Mon lexique judeo-alsacien
SCHAWESS

Remarque préliminaire :
Le jour de repos hebdomadaire prescrit dans la Bible s’appelle, communément aujourd’hui "SHABATH". Il s’orthographie, en hébreu, par les trois lettres Sh-B-T. Dans la prononciation achkenaze, les deux dernières lettres se prononcent différemment selon qu’elles comportent ou ne comportent pas, pour des raisons grammaticales, de point - daguesch - ; en l’occurrence le B(étt) se prononce V ou W, et le (Tav) se prononce « S ». Si nous avons choisi de transcrire ici ce mot par Schawess, on peut le trouver écrit ailleurs "chaveuss", "chawweus", "chaves", "shaboss" etc.. L’essentiel est que l’on se comprenne, à défaut de s’entendre (dans la double acception de ce terme).
Dans le même ordre d’idées, les manières de prononcer, les accents, variant en fonction des régions d’Alsace et de Lorraine - voire en fonction des villages - , il est vraisemblable que dans ce texte, comme dans tous les autres articles de la rubrique DIALECTE , les transcriptions utilisées ne correspondent pas exactement aux sonorités auxquelles le lecteur averti pourrait légitimement s’attendre. Qu’il veuille bien nous excuser de cette absence de cohérence !

Ce n'est pas le lieu de parler du Shabath, de ses significations, des règles qui caractérisent son observance, de ses rites ou de ses usages. Qu'il suffise, ici, de dire que le Shabath occupe une place prépondérante dans la vie juive et que, par conséquent, il a donné lieu à un certain nombre d'expressions ou de dictons que nous nous proposons d'évoquer brièvement.

bougies"SCHAWESS MACHE" :
littéralement "Faire Shabath", observer le Shabath, c'est-à-dire - indépendamment des interdictions qu'il ne faut pas transgresser - transformer cette journée en un jour de satisfaction ("onég schawess" selon l’expression du prophète Isaïe) parmi lesquelles les plaisirs de la table, avec ses repas traditionnels, ne sont pas à négliger.

"ICH KEN SCHAWESS MACHE" : littéralement "Je n'ai pas de quoi faire schawess" , je n’ai pas de quoi acheter les provisions du Shabath.

"MACH SCHAWESS METT" : littéralement "faire Shabath avec ça", "utilise ça pour faire Shabath".
Se dit d’un travail mal payé ou d'une activité peu rémunératrice qui ne permet pas de préparer et de fêter dignement le Shabath.
Se dit également de bénéfices purement moraux qui ne servent à rien pour payer les dépenses auxquelles il faut faire face pour célébrer dignement le Shabath, notamment par la préparation des repas traditionnels (Hoenel Meiss).
(On pourrait rapprocher cette expression de celle, en français, qui dit que "ça me fait une belle jambe !")

N.B. "MACH SCHAWESS METT" comme on dit en français "en faire ses choux gras" (Emmanuel Weill, page 59).

L'achat du poisson pour le Shabath sur une gravure de Hemann Junker (détail)
koss"A GEUTER SCHAWESS GEBT E GEUTER SONNDIG" :
"Un bon Shabath donne un bon dimanche".
Les restes du bon repas de Shabath seront consommés le lendemain et n’auront rien perdu de leurs qualités gastronomiques.

Il est intéressant de noter qu’il existe aussi une expression inverse : "A SCHLECHTER SCHAWESS GEBT E GEUTER SONNTAG" - "Un mauvais Shabath donne un bon dimanche"
Si les aliments préparés pour Shabath n’étaient pas assez cuits, ce qui en restera fera un excellent repas pour dimanche, quand ils seront réchauffée et recuits à point.

bougies"S’ESCH KE SCHAWESS SO SCHWARTZ WO NETT E BESSEL SONN SCHEINT" :

"Il n'y a pas de Shabath aussi sombre qu’il n'ait un rayon de soleil".

