Un héros alsacien
DAVID BLOCH
avec une préface
de M. l'abbé wetterlé

Extraits d'une plaquette publiée par Jules BLUM, éditée par la
SOCIÉTÉ ALSACIENNE D'ÉDITION (ALSATIA) S. A.
COLMAR, 1923

préface

Que d'actes d'héroïsme individuels la guerre a provoqués ! Combien resteront toujours inconnus ! Le poilu, qui faisait plus que son devoir, ne recherchait pas une vaine gloire ; il obéissait simplement à ses chefs, jouant dans la grande tragédie, un rôle qui fut souvent décisif, sans que cet humble en tirât vanité.

La victoire fut faite de ces obscurs dévouements, restés presque toujours anonymes. On ne pouvait pas citer tous les hommes à l'ordre du régiment, de la brigade ou de l'armée. Et pourtant ils contribuèrent tous, par leur endurance et leur bravoure, à libérer le sol de la Patrie.

A ces vaillants, la France doit le tribut de son éternelle reconnaissance. Quand nous honorons spécialement l'un d'entre eux, c'est à la collectivité que vont notre admiration et nos hommages.

Si les héros, qui sont l'objet de cette glorification posthume pouvaient encore élever leur voix, ils nous diraient : "Je n'ai rien accompli d'extraordinaire. Tous mes camarades en auraient fait autant."

David Bloch était un des ces modestes. On l'eut bien surpris, si ou lui avait annoncé qu'un jour sa statue se dresserait dans un jardin public de sa ville natale. Il avait trouvé tout naturel de s'engager dans l'armée française et, après sa réforme, de se mettre à la disposition du service de renseignements. Quand il fut pris, i1 ne s'étonna pas d'être condamné à mort. C'était le risque du métier. Et c'est précisément dans cette simplicité que se trouve la grandeur de son geste, comme de celui de ses camarades tombés au champ d'honneur.

Nous n'en avons pas moins l'obligation, nous qui bénéficions de cette accumulation de sacrifices connus ou ignorés, d'immortaliser les actes des glorieux disparus quand des circonstances particulières en ont rehaussé l'éclat. C'est pour nous l'acquittement d'une dette d'honneur, pour les générations futures un précieux enseignement, pour les concitoyens des grands morts un légitime sujet d'orgueil.
  E. WETTERLÉ
Député du Haut-Rhin.

un héros alsacien
DAVID BLOCH

 
David Bloch sur une carte postale ancienne (détail)
Dans un but d'édification et pour stimuler le dévouement patriotique de la jeunesse, nous avons rassemblé ces pages, souvenirs épars d'un grand exemple et de lacérémonie qui l'a magnifié.
Le nom de David BLOCH est devenu inséparable l'histoire de notre Alsace.

Le jeune héros alsacien, fusillé pour la patrie française, domine sur une simple stèle sa ville natale, regardant au loin dans la calme sérénité du courage et du devoir accompli, son pays, sa petite et sa grande patrie, pour lesquelles il a donné sa vie.

Nous devons à l'initiative de Jules Blum, l'érection de ce monument et la publication de cet opuscule. C'est grâce à notre concitoyen, que furent gravé sur le marbre, le courageux exploit de notre compatriote, et diffusées les leçons qu'il renferme, par la narration des circonstances qui l'entourèrent, la publication des hommages rendus à son mémoire et des discours qui le glorifièrent.

David BLOCH était né à Guebwiller le 27 novembre 1895. Après avoir passé ses jeunes années en France, la déclaration de guerre le trouva à Baccarat.
Bien que chétif et d'une santé précaire il voulut dès les premières semaines faire son devoir et obtint, après de nombreuses démarches, d'être incorporé au 152° de ligne, l'héroïque régiment qui tient actuellement garnison à Colmar.
Mais bientôt réformé pour faiblesse de constitution, Bloch fut envoyé dans une usine de guerre. Il en éprouva un profond chagrin. Puisqu'il ne pouvait pas défendre son pays les armes à la main, ne devait-il pas lui être possible de rendre, en courant des risques plus grands, des services tout aussi signalés ?

