Mémoire juive en Alsace (suite)

En principe, les rabbins n'admettaient pas que la Ketouba soit inférieure à 600 florins quels que soient les apports de la femme. Il est arrivé que pour une dot de 50 florins, la femme se voyait constituer un douaire de 600 florins. Mais à partir d'une dot de 400 florins, on appliquait presque toujours la règle d'augmentation d'un tiers. Que représentent ces sommes en termes d'aujourd'hui ? Il existe des ouvrages spécialisés, mais nous préférons donner les équivalences indiquées dans les contrats de mariage eux-mêmes :

  1. Maison : autour de 500 florins à la campagne et de 1000 à 1500 florins dans les villes moyennes.
  2. Loyers : autour de 15 florins.
  3. Nourriture et entretien d'un couple : entre 50 et 150 florins (en moyenne 100 florins) ; en 1782, un contrat enregistré à Rosheim prévoit 250 florins.
  4. Entretien annuel d'un orphelin : 20 florins en 1791.
  5. Vers la fin du 18ème siècle, un cheval valait 150 florins et un boeuf 42 florins. Une famille disposant d'un logement et d'un revenu annuel de 100 florins pouvait vivre dignement ; au-delà de 100 florins, la famille pouvait vivre avec une certaine aisance.
La somme théorique de 1200 florins qui devait figurer sur toutes les Ketouboth (à l'exception des Ketouboth des veuves et des divorcées) s'explique aisément si l'on constate que pareille somme placée à 5% produisait 60 florins. Ces 60 florins permettaient à une personne seule - veuve ou divorcée - de subsister dignement.

Ces Tenaïm reflètent donc les conditions économiques dans lesquelles vivaient les Juifs d'Alsace. La dot la plus petite que nous ayons trouvée est de 11 florins, parmi les plus importantes : de 15 000 à 18 750 florins. Les mariages sont arrangés entre les familles et se font entre des partenaires de fortune équivalente ; sauf chez les plus pauvres où il n'arrive pratiquement jamais qu'une fille se marie "sans dot", même si l'époux ou ses parents n'apportent rien, la formule consacrée étant dans ce cas : Ha'hatan makhniss kol chegech lo (l'époux apporte tout ce qu'il possède). Il arrive parfois qu'une fille de famille aisée prenne un mari qui ne possède rien ou pas grand'chose ; on peut raisonnablement penser alors qu'il s'agit d'une future peu gâtée par la nature, un peu contrefaite, ou d'une famille "à problèmes" ou encore d'une veuve avec des enfants à charge. Il peut s'agir aussi d'un garçon sans fortune mais avec de grandes espérances, ou d'un rabbin éminent.

D'après les Tenaïm notre population se répartissait ainsi :

Mais les chiffres n'expriment pas toujours la réalité des faits : avec un apport de 800 florins de la fiancée et de 500 florins du fiancé qui apporte en dot la moitié d'une maison, soit un capital de départ de 1300 florins (en termes d'aujourd'hui, un couple disposant d'un logement et d'un revenu minimum), ces 1300 florins placés à 5% produisant 65 florins d'intérêts annuels, le couple devait s'estimer assez favorisé. Aujourd'hui, il suffirait que le mari prenne un emploi moyennement rénuméré pour que la famille soit relativement au large. Au 18è siècle, pour les Juifs d'Alsace, avec un tel capital de départ, la situation est beaucoup moins rose.

La présence du Juif est tolérée, parfois officiellement reconnue, mais des limitations de toutes sortes entravent sa liberté d'action, en effet :

  1. Un Juif ne peut posséder de bien foncier, terre ou maison, à l'exception de sa maison et d'un jardin attenant.
  2. L'entrée dans les guildes ou corporations lui est interdite ; il n'y aura donc pas d'artisans juifs (graveurs sur métal, bijoutiers...)
  3. Le plus souvent, le Juif n'aura pas le droit d'avoir un commerce en boutique ouverte sur la rue. Il y a quelques exceptions (faveur chèrement acquise ou chance d'habiter dans les territoires du comté de Hanau-Lichtenberg qui avaient une réputation de tolérance).
  4. ll est interdit aux Juifs d'habiter les villes : pas de Juifs à Strasbourg, Colmar, Mulhouse (qui n'était d'ailleurs pas française), et pas de Juifs non plus dans les villes de moyenne importance (Wasselonne, Molsheim, Bischwiller, Sélestat, Rouffach, Munster, Altkirch, Ensisheim...).
Que pouvait faire un Juif ? Etre rabbin ou 'hazan, faire le commerce des chevaux ou du bétail, ce qui était une spécialité, vendre de la viande, faire le commerce des vieux métaux, des vieux vêtements, le plus souvent en colportage, prêter de l'argent à intérêt. Presque toutes les familles avaient "leur banquier", comme on disait à l'époque.
Cependant, on trouve :
en 1759 : un moulin à huile à Hatten,
en 1764 : un moulin à huile à Minversheim,
en 1766 : un commerce de fer et de sel à Lauterbourg,
en 1758 : l'engagement de l'époux à ne pas divulguer les procédés de fabrication du savon auxquels il est initié par son beau-père,
en 1764 : un commerce de verre,
en 1777 : un commerce de cuir à Blotzheim,
en 1748 : fabrication d'huile à Bouxwiller,
en 1781 : fabrication de savon.
Faut-il ajouter que les localités qui accueillaient les Juifs essayaient de maintenir un numerus clausus du nombre des familles, sauf celles qui relevaient d'un seigneur recherchant des subsides comme Wintzenheim, Hegenheim, Bischheim, souvent à proximité des grandes villes. Afin de limiter le nombre des Juifs, en dehors du droit de protection, les autorités locales réclamaient un droit d'installation dans les villes moyennes : c'était le 'Heskat Yichouv (obtention du droit de séjour) qui variait d'une localité à l'autre.

Dans les contrats de mariage, les familles s'engageaient à obtenir ce droit :

en 1774 : 50 florins à Seppois,
en 1763 : 150 florins à Réguisheim,
en 1749 : 300 florins à Uffholtz,
en 1784 : maximum 600 florins à Hegenheim.

De ces contrats on peut tirer quelques observations :

D'après les notes de André Aaron FRAENCKEL za"l


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