Mon lexique judeo-alsacien
Geut Schawess !!

bougiesS’il est vrai que le Shabath constitue l’un des moments les plus importants dans la vie juive, il n’est peut être pas inutile d’en rappeler le déroulement dans le cadre de la famille.

A l’heure prévue, la maîtresse de maison allumait les lumières de schawess dans le bougeoir à deux branches prévue à cet effet ; elle récitait les bénédictions traditionnelles en hébreu et ajoutait souvent une prière personnelle :

"SO WIE DIE SCHÖNE LICHTER LEUCHTEN,
SOLLEN MEINE KINDER IN DER HEILIGE TORA LEUCHTEN",
"Comme ces belles lumières éclairent joliment,
Puissent mes enfants êtres brillants dans l’étude et la pratique de la sainte Torah".

On s’est bien préparé pour cette journée de schawess: on s’est habillé pour la circonstance : on a mis le "schawess-klad".

Alphonse Lévy : L'allumage des bougies
L’auteur de ces lignes s’est laissé dire - il serait ravi si on pouvait lui apporter la confirmation ou des précisions à propos de ce qui va suivre - qu’on n’entrait autrefois dans la schuhle de Bouxwiller, le vendredi soir, que coiffé d’un chapeau haut de forme (les fidèles le laissaient évidemment au vestiaire d’une semaine à l’autre !) ; en hiver, quand les journées étaient très courtes et que l’entrée du Shabath intervenait de très bonne heure, les marchands de bestiaux qui avaient eu à faire dans l’étable se rendaient directement à la synagogue, avec leurs sabots crottés, juste après avoir quitté leurs bêtes ! Il paraît qu’ils trouvaient aussi au vestiaire une paire de chaussures de ville dont ils se chaussaient avant de pénétrer dans la salle de prières.

A la fin de l’office, tout le monde allait dire "Geut Schawess" au rabbin qui, dans un geste affectueux, donnait une bénédiction aux enfants. A la maison, les parents ne manquaient pas, après avoir chanté "scholom aléikhem", de "Benschen" à leur tour leurs enfants, de les bénir en récitant la formule biblique utilisée par Jacob pour bénir ses petits-enfants (Genèse 48:20 ; Nombres 6:24).

Après quoi, on allait se laver les mains (avant le repas) et l’on se gardait bien de s’interrompre en parlant entre le lavage rituel des mains et la consommation d’un petit morceau du pain du kidoush (le texte liturgique de sanctification du Shabath) : toute la famille attendait silencieusement la récitation du kidoush - le silence était bien souvent interrompu par des "hein ?" sonores qui demandaient au vis-à-vis d’aller chercher le vin (ou le sel ou le couteau : il manque toujours quelque chose !) : on pensait qu’en s’exprimant par des sons inarticulés, on ne transgressait pas l’interdiction de s’interrompre comme, par exemple, par la parole. Quand tout le monde avait pris place autour de la table, le maître de la maison récitait le kidoush, en tenant dans sa main la "coupe du kidoush" remplie de "Brokho Wein", "vin béni" (E.W., p. 11), vin destiné à être accompagné par la récitation d’une bénédiction particulière, ou de "Keddisch Wein", vin qui doit servir au moment du kidoush. (E.W., p. 53).

kossDe quelqu’un qu’on estime riche, on dira "ER HOTT SEIN KIDDUSCH WEIN IM KELLER" : "Il a son vin de kidoush dans sa cave". (ib.)
(La seule existence de cette expression - "Keddisch Wein" - semble indiquer que des juifs d’Alsace (et d’ailleurs) consommaient du vin "ordinaire" tout au long de la semaine et conservaient, pour les circonstances rituelles, du vin spécial que l’on pourrait qualifier de "casher".
L’auteur de ce texte imagine les réactions que peut susciter, aujourd’hui, la lecture de ces lignes. Cependant, avant de porter un jugement sur la piété des juifs d’Alsace, il conviendrait de se livrer à une étude sur les différents degrés de qualité rituelle du vin, et sur l’histoire de la commercialisation du "vin casher" avant l’institution de royalties versées à des institutions ou à des hommes qui garantissent, sur les étiquettes des bouteilles de vin, qu’il s’agit de vin "cashèr". Qu’il suffise, pour justifier cette remarque, de citer le Choul’hâne aroukh abrégé du Grand Rabbin Ernest Weill zatza"l, qui écrit (page 237) : "A défaut de vin ou de vin cachère, le vendredi soir, vous direz Quiddouche, sur deux miches de pain …".