Dès que l'idée lui en fut venue, il s'aboucha avec un état-major à Epinal. Les officiers furent très surpris de la proposition aventureuse qu'il leur fit. Un avion devait le déposer derrière les lignes allemandes où grâce à sa connaissance personnelle, il pourrait recueillir des renseignements utiles. Puis un autre avion viendrait le reprendre dix jours plus tard.
Le plan était audacieux. On essaya vainement, de faire comprendre à Bloch tout ce qu'il comportait de dangers. Le jeune Alsacien mit cependant tant d'insistance à le réaliser au plus tôt, qu'on se décida enfin à lui en faciliter l'exécution. Des indications précises furent données à Bloch sur la nature des renseignements qu'on attendait de lui, et dans la nuit du 22 au 23 juin 1916 à 2 h. 1/2 du matin, l'avion militaire, piloté par un sergent-aviateur et à bord duquel se trouvait Bloch, portant un vieil uniforme du 152°, s'éleva du champ d'exercice de Fontenelle près de Belfort, survola Thann et atterrit près de Merxheim.

Malheureusement l'appareil avait capoté en touchant terre. Suivant les instructions qu'on lui avait données, l'aviateur l'incendia et mit en liberté les trois pigeons voyageurs qu'il avait emportés.
C'est alors, que se déroula rapidement la tragédie. Bloch, après s'être séparé du sergent, s'était jeté dans un bois après s'être débarrassé de sa vareuse militaire. Quand le matin fut venu, il voulut s'orienter, sortit de la forêt et fut arrêté par un officier prussien qui demanda ses papiers.

Arrêté, confié à la police secrète du front, il fut traduit devant le conseil de guerre de Mulhouse. L'avocat alsacien Léon Nordmann fut chargé de sa défense. Bloch eut peut-être pu se soustraire au châtiment suprême s'il avait consenti, comme ses juges l'en pressaient, à fournir des indications sur le service de renseignements en France. Il s'y refusa, tout en avouant crânement le but qu'il s'était proposé d'atteindre.
Malgré les efforts de son défenseur, les juges du conseil de guerre, sans se laisser attendrir par son jeune âge et sa vaillance, le condamnèrent à la peine de mort.

Bloch sut mourir en brave. C'est à l'île Napoléon, près Mulhouse, qu'il tomba sous les balles du peloton d'exécution.

comment il fut arrêté.

Le père du jeune héros a raconté lui-même comment son fils, qu'il n'avait plus vu depuis la guerre, a été mis subitement en sa présence, entouré de soldats allemands qui le gardaient baïonnette au canon. M. Bloch ignorait tout de son fils, lorsque le 23 Juin 1916, à Guebwiller, vers six heures du soir, un agent de police vint lui donner l'ordre de se rendre à la mairie, sans pourvoir lui indiquer le motif de sa convocation.

Voici la suite du récit fait par M. Bloch et tel qu'il a paru dans le Nouveau Rhin Français :

"A 7h.30 arrivait une voiture à deux chevaux. On m'y fit monter avec un soldat et nous et nous partîmes pour Ensishem. Mon compagnon ou plutôt mon gardien, fut également muet sur la cause de mon arrestation, car c'en était une. La voiture s'arrêta devant l'habitation de M. Sautier, fabricant. Au moment où je descendais, j'entendis un soldat qui disait à son camarade : "le père arrive". Un lieutenant s'approcha de moi et il me posa la question à brûle-pourpoint :
- Vous avez un fils en France ?
- Oui, répondis-je.
- Fort bien, suivez-nous.

C'est alors qu'on m'introduisit dans une pièce du premier étage où se trouvaient un grand nombre de gradés. Quelle ne fut pas ma stupeur, quand je vis dans un coin de la salle mon petit David qui se tenait entre deux soldate baïonnette au canon. Je voulus m'avancer vers lui et l'embrasser. On me retint, et on m'interdit sous peine d'arrestation immédiate de lui adresser la parole.
- C'est bien là votre fils ? me demanda un officier
- Oui.
- C'est bien là votre père ? reprit l'officier en s'adressant à David.
- Oui.
- Comment se fait-il qu'il fût en France au moment où la guerre a éclaté ?
- Rien de plus simple, répondis-je. En 1913 on lui avait offert une situation à Baccarat, il l'avait acceptée. Bon nombre d'Alsaciens, même des fils de fonctionnaires, allaient ainsi passer quelques années en France.

