LES RITES DE LA NAISSANCE

Extrait de Le puits et la cigogne - traditions liées à la naissance dans les familles juives et chrétiennes d'Alsace ; Josie LICHTI et Malou SCHNEIDER ; Ed. Musée Alsacien 2002 ;
avec l'aimable autorisation des auteurs.

La circoncision

Le rite de l'Alliance
La dernière circoncision (brith mila) effectuée par le célèbre mohel Isi Wertheimer en 1986. Le parrain (sandaq) est M. Edgar Rothé. © M. Rothé
La circoncision est un commandement divin, inscrit dans les textes bibliques (Genèse 17:11). Par cet acte est scellée l'Alliance de l'enfant juif avec Dieu. Selon la tradition, le prophète Elie est le témoin de cette cérémonie. C'est ainsi que l'on trouve parfois encore dans d'anciennes synagogues, un banc de circoncision à deux places. Le parrain tenant l'enfant sur ses genoux y est assis, la place à ses côtés étant laissée vide, car symboliquement réservée au prophète Elie.

Le mohel, ou "circonciseur", pratique l'ablation de la fine peau qui recouvre le prépuce à l'aide d'un petit couteau à double tranchant. Cette opération, qui ne dure que quelques secondes, est suivie d'une bénédiction prononcée par le père, à laquelle l'assemblée des participants répond par des voeux. Puis le mohel dit une bénédiction du vin, dont quelques gouttes étaient parfois posées sur les lèvres du bébé.
Après une prière évoquant la circoncision, il prononce enfin le nom hébreu de l'enfant. La fillette est, quant à elle, nommée à la synagogue au cours du premier shabath suivant sa naissance.

Un nom religieux
Nécessaire de circoncision : couteau et son écrin, flacon de poudre cicatrisante. Fer, bois, cuir, verre gravé, fin 18ème siècle. © Musée Alsacien
Toutes les précautions étaient prises pour que l'enfant soit nommé publiquement pour la première fois par le mohel lors de cette cérémonie. Dire le nom du bébé en public avant la circoncision aurait pu attirer l'attention des forces maléfiques. La même croyance existait jusqu'au 19ème siècle chez les catholiques et les protestants, qui évitaient de prononcer le prénom d'un nouveau-né avant son baptême.
Le nom hébreu conféré à chaque enfant juif est utilisé pour tous les actes religieux de sa vie, par exemple, lorsqu'à la synagogue il est appelé par l'officiant à lire un passage de la Torah. L'identification de l'individu se complète du nom de son père - Jacob, fils de David. Cette double dénomination était la seule utilisée jusqu'en 1808, année où Napoléon imposa aux juifs de prendre un nom de famille. Aujourd'hui, chaque membre de la communauté possède un nom religieux et un nom civil.

Entre un père et son fils
Selon la loi juive, c'est la mère qui transmet sa religion aux enfants. Est de fait juif l'enfant né d'une mère juive. La cérémonie de la circoncision est, elle, prise en charge par les hommes : en premier lieu par le père, par le mohel et le parrain ou sandaq. Grâce à ce rite, le père complète l'appartenance à la religion juive en inscrivant l'enfant dans l'Alliance avec Dieu. Ce rituel marque également la séparation d'avec la mère et la reconnaissance par le père de la légitimité de son fils.

La cérémonie du Hollekreisch
Une autre coutume propre aux régions alémaniques, est la cérémonie qui rassemblait, le jour des relevailles, les enfants de la communauté juive autour du berceau du bébé. Il s'agissait, comme lors de la circoncision, d'un rite de dénomination, car on donnait alors à l'enfant son nom profane. Les enfants faisaient cercle autour du berceau et par trois fois, le soulevaient en criant en choeur : "Hollekreisch, wie soll's Bubbela heisse ?" ("Hollekreisch, comment doit s'appeler le bébé ?"). On prononçait alors à trois reprises le nom usuel du nouveau-né. Le père ou le rabbin récitait des versets bibliques, puis les enfants recevaient des friandises, noix, pains d'épices, ou dragées. Cette coutume, bien présente dans la mémoire de personnes interrogées au cours de nos recherches, est parfois encore pratiquée de nos jours et destinée plus particulièrement aux filles, lesquelles ne bénéficient pas, comme les garçons, d'un rituel d'accueil dans la communauté.