Cette locution est employée, surtout au plan moral, pour nous apprendre que "le saint jour de repos" apporte un baume divin aux plus affreuses blessures ainsi qu'une "âme supplémentaire" à tous les croyants.
Honel Meiss (p.201) se souvient avoir entendu en Alsace par une journée pluvieuse, le matin, mais où le temps s'était amélioré vers le soir, une jeune théologienne de six ans dire, très naturellement , et sans ombre de méchanceté, à une camarade qui sortait avec elle de l'école des Soeurs :
"Hit hann die Jude noch a schéner Samchti khét, mér bekomme awer morye a schéner Sonntig" : "les juifs ont encore eu aujourd'hui un beau samedi, mais nous aurons demain un beau dimanche."
(Les deux dernières expressions peuvent être rapprochées du dicton "Après la pluie, le beau temps", quand bien même ce dicton aurait, à l’origine, un contenu essentiellement météorologique).

kossS’il est vrai que le Schawess est caractérisé par un certain nombre d’interdictions, il ne faut pas oublier que les bonnes relations qui régnaient en général entre les Juifs et leurs voisins non-juifs permettaient aux premiers de faire appel aux seconds - le Shawess-goy ou la Shawess-goyye -pour faire effectuer des tâches qu’ils n’auraient pas eu le droit d’accomplir eux-mêmes (exemples : allumer le feu dans le fourneau par les froides journées des Shabath d’hiver, éteindre les lumières électriques le vendredi soir dans les maisons qui ne s’étaient pas dotées de shawwes-Ühr -lumière de Shabath-, etc.).

bougiesIl faut surtout garder présente à l’esprit que le Shabath est avant tout un jour de "repos" - "SCHAWWESS MENÜ’HE" - et de satisfactions : on s’y habillait avec le "Schawess Gleid", "le vêtement de Shabath" dans lequel on était "endimanché" - si l’on peut se permettre ce terme en l’occurrence -, et après les mets traditionnels, on finissait le repas avec les "Schawess Obst", les "fruits" rares que l’on ne pouvait se permettre de partager que dans les grandes occasions festives - les oranges, par exemple.

kossLe plus beau souhait que l’on pouvait formuler consistait à espérer retrouver, les semaines suivantes, le même agrément à célébrer le Shabath, avec les petites satisfactions qu’il apportait :
"SO VOHR SOLL ICH ALLE FREITIGSNACHT MEÏ FESCH HANN" - "Puissé-je avoir mon poisson tous les vendredis soirs".
Le Schawess se distinguait des autres jours de la semaine, non seulement par l’abstention de tout travail mais par un luxe relatif dans les vêtements (voir "schawess-klad") et par l’excellence de la cuisine traditionnelle. Chacun considérait comme un devoir de se procurer un plat de poisson pour le repas de vendredi soir ("Freidigsnacht"). (H.M., p. 175).

En un mot, quand tout était beau, calme et harmonieux, on pouvait dire : "ES SEHT SCHAWWESSTIG AUS" , "On sent l’ambiance de Shabath, cela a un bon air shabatique".

Honel Meiss (pp. 175-176) rapporte la longue description que Henri Heine, le grand sceptique (sic), esquisse du "Freidigsnacht").

Lampe du Shabath
bougies Une autre illustration de l’harmonie rayonnante qu’apportait le Shabath apparaît dans un dicton qui mentionne la "shawess lamp" , la fameuse lampe alsacienne chère aux antiquaires et aux familles qui ont la chance d’avoir pu en conserver. Il s’agissait généralement (voir l’illustration) d’une lampe suspendue à une crémaillère.
"LAMMPE NOFF, DAYESS NOUNTER", "Quand la lampe (de Shabath) est montée, à bas les soucis !".