Ce fut là tout mon interrogatoire. J'ignorais alors, comment David avait été fait prisonnier. Ce n'est que plus tard qu'on me l'apprit. Quand l'avion qui l'avait transporté à Merxheim eut capoté, ensevelissant les deux passagers sous ses débris et que l'aviateur y eut mis le feu, mon fils, qui portait des habits civils par-dessus son uniforme, se sauva dans un bois voisin.
Dès que le jour parut, les soldats allemands organisèrent des battues dans les environs. David, qui s'était débarrassé de la tunique militaire, fut bientôt découvert et arrêté. Le hasard voulut qu'un soldat alsacien originaire de Guebwiller, crut le reconnaître. C'est pour confirmer ces soupçons que les Allemands avaient eu l'idée diabolique de me faire chercher et de me mettre brusquement en présence de mon fils.

On ne me cita pas comme témoin à l'audience du conseil de guerre du 29. Le soir de ce jours je reçus une dépêche qui m'appelait, ainsi que ma femme à Mulhouse. Le commandant de place de Guebwiller refusa d'abord de me laisser partir. C'est sur un ordre venu de Mulhouse, qu'il me fut permis de prendre une voiture pour aller voir le condamné.

Dans la journée du 30, ma femme et moi pûmes passer deux fois une demi-heure avec David. Celui-ci était très courageux. Il n'aurait pas versé une larme, si la vue de notre douleur ne l'avait pas lui-même ému. Le gardien de la prison qui assistait à ces derniers entretiens pleurait lui-même à chaudes larmes.
J'ai conservé précieusement la carte que David nous adressa encore pendant la nuit et où il nous faisait ses adieux.
Le lendemain matin, il tombait sous les balles allemandes. Il fut courageux jusqu'au bout : "Ma patrie me vengera", avait-il dit à ses juges.
La patrie l'a vengé !"

Est-il utile de faire ressortir la façon employée pour s'assurer de l'identité du jeune homme, cette mise en présence subite, ce raffinement de cruauté que les Allemands, passés maîtres en ce genre, employèrent si fréquemment, pendant la guerre, en Alsace et dans les pays occupés ?

Le cas de David Bloch fut particulièrement tragique et méritoire. Ils en ont tous jugé ainsi : celui qui a pris l'initiative de la glorification de sa mémoire, ceux qui y ont contribué généreusement, sa ville natale et la France, qui ont voulu fixer le souvenir de son sublime martyre, qui ont gravé sur le marbre et sur l'airain, les traits et le nom de celui qui sut mourir vaillamment face à l'ennemi et dont les dernières paroles ont été un cri d'amour et de confiance, à la patrie bien-aimée.

l'inauguration du monument.


Le monument édifié en 1922 à la mémoire de David Bloch. Celui-ci a été détruit en 1940 par les autorités nazies.
Un second mémorial qui se trouve dans un square, place Déroulède sera inauguré en 1965.
Le 27 Août 1922, Guebwiller inaugurait le monument qui immortalise son jeune concitoyen et qui lègue à la postérité le souvenir indélébile de l'enfant d'Alsace, qui sut être un héros.

La petite ville glorieuse, encore meurtrie par la grande tourmente, est pavoisée et ornée comme aux grands jours de fête. Les couleurs de France flottent triomphales, à la brise des montagnes proches et un beau soleil illumine la contrée et la population en liesse. Dès avant l'heure de la cérémonie officielle et devançant les autorités, la foule s'est portée à la promenade Déroulède, où à travers le feuillage dense, apparaît encore sous ses voiles, la statue de David Bloch.

A 11 heures, un cortège composé de toutes les sociétés de la ville, précédant les personnages officiels, monde à la promenade.

