Humour
"Ve-lo-rocho omar Elohim ma lekho le-çapèr 'houqoï vathisso verishi alèi-fikho"
Et à l'impie, Dieu dit : "qu'as-tu à couper la barbe dont je t'ai gratifié, tandis que tu portes la moustache au-dessus de tes lèvres ?"

Ici nous avons la satisfaction de faire à la jeunesse une révélation qui la surprendra : c'est que la barbe fut, aux jours antiques, chez les juifs, et qu'elle est encore aujourd'hui, dans certains pays, comme en Orient, en Pologne par exemple, une chose sacro-sainte.

Qui ne connaît les accents d'admiration du psalmiste célébrant la superbe barbe d'Aaron, cette barbe magnifique "parfumée, descendant sur les bords de ses vêtements" ?  La belle barbe bien fournie, était chez nos grands-pères encore, un objet de respect, un signe d'autorité morale. On ne se serait jamais figuré un Rabbin, on se figure à peine aujourd'hui un talmudiste, un homme pieux, dont la physionomie ne fût, en quelque sorte, caractérisée par cet ornement, symbole de la gravité du caractère. Au contraire de la barbe, la moustache n'a joui d'aucune considération religieuse, elle n'était que tolérée, accompagnée de la barbe. La moustache seule était, considérée en Alsace, chez les juifs du moins, comme une disposition martiale comme un signe d'orgueil, d'indépendance d'esprit, exagérée, quelque chose enfin qui ne cadre pas avec les mœurs juives, qu'on aimait à se représenter calmes, tranquilles, modestes. Porter les moustaches seules, c'était, pour beaucoup, commettre une petite infidélité aux usages séculaires d'Israël et, par conséquent, une chose blâmable.

Si l'on veut, nous permettre un souvenir personnel qui remonte à plus de 70 ans, nous rappellerons que notre aïeul qui remplissait les fonctions rabbiniques - Dieu sait avec quel attachement aux choses du passé - dans la communauté de Westhoffen (Bas-Rhin), avait, conservé l'usage séculaire de faire, à l'office du matin, après la lecture de la "Haftara"  à chacune des fêtes dites du Pèlerinage, au jour appelé "Mathenas Yom" (jour consacré aux offrandes), le tour de toute l'assemblée des fidèles et de décerner, à chaque membre de la communauté, une bénédiction spéciale "Mi chébèrakh". Mais quelques jeunes gens, rares alors assurément, devaient être déçus, car il passait devant eux sans s'arrêter. C'était que ces jeunes gens portaient la moustache sans barbe, sacrifiant la tradition à ce qu'ils prenaient, pour le bon ton. Devant ceux-là, le pasteur, aussi paternel fût-il, passait sans les juger dignes de la bénédiction,

Et, maintenant que nous connaissons la faveur dont jouissait la barbe chez les juifs d'antan et, la raison de la défaveur de la moustache solitaire, il faut, en vérité, avoir dans l'esprit toute la fantaisie et tout l'humour du juif alsacien pour trouver à cette bizarre originalité un appui dans la Bible même.

Oui, on a eu recours à un verset des Psaumes (50:16) qui, entre nous, n'en peut mais, pour exalter la barbe et pour discréditer la moustache. Il a suffi de donner deux entorses assez ingénieuses. avouons-le, à l'exégèse de deux petits mots de ce verset. Qu'est-ce cela pour l'humour du juif alsacien ? Rien, moins que rien. Ce verset se traduit ainsi : "Et à l'impie Dieu dit : qu'as-tu à proclamer mes préceptes ?

Or donc, le mot qui signifie proclamer "Çapér", on n'a pas hésité à le traduire par "couper la barbe", ce mot, d'ailleurs, avait, depuis longtemps, ce sens dans le Talmud et le mot qui veut dire "mes préceptes", "Houqoï", on y a vu facilement une allusion à la barbe qui, nous l'avons vu, jouissait chez les juifs depuis des siècles, d'un prestige religieux. Quant au terme dans lequel on a vu la moustache "Beris", c'est parce que le mot "Beris" signifie alliance. Or, dans la Bible, Dieu emploie ce mot "Beris", alliance, pour désigner l'arc-en-ciel comme emblème de la promesse que Dieu a faite après le Déluge de ne plus anéantir les êtres vivants par un second Déluge.

La moustache donc rappelait la forme de l'arc-en-ciel et pouvait, par conséquent, se prêter à cette traduction de haute fantaisie humoristique.

Le verset tout entier, après cette maïeutique littéraire plus ingénieuse que celle de Socrate, se traduit donc ainsi : "A l'impie, Dieu dit : "qu'as- tu à couper la barbe dont je t'ai gratifié, tandis que tu portes la moustache au-dessus de tes lèvres ?" et ne rappelle que de loin le texte véritable : "Et à l'impie Dieu dit : "Qu'as-tu à proclamer mes préceptes et à avoir mon alliance sur tes lèvres ?"


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