L’ambiance du Shabath, avec sa poésie, constituait un remède efficace contre bien des tribulations de l’existence. (H.M., p. 125).
(Par opposition à la lampe joyeuse du vendredi soir, la "éicha lämple", on connaît le triste lumignon qui éclaire faiblement la synagogue le soir du 9 Av, pendant la lecture rituelle des Lamentations de Jérémie, Megillat Eicha . (H.M, p. 127).

koss"E LOCH ENN DER SCHAWES MACHE" :
littéralement "Faire un trou dans le Shabath", c'est-à-dire faire une entorse aux règles de l'observance du Shabath, comme exercer une activité incompatible avec le "repos" shabatique ; exemple : s'autoriser à rentrer de voyage, vendredi soir, après l'heure du début du Shabath (E.W.), après l’heure du passage du schamess (le bedeau) pour "Schüle - klopfe", annoncer que l’office de l’accueil du Shabath ne va pas tarder à commencer. (Voir une anecdote rapportée par H.M., p. 224).

bougies"ELYE NOVE’S BROCHE"
= "La bénédiction du prophète Elie". ("Elye nove" = Eliyahou ha-Navi avec les approximations de la prononciation alsacienne).
La bénédiction du prophète Elie se manifeste quand on a la bonne surprise de trouver ou de voir se réaliser quelque chose dont on avait de bonnes raisons de penser que cela ne se produirait plus. Par exemple, quand le samedi après-midi, le Juif alsacien qui éprouve quelques difficultés à digérer le "kougel" qu’il a absorbé en trop grandes quantités, trouve encore quelque gouttes de schnaps - de Kirsch ou de quetsch - dans la bouteille qu'il croyait vide, il ne manquera pas de dire qu' "il y a là-dedans Elye nove’s broche", "la bénédiction du prophète Elie".

Cette expression découle probablement du récit biblique (I Rois 17:14) dans lequel la présence du prophète Elie permit à une pauvre femme qui ne disposait pratiquement d’aucune réserve, de cuisiner "sans que la cruche de farine ne se vide ni la bouteille d'huile ne perde de son contenu". (Hoenel Meiss, p. 70).

koss"DER ROSCHE EMM GEHENNEM HETT AUCH RUH AMM SCHAWESS" :
"L’impie lui-même, en enfer, a droit au repos pendant le Shabath".
Le Shabath est un jour de repos et de délices pour tous les êtres humains, vivants au morts : même les plus coupables sont libérés, pendant cette journée, des affres du purgatoire auxquelles ils ont été condamnés (Ch.A, O.H., 295,1).

Au patron qui abuse de ses employés en leur imposant une somme de travail exagérée, on dit : "L'enfer lui-même accorde un jour de répit par semaine à ses habitants" (Hoenel Meiss, p. 75).

bougies"WER AM FRIDAG NEKS RESCHT, HETT AM SCHAWESS NEKS TSE ESSE" :
"Qui ne fait pas de préparatifs le vendredi, n’aura rien à manger le jour du Shabath."
Parmi les règles qui caractérisent l'observance du Shabath, figure l'interdiction de cuisiner et c’est par conséquent la veille que l'on prépare les repas pour le lendemain.
Cette locution, était utilisée à l'origine pour dire que "celui qui veut prétendre aux béatitudes du monde futur, doit s'y préparer par une vie de bonnes actions accomplies ici-bas". (Hoenel Meiss)
Plus prosaïquement, c’est la phrase que l’on dit à quelqu'un qui déplore, en quelque situation que ce soit, de n'être pas prêt, mais qui n'a rien fait pour se préparer efficacement en temps utile.

"DER SCHAWESS NEMT’S OFF SICH" :
"Le Shabath le prend à son compte".
Cette expression s'applique tout particulièrement au fait que de l'arrivée du Shabath interrompt les manifestations extérieures du deuil religieux. (L.U.)


koss"ER HALT NOMME SCHAWESS CHABBOSSEN" :
"Untel n'observe que le Shabath des Shabath".
Se dit de quelqu'un qui n'observe pas le Shabath hebdomadaire de façon scrupuleuse, mais respecte seulement un Shabath particulièrement "Shabatique", expression appliquée dans la Bible à la journée de Kippour (Lévitique 16:31 : Shabath Shabathone). (H.M. p. 202).