M. Reibel, Ministre des régions libérées, délégué du gouvernement français et sa suite, arrivent devant le monument ; le peloton de trompettes de l'escorte d'honneur fait éclater ses fanfares, pour saluer le représentant de la République Française.

Les drapeaux des sociétés civiles et ceux des vétérans, des sections d'engagés volontaires de l'arrondissement de Guebwiller et des anciens combattants se groupent autour du monument. Le ministre, les parlementaires, les membres de la famille de Bloch et tous les invités, sont groupés sous les arbres qui lui font une ceinture de feuillage. Un grand silence plane sur la foule recueillie.

Tandis que tous les regards convergent vers la statue dont, sous son enveloppe on devine les contours, que tout se tait aux alentours, que le feuillage, que dans les arbres les oiseaux eux-mêmes, cessant leur doux ramage, se sont immobilisés dans une solennelle attente, M. l'Abbé Wetterlé, député du Haut-Rhin, membre du comité du monument, monte le premier à la tribune.

discours de m. l'abbé wetterlé.

Le 1er août 1916 un jeune homme, presqu'un enfant, était transporté à l'île Napoléon, près Mulhouse, et tombait sous les balles d'un peloton d'exécution.
Son crime ? Il avait trop aimé la France. David Bloch était à peine âgé de 20 ans. Peu de temps avant la guerre, il avait trouvé une situation à Baccarat. Quand éclata le grand conflit, il n'eut pas un instant d'hésitation. Son devoir était de servir sous les drapeaux de sa vraie patrie.
Il s'engagea donc au 152e d'infanterie, le glorieux régiment qui s'illustra de tant de hauts faits d'armes pendant la guerre et qui tient aujourd'hui garnison à Colmar. Bloch était cependant si chétif, si malingre, qu'après quelques semaines on le réforma. C'est alors que, ne pouvant se résigner à l'inaction, il se mit à la disposition du service de renseignements et fut attaché à une escadrille d'avions.
L'état-major, désireux d'avoir des indications précises sur les forces allemandes stationnées en Alsace, chargea l'aviation de déposer des observateurs derrière les lignes ennemies. David Bloch accepta avec empressement cette mission périlleuse entre toutes. Il devait passer quelques jours dans la région de Guebwiller, qu'il connaissait si bien. Puis un avion serait venu le reprendre.
Malheureusement, en atterrissant près de Merxheim l'aéroplane, qui le portait capota.
Après que le pilote y eût mis le feu, Bloch se réfugia avec son compagnon dans la forêt voisine. C'est là que l'un et l'autre furent faits prisonniers le lendemain, 23 juin.

Les Allemands eurent immédiatement des soupçons sur l'identité de David Bloch, bien que celui-ci possédât un livret militaire portant un nom d'emprunt. Un soldat avait cru reconnaître son camarade d'enfance. Pour s'assurer qu'il se trouvait bien en présence d'un Alsacien servant dans l'armée française, l'officier enquêteur d'Ensisheim fit venir le père de Bloch de Guebwiller et le plaça brusquement en face du prisonnier. La tragique reconnaissance eut lieu. Le témoignage involontaire, mais escompté, du père, allait entraîner la condamnation de l'enfant. Honteux subterfuge, qui prouve que tout sentiment d'humanité était étranger aux ennemis de l'Alsace et de la France.

David Bloch eut une attitude très crâne devant les juges du conseil de guerre de Mulhouse, Vainement son défenseur essaya de lui éviter le châtiment suprême. Il fut condamné à mort le 29 juillet.
Dans la journée du 30 on lui permit de faire ses adieux à ses parents. La scène fut déchirante. Dans la soirée le condamné écrivit encore une lettre aussi touchante que courageuse à ceux qu'il allait quitter pour toujours. Le lendemain il tomba en brave sans avoir eu un seul instant de défaillance.

Telle fut la destinée de ce jeune Alsacien, auquel ses compatriotes ont décidé d'élever un monument dans sa ville natale. Cet honneur était bien mérité.