Après la récitation du kidoush, le maître de maison prenait puis distribuait à chacun des convives un morceau de pain : pendant la première partie du kidoush au cours de laquelle, les pains étaient couverts d’un beau "Keddisch Deckelle", pièce de velours joliment brodée.
(L’origine de cet usage qui veut que le pain soit couvert pendant que l’on récite des bénédictions concernant le vin peut être expliquée par le fait que la cérémonie du kidoush comporte une partie qui implique l’usage de vin et une autre partie qui comporte l’usage de pain. Un problème de préséance de pose donc : s’il est vrai que la décision veut que l’on commence par le vin, on veut éviter que le pain "soit jaloux" de voir qu’on accorde la priorité au vin : ce serait la raison pour laquelle on le couvre - on le cache - pour qu’il soit comme "absent" pendant qu’on s’occupe de l’autre élément qui intervient dans la cérémonie du kidoush.
Si l’on est attentif à vouloir éviter de heurter la susceptibilité d’un élément inanimé, à combien plus forte raison doit-on apprendre à être vigilant pour ne pas heurter la susceptibilité - fut-elle exacerbée - des êtres vivants que l’on est amené à côtoyer !)

bougies

Les pains du kidoush - qu’on appelait ou qu’on appelle encore dans certaines familles des "Berchess" (des pains avant la consommation desquels on dit des berakhoth, des bénédictions), étaient des pains, préparés le vendredi par le boulanger, qui avaient la forme d’un pain double, sur lesquels on trouvait des graines de pavot.

Sans que cette rubrique ait des prétentions d’ordre rituel, il semble aujourd’hui utile de justifier un usage de moins en moins répandu : celui de se laver les mains avant le début du kidoush (et non, comme on le voit de plus en plus souvent, avant le motsi, la récitation de la bénédiction qui précède la consommation du pain).
S’il est vrai (cf supra) qu’il ne faut pas s’interrompre entre le lavage des mains et la consommation du pain, il est important de savoir qu’une parole qui concerne de façon précise la consommation du pain n’est pas considérée comme une interruption interdite (par exemple, quand bien même on évite de le faire, on peut demander explicitement de mettre du sel sur la table, s’il n’y en a pas, pour pouvoir y tremper le pain du motsi). Ainsi, la récitation du kidoush constituant, le Shabath, un préliminaire nécessaire à la consommation du pain n’est pas considérée comme une interruption problématique, et le repas du Shabath commence par la prise du pain du motsi. D’autres usages peuvent aussi être expliqués et justifiés ; mais l’objet de cette rubrique est de décrire les éléments de la vie dans le judaïsme alsacien ; en l’occurrence, il s’agit de la coutume prescrite dans les gloses sur le Choulkhan Aroukh à l’usage des communautés de rite achkénaze (Ch. A., O.H., 271, 12) où il est stipulé qu’en ce cas particulier plus encore que dans d’autres situations, il ne faut pas changer les habitudes ancestrales).

La composition des menus traditionnels des repas du Shabath ainsi que les recettes des différents plats figure dans la partie "gastronomique" du site, et nous y renvoyons le lecteur.

Les repas de Shabath étaient agrémentés, essentiellement dans la saison d’hiver, quand les soirées sont longues, par le chant de "Zmiress" (hébr. : zemiroth), cantiques traditionnels.

Tous les usages domestiques contribuaient à communiquer à tous les membres de la famille le calme, la sérénité et l’harmonie qui caractérisent la célébration de la journée du Shabath.


N.B. Certaines expressions citées dans ce texte sont peut-être tombées en désuétude ou l’auteur de ces lignes n’avait-il pas eu l’occasion de les entendre ; elles figurent dans les ouvrages de référence les plus classiques :
- Honel MEISS : Traditions populaires alsaciennes [H.M.]
- Emmanuel WEILL : Le Yidisch alsacien-lorrain [E.W.]
- Louis UHRY : Un parler qui s’éteind : le judéo-alsacien [L.U.]
- Arthur ZIVY : Jüdisch-deutsche Sprichwörter und Redensarten [A.Z.]

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