Les mappoth

Le lange transformé
Rouleau de la Torah entouré d'une mappa. La mappa s'enroule de bas en haut, évoquant ainsi l'idée de s'élever, de grandir. © Musée Alsacien
De forme carrée, le lange sur lequel est placé l'enfant lors de la circoncision est ensuite coupé en quatre pièces de hauteur égale qui, cousues bout à bout, forment une longue bande de toile : la mappa, mappe en dialecte judéo- alsacien et Torawimpel en allemand. Ornée d'une inscription en lettres hébraïques et de motifs décoratifs, ce tissu, long parfois de plus de trois mètres, est ensuite remis à la synagogue. Il sert à maintenir étroitement serrés les deux rouleaux de la Torah, parchemin où sont calligraphiés les cinq premiers livres de la Bible.
Le texte brodé ou peint sur la mappa est toujours formulé de la même façon : il débute à droite (l'hébreu s'écrivant de droite à gauche) par les indications qui identifient l'enfant : son nom juif, celui de son père, le cas échéant le surnom ou le nom de famille, puis la date de naissance du bébé, calculée selon le calendrier juif. S'y ajoutent toujours des voeux, qui sont aussi des directives pour une vie conforme aux recommandations fondamentales du judaïsme : l'étude de la Torah, le mariage et les bonnes actions. Ces voeux ont été prononcés durant la cérémonie de la circoncision par le mohel et par les assistants. Ils se trouvent déjà reproduits sur une mappa de 1669, la plus ancienne conservée en Alsace. Un témoignage du 18e siècle indique que l'enfant, dans les bras de son père, apportait sa mappa à la synagogue dès qu'il atteignait l'âge d'un an. De nos jours, l'usage veut que le petit garçon se présente à l'office le samedi suivant son troisième anniversaire et enroule, avec l'aide de son père, le tissu décoré autour des rouleaux saints de la Torah.

Brodées point par point
Les mappoth alsaciennes sont richement ornées. Sur les plus anciennes, les inscriptions et les motifs décoratifs étaient brodés suivant un tracé réalisé au préalable avec une encre brune, probablement par un scribe ou un lettré. Certains d'entre eux ont fait preuve d'un grand talent de graphiste. Reprenant une tradition développée dans les manuscrits enluminés du Moyen Age, ils transformaient certaines lettres, dont les extrémités se changent en animaux ou en fleurs. Le tissu passait ensuite entre les mains des femmes de la famille proche, la mère, la grand-mère ou la tante de l'enfant, qui le brodaient. Elles choisissaient souvent un fil de soie beige ou jaune ressemblant au fil d'or, l'associaient au vert ou au bleu, puis déterminaient les points de broderie, dont le plus utilisé était le point de chaînette. Au cours du 18e siècle apparaissent des mappoth peintes, dont les motifs suivent des tracés faits au crayon et qui détrônent progressivement les exemplaires brodés. Leurs couleurs sont plus vives, parfois criardes, mais cette technique permet la réalisation de véritables compositions mettant en scène des personnages.


La 'houpa (dais nuptial)
brodée sur une mappa
de 1746.

Mains de Cohen sur une
mappa de 1789
Détail d'une
mappa de
1728.
L'aiguière
de la tribu
de Levi.

Des plantes, des animaux et des astres...
Les motifs décoratifs les plus nombreux sont de simples ornements adoptant la forme de fleurs, de rameaux, d'oiseaux, de serpents... Au début du 18ème siècle le signe astrologique de l'enfant commence à être mentionné dans le texte et son symbole est parfois reproduit. Si les signes du zodiaque sont représentés dès l'Antiquité dans des synagogues du Proche-Orient, il est difficile d'y voir aujourd'hui autre chose qu'une simple indication calendaire. Certains éléments figuratifs sont aisés à décrypter, comme les mains d'un Cohen ou l'aiguière d'un Lévi, dont les fonctions religieuses se transmettent de père en fils. D'autres sont inspirés par le nom de famille, tandis que la présence de certains reste inexpliquée.

Ce que raconte la mappa d'Aaron...
Le petit Aaron est né le samedi 1er mai 1830. Sa mappa peinte porte en illustration du texte les rouleaux de la Torah, le dais nuptial ou houppa. Elle est ornée de fleurs et de rameaux, mais aussi des couleurs de la France et d'un taureau, évocation du signe du zodiaque sous lequel est né l'enfant. Les mots peints sur le lange en caractères hébraïques signifient : "Aaron, fils d'Isaac. Il est né sous une bonne étoile le samedi saint shabbat 8 lyar 5590. Que Dieu le fasse grandir pour la Torah, le dais nuptial et les bonnes oeuvres. Amen".