La grande guerre a transformé en héros des millions de jeunes hommes que rien ne semblait avoir préparés à ce rôle glorieux. Le grand souffle patriotique, qui avait passé sur le pays au lendemain de l'agression allemande, devait brusquement exalter ce qu'il y a de meilleur dans les âmes les plus obscures et leur inspirer ces innombrables actes de dévouement et de sacrifice qui remplissent les plus belles et les plus émouvantes pages de l'histoire nationale.
David Bloch aurait pu se soustraire à l'obligation de se battre sous les plis drapeau tricolore. C'est librement, ne l'oublions pas, qu'il a offert sa vie à la, patrie française. Et il devait récidiver, puisque réformé pour faiblesse de constitution, il n'avait pas accepté ce qu'il considérait comme une déchéance. Il est mort de ce pieux entêtement. Honneur à sa mémoire !

La statue de votre jeune concitoyen est l'oeuvre de M. Hannaux, le sculpteur lorrain, dont la nom était déjà sur les lèvres de tous les annexés avant la guerre, puisqu'il fut l'auteur de ce monument aux morts de 1870-71, dont l'inauguration, à Noisseville, donna lieu à de si grandioses manifestations. Au bas de ce monument une jeune Lorraine, effeuillait tristement les fleurs du souvenir sur la tombe des vaincus. Or, il y a quelques semaines, un autre bronze de M. Hannaux était inauguré dans Metz reconquise. Il glorifiait le Poilu vainqueur et au-dessous une image symholique soeur de celle de Noisseville, représentait la ville lorraine, brisant ses chaînes en un geste d'allégresse.
L'artiste, qui avait ainsi immortalisé et la douleur de la séparation et l'ivresse joyeuse du retour, était tout désigné pour rappeler aux générations futures un incident particulièrement tragique de la grande épopée. Il s'est acquitté de sa tâche avec son talent habituel, et il me sera bien permis de l'ajouter, puisque j'ai assisté jour pour jour à l'éclosion de son oeuvre magistrale avec un véritable amour. Il lui était en effet particulièrement agréable de rendre cet hommage posthume à un compatriote, dont le sacrifice résumait si bien l'indéfectible attachement des Alsaciens et des Lorrains à la France.

Plus de cent mille jeunes hommes de nos deux provinces avaient été surpris par l'ordre de mobilisation, fin juillet 1914, et avaient dit servir, contre leur gré, dans les rangs de l'armée allemande. Mais les circulaires et les proclamations rageuses de l'état-major prussien font foi de la légitime suspicion en laquelle leurs chefs les tenaient, eux et leurs familles.
Ce qu'on ignore généralement, c'est que 23 000 Alsaciens-Lorrains, ou résidant en France, ou ayant traversé la frontière en temps utile, ou encore ayant été faits prisonniers, s'engagèrent dans l'armée française. D'eux-mêmes ils avaient compris qu'à l'heure où la délivrance de nos deux provinces était devenue la principale préoccupation des combattants, il était de leur devoir, de ne pas rester à l'arrière, loin du danger.
Pour leur éviter des représailles, il avait été décidé qu'ils serviraient en Afrique ou sur les fronts d'Orient. Seuls étaient envoyés sur le front allemand cella qui sollicitaient formellement et avec instance ce périlleux honneur.

David Bloch fut de ces derniers. Il ne pouvait pas ignorer que s'il était fait prisonnier, les Allemands le considéreraient comme un déserteur et un traître. C'est là ce qui fait la grandeur d'un sacrifice deux fois consenti.
Après sa condamnation, le brave petit Alsacien, se tournant vers ses juges, leur avait dit : "Ma patrie me vengera".
Elle t'a vengé, soldat de France, en délivrant le pays pour lequel tu as généreusement versé ton sang. Les drapeaux tricolores qui flottent aujourd'hui sur Guebwiller, où tu es né et où tu as grandi, sont la réponse de la Patrie à la sentence haineuse de tes bourreaux. Dors en paix. Tes juges ont disparu. Il ne reste plus, groupés autour de ta statue, que les amis dont le souvenir attendri préservera de l'oubli la mémoire de ta mort glorieuse.