bougies"WENN DER SCHAWWES 'NACHME' OF E METTWOCH FALLT… " :

" Quand le Shabath Na’hamou tombera un mercredi".
Plusieurs Shabath de l'année sont désignés en accolant à la mention du Shabath un mot qui exprime une particularité liturgique liée notamment au calendrier ( exemples : Schawwess Beréichiss, Schawwess ‘hannye ( = Shabath ‘hanoukka ), Schawwess ha-godowl, schawwess hazown ou shwartz Schawwess, Schawwess choufe, Schawwess rosh ‘hodésh, Schawwess ‘hol ha-moéd (Ernest Weill, p.59). Ainsi, le "Shabath na’hamou" est-il le Shabath qui suit le jeûne du 9 Av ; on y lit, en guise de haftara , un passage du prophète Isaïe (XL) qui commence par le mot "na’hamou" & qui évoque la consolation annoncée après la Destruction du Temple.
Il va de soi que tous les Shabath tombent toujours ... un samedi.
Lorsqu’on veut refuser à un enfant - ou à un adulte - ce qu'il vous demande, on lui répond qu’on lui donnera satisfaction quand "le Shabath Na’hamou tombera un mercredi".
Cette expression évoque "la semaine des quatre jeudis" que l'on invoquait, jadis, quand les écoliers français chômaient le jeudi !

Parmi les Shabath particuliers, Shabath ha-gadol, celui qui précède la fête de Pessah (peu importe ici l’étymologie de cette appellation dans laquelle apparaît l’adjectif gadol = grand) a donné lieu à un proverbe intéressant :

koss"AM SCHAWWESS HA-GODEL NEMMT DER SCHNEIDER SEI GRAOUSSI NOUDEL",

"Quand arrive la saison de Shabath ha-gadol, le tailleur prend sa longue aiguille".
Ceux qui en avaient les moyens, possédaient dans leur garde-robe, à part le "Woche-Klad", le costume pour les jours ouvrables, un "Schawess-Klad", "Lekofed Schawess", un costume pour Shabath, en l’honneur du Shabath, et un "Yontef-Klad", "Lekofed Yontef", un costume en l’honneur des yemim towim, des jours de fête, Yom tov.
C’est au printemps, avant Pessah, que l’on faisait faire ce costume destiné aux jours de fête, de sorte que le tailleur était obligé de préparer une "grande aiguille" pour satisfaire les demandes de tous ses clients. (H.M., p. 8)

bougies"ME’HALLELL SCHAWESS SAÏ" :
(de l’hébreu ‘hilloul, = profanation) "Transgresser le repos du Shabath".
"DESS HASST MER : ME’HALLEL SCHAWWES LEVADOLO"
" C'est ce qu'on appelle "violer le Shabath sans retirer ni bénéfice ni plaisir". ("levatala" = en vain, inutilement, comme dans l'expression "e brokhe levadole", une bénédiction inutile dans laquelle on risque de prononcer le Nom de Dieu en vain ; plus largement, dans le parler judéo-alsacien, une bénédiction vaine dans la mesure où ce qui pourrait constituer le prétexte rituel de la récitation d’une bénédiction ne mérite pas qu’une louange soit prononcée à son égard).
Cette locution vise en premier lieu ceux qui transgressent les interdits liés à l’observance du Shabath sans en tirer quelque avantage que ce soit, mais s'applique plus généralement à celui qui fournit ou qui dépense beaucoup d'énergie et sans en tirer le bénéfice escompté.

Ajoutons, pour caractériser la vie agitée de Paris, la locution :

koss"ENN PARIS ESCH YEDDE DAG YONNTEF, AWWER NI KA SCHAWESS" :
"A Paris, c’est fête tous les jours, mais jamais jour de repos". (L.U., p. 65)
On pourrait interpréter cette expression en évoquant les sentiments que pouvaient éprouver les Juifs alsaciens en constatant que le respect du Shabath, à Paris, était très différent de celui auquel ils étaient habitués dans leur village.



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