La Torah, la houppes...
Ponctuant les éléments importants de l'invocation religieuse, des motifs figuratifs religieux apparaissent très fréquemment sur la mappa, comme les rouleaux et la couronne de la Torah, ou le dais nuptial, la houppa. Certaines réalisations d'une grande qualité donnent des indications précieuses sur les coutumes des juifs d'Alsace ; ainsi on remarque, sur une mappa de 1762, que le costume des femmes ne diffère guère de celui des autres Alsaciennes.
... et le drapeau tricolore
© M.Rothé
Une particularité des mappoth d'Alsace est la présence à partir de 1830 de motifs patriotiques, que ce soit l'association du bleu, du blanc et du rouge dans le corps des lettres, la fréquente apparition du drapeau français ou même la représentation de scènes de combat entre soldats prussiens et français. Ces symboles sont présents surtout après 1870 et l'annexion de l'Alsace par l'Empire allemand, ils traduisent l'attachement des juifs alsaciens à la France.

Un lange pour recruter les soldats
Avant l'institution de l'état civil, alors que curés et pasteurs inscrivaient toutes les naissances dans un registre de baptême, seul le Mohelbuch, livre du circonciseur, et les mappoth permettaient d'attester la légitimité et l'âge des garçons juifs. Sous la Révolution, ces linges ont donc parfois servi de document d'état civil pour désigner les hommes en âge d'effectuer leur service militaire. Le commissaire du pouvoir exécutif de Soultz dans le Bas-Rhin le déplore en 1796 :
"S'il me faut respecter leurs actes de circoncision ou les bandeaux de maillot qui portent leurs actes de naissance en caractères hébraïques que je ne connais pas, et que ne peut déchiffrer qu'un seul homme du canton, à la foi duquel je dois me fier, personne parmi eux n'est dans la première réquisition : ils sont tous ou trop jeunes ou trop avancés en âge".


Détail de la mappa de Michel Rothé (années 1950)

Depuis plus de quatre siècles
La confection de la mappa est une tradition propre aux communautés ashkénazes. Elle s'est répandue depuis le 17ème siècle dans le bassin rhénan et en Europe centrale, elle est parvenue jusqu'en Italie du Nord et au Danemark. L'origine de la coutume reste mystérieuse. La légende voudrait que le Maharil, sommité religieuse de Mayence à la fin du 15e siècle, constatant qu'il n'y avait pas de lange pour envelopper après la circoncision l'enfant dont il était le parrain, fit utiliser le tissu qui entourait le rouleau de la Torah. Après avoir lavé les taches de sang, les parents du bébé auraient ensuite rendu au ruban sa fonction initiale. A la fin du 19ème siècle, les auteurs ont commencé à inscrire leur nom sur la mappa soit en apposant sur le tissu leur tampon de mohel ou de ministre officiant, soit en la signant, et toujours en français, tel Joseph Schillio de Wissembourg, dont au moins sept mappoth exécutées au cours du dernier tiers du 19ème siècle ont été conservées.


Le cerf brodé sur la mappa de Nephtali Hirsch en 1750 représente le nom de famille de l'enfant.

Cigogne peinte par Lazare Lévy sur une mappa de 1954.

Jeux et jouets apparaissent sur les mappoth du 20ème siècle (ici en 1922).

Une coutume vivante
Encore bien vivante aujourd'hui, la coutume a connu un regain de vitalité au milieu du 20ème siècle et a été exportée en Israël par les familles ashkénazes. Autour du texte traditionnel figurent sur les mappoth contemporaines des images peintes évoquant l'environnement familier de l'enfant : jouets préférés, héros de films ou de bandes dessinées (roi-lion, Mickey...). Par contre, le signe du zodiaque est aujourd'hui rarement représenté sur la mappa, alors que les souhaits d'ordre religieux (étude de la Torah, mariage et pratique de la charité) sont toujours illustrés. Les sympathies politiques de la famille s'expriment assez souvent par la présence d'un drapeau, français ou israélien.

Peu de coutumes sont chargées d'autant de sens. Sur le linge de la circoncision qui atteste de la réalité de l'acte, s'inscrit l'identité de l'enfant et sa légitimité, son appartenance à la religion juive, à une famille. En remettant sa mappa à la synagogue, l'enfant accomplit sa première mitsva (devoir religieux). Ce linge intime qui identifie l'enfant, mis en contact avec les rouleaux saints de la Torah, renforce le symbole de l'Alliance. Lui accordait-on autrefois un rôle protecteur ? Traditionnellement, la mappa était traitée comme les objets saints : elle ne devait être ni détruite, ni jetée, mais conservée dans le grenier de la synagogue, ou encore enterrée. De nos jours, il arrive qu'elle soit restituée à la famille, qui la conserve comme un objet souvenir.


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