Au nom du comité, je vous remets, Monsieur le Maire, le monument de David Bloch, sûr d'avance que la piété de ses concitoyens l'entourera des plus respectueux hommages.

Puis M. l'Abbé Wetterlé fit remise du monument à la ville de Guebwiller.
A ce moment les voiles tombèrent et l'oeuvre magistrale du sculpteur Hannaux érigée sur l'élégant piédestal dû à l'architecte Pierre B1um, apparut, saluée par un murmure de pieuse admiration. C'est un bronze de grandeur naturelle, représentant un adolescent au masque viril, les mains liées devant lui, le corps attaché par des cordes à un tronc d'arbre. L'expression, de la figure est celle d'un homme qui regarde la mort en face, froidement, sans trembler, bravant le sort atroce qui est le sien.

M. le maire de Guebwiller prend possesion du monument au nom de la ville fière de son héros. Il monte à son tour à la tribune.

[...] Puis vint le tour de Me. Nordmann, le dévoué défenseur de Bloch, celui qui a vu dans sa prison le fier enfant que son bel acte d'héroïsme vouait à la mort, celui qui assista aux débats qui mirent le petit soldat français dans l'alternative de tomber sous les balles ennemies ou de trahir sa patrie, et qui crânement s'est affirmé devant ses juges, choisissant la mort, sans hésiter, plutôt que de devenir félon. Mr. Nordmann dit :

discours de m. nordmann.

Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs :

Nous nous sommes réunis aujourd'hui pour glorifier la mémoire de David Bloch, mort si jeune, au service de la patrie.
Permettez à son défenseur de retracer en quelques mots sa conduite magnifique et d'évoquer son acte glorieux qui lui a valu la mort et en même temps notre admiration émue et le respect des générations futures.

En parlant de David Bloch, j'ai toujours présente à l'esprit cette année terrible 1915616, la seule d'ailleurs que j'ai pu passer à Mulhouse durant la guerre. Dans cette période douloureuse j'ai défendu des centaines d'Alsaciens traînés devant les conseils de guerre pour un sentiment bien légitime chez nous, le sentiment d'attachement profond à la Mère Patrie.
C'est avec une poignante émotion que je vois passer devant, mes yeux l'image de tous ces hommes et femmes de tout âge, de tout rang social, de toute religion, de tout parti politique, fusillés, jetés en prison et internés dans le camp fameux de "Holzminden". Je me sens fier d'avoir pu défendre quelquefois avec succès la cause de ces hommes dignes de la patrie. J'ai oublié les représailles que nous ont values nos plaidoiries.
Parmi ces nombreuses victimes des Conseils de guerre, je pense aujourd'hui spécialement aux vaillants enfants de Guebwiller - à la famille Schund dont la mère et la fille ont passé de longues semaines en prison, pour avoir proclamé leur conviction dans la victoire finale aux professeurs de lycée Bachsmitt, Doll, - et l'abbé Luts, - qui n'ont pas craint de donner libre cours à leurs sentiments français, - aux vénérables soeurs de Ribeauvillé enseignant à Guebwiller, - à la Supérieure Sr. Ludwina, âgée de 73 ans, qui ont souffert cruellement pour la cause sacrée.

Et parmi toutes ces nobles figures, l'une domine : David Bloch. Vous n'ignorez pas dans quelles conditions il a accompli son acte courageux. Engagé volontaire en 1915, incorporé au fameux 152e, de constitution trop faible pour aller au front, il veut servir la patrie d'une façon toute particulière. Mettant à profit sa connaissance du pays natal, il conçoit le plan de franchir les lignes ennemies en avion, de se faire déposer aux environs de Guebwiller et de recueillir des renseignements utiles. Quelques jours plus tard, la mission accomplie, l'avion devait revenir chercher notre jeune héros.
Vous connaissez les conséquences fatales de son atterrissage malheureux, son arrestation, enfin sa condamnation.

