager nous-mêmes et d'autres, nous avions l'occasion de signaler des progrès dans ce sens. Mais que signifie le petit nombre d'exemples, réconfortants, il est vrai, en face de la majorité accablante des faits affligeants, sous lesquels gémit encore la question de l'école juive ?

Ne semble-t-il pas que précisément dans les milieux où l'on pourrait faire le plus, où l'on pourrait y travailler avec le plus d'efficacité, on ressent à peine ce grand besoin, on a à peine conscience de ce grand devoir, le plus grand de tous.

Plus on descend, pourrait-on presque dire, plus on a constaté des efforts, accomplis en faveur de l'école juive, dans les petites communautés par exemple plus que dans les grandes villes, et si dans les villes on s'est occupé de cette grave question. on ne recherche généralement à pourvoir qu'aux besoins des enfants des pauvres. Pour les enfants des gens plus fortunés on ne fait rien ou presque rien, de sorte qu'on pourrait presque croire que le judaïsme, son esprit et sa science, destinés à donner à chaque état sa dignité et sa valeur, son ornement et son honneur, n'auraient désormais une certaine importance que pour les pauvres.

N'y a-t-il pas dans de grandes communautés nombre de Juifs d'une grande piété qui seraient prêts à consacrer toutes leurs forces et à sacrifier une grande partie de leur fortune à l'humanité souffrante, prêts aussi à fonder et à entretenir, malgré les frais considérables, des écoles pour les enfants des pauvres ; et pourtant, ces mêmes hommes, ne sauraient faire le moindre effort, ni trouver les premières ressources pour fonder de bonnes écoles pour leurs propres enfants. Ils se découragent et endorment leur conscience à l'aide de n'importe quelle excuse, quand ils s'aperçoivent de l'embarras dans lequel les plonge la tâche si importante qui les préoccupe, la tâche de faire de leurs enfants des juifs, mais des juifs cultivés, des hommes cultivés, et en même temps fidèles à la sainte loi de leurs pères.

Il ne faut pas seulement déplorer la pénurie d'écoles et l'état lamentable de celles qui existent : nous manquons même des premières conditions pour ces écoles. Nous n'avons pas assez de professeurs; un grand nombre de ceux que nous possédons, n'a pas les qualités nécessaires à leur sainte mission et la plupart de ceux qui sont vraiment qualifiés, n'ont pas la situation sociale qu'ils devraient avoir. Car, s'il y a une classe pour laquelle il soit nécessaire de vivre sans souci et de ne pas devoir se préoccuper des charges quotidiennes de la vie, c'est assurément celle des professeurs, dont l'âme doit être toujours alerte, l'esprit serein et le travail accompagné de joie.

Nous n'avons pas même de bons livres. On en a assez pour toutes les branches, mais les livres pour l'école juive, des livres conformes à l'idée et au besoin de cette école, sont encore à écrire. Si affligeantes que soient les constatations que nous avons dû faire dans le cours de notre exposé, elles ne nous découragent pourtant pas. Nous avons, au contraire, le ferme espoir qu'on pourra y porter remde, à moins qu'on ne veuille désespérer de l'avenir du judaïsme entier. L'école est une institution qui exige la collaboration de tous ceux qui s'y intéressent ; elle a besoin pour exister de la confiance du public. Cette confiance est nécessaire pour la fondation et la conservation aussi bien que pour l'accomplissement des tâches essentielles.

Même, s'il ne s'agissait que de définir et de limiter les matières à enseigner, il faudrait l'assentiment des parents : même si les lois obligeaient les parents à envoyer leurs enfants à cette école, le travail de cette dernière serait plus qu'à moitié inutile, si ses intentions et son but n'étaient pas respectés et appréciés de la part des parents et si les familles et l'école ne travaillaient pas d'accord à l'accomplissement de leur tâche.

Nous avons écrit cet article pour éveiller la conscience de toutes les gens de bonne volonté et pour faire avancer, autant qu'il dépend de nous, la création d'une école juive.

notes :
  1. "La Torah et l'ouverture au monde" - le résumé de la doctrine de Samson Raphaël Hirsch (N.d.l.R.).    Retour au texte.
  2. "Enseigne le jeune homme d'après son caractère" (N.d.l.R.) .    Retour au texte.
  3. La "science juive" ou "science du judaïsme" (Hokhmath Israël) est le mouvement d'étude philologique, historique, culturel, philosophique et religieux né des Lumières juives (Haskala) qui se développe tout au long du 19ème siècle à travers de nombreux chercheurs.    Retour au texte.

© A.S.I.J.A.