Je le revois encore tel qu'il m'apparut pour la première fois en prison. Cette entrevue m'a laissé un souvenir ineffaçable. Je me suis trouvé en présence d'un jeune homme, enfant presque, dont le calme m'a frappé. Il n'a aucun doute sur le sort qui l'attend, il ne tremble pas pour sa propre personne, mais il redoute pour sa famille les suites de son acte héroïque.
Son attitude sereine reste la même pendant toute sa détention. La pensée d'avoir fait son devoir, soutient son courage. Son attitude devant les juges est des plus belles. A l'audience il n'a aucune défaillance. Crânement il déclare qu'il ne regrette rien de ce qu'il a fait et refuse, malgré toutes les promesses, de donner des renseignements sur l'armée. L'acte d'accusation lui reproche d'avoir servi dans les rangs français. Lui revendique hautement ce droit qu'il considère aussi comme un devoir sacré pour un Alsacien. Il est poursuivi pour haute trahison. Fièrement il répond : "Je suis soldat français, j'ai fait mon devoir."
Et alors, malgré tous mes efforts, malgré tous les arguments juridiques et humains qui luttent en sa faveur, malgré sa grande jeunesse, la sentence implacable est prononcée. David Bloch écoute la lecture du jugement sans frémissement. Et deux jours après on placarde sur les murs de Mulhouse et de Guebwiller la fameuse affiche rouge dont tous les Alsaciens se souviennent : "Heute wurde wegen Kriegsverrals erschossen…"

Les cœurs des patriotes se serrent, le crime est consommé. A l'aube du premier août David Bloch est mort courageusement à l'Ile Napoléon, traversé par douze balles. Il est tombé en martyr pour la France en payant de son sang son amour pour la patrie.
Quelle leçon magnifique de pur patriotisme désintéressé nous donne le suprême sacrifice de notre jeune héros ! Sa mort glorieuse est l'incarnation de l'âme alsacienne poussée à l'héroïsme. Sa mémoire sera à jamais impérissable. Son souvenir restera vivant dans nos coeurs. David Bloch a bien mérité de la Patrie.

Après Me Nordmann, M. Sansboeuf, président de la section des vétérans de 1870, prend la parole [...]

David Bloch avec des soldats portant l'uniforme allemand, sur une carte postale ancienne
coll. © M. et A. Rothé

Ce fut alors Mr. Reibel, ministre des régions libérées qui prit la parole. Son verbe sonore et clair, qui bientôt décèle une profonde émotion retentit puissamment sous la voûte de feuillage, pour pénétrer jusqu'aux rangs des assistants les plus éloignés.
Voici l'émouvante allocution de Mr. le Ministre :

discours de m. reibel.

Mesdames, Messieurs,

C'est dans un sentiment de profonde émotion que je dépose au pied de ce monument l'hommage du gouvernement de la République et de la France.
Aussi bien, à travers cette charmante et frêle effigie où l'art alsacien fixa les traits d'un héroïque enfant d'Alsace, ne voyons-nous pas reparaître tout le douloureux cortège de souffrances qui se déroula pendant près de cinquante ans dans ce noble pays, sans jamais atteindre son âme ni affaiblir son ardent et fidèle amour de la patrie.
Cruelles épreuves, au-dessus desquelles planent aujourd'hui nos drapeaux victorieux, mais qu'ils ne doivent point recouvrir puisque l'amertume de leur souvenir ajoute encore à l'éclat de la victoire et de la libération.

Le 1er août 1916, il y a six ans à peine, l'autorité militaire allemande faisait placarder sur les murs de Mulhouse un avis tragique, qui était aussi un avertissement menaçant : "On a fusillé aujourd'hui l'espion David Bloch, né le 21 novembre 1895 à Guebwiller, Haute-Alsace." Bien que soumis aux obligations militaires en Allemagne, il s'était engagé dans l'armée française, puis, placé comme ouvrier dans une fabrique de munitions, il s'était fait instruire comme espion et s'était fait déposer par un aéroplane français sur le théâtre des opérations où, sujet allemand, il comptait faire, en vêtements civils de l'espionnage dans le dos des troupes allemandes.
Le conseil de guerre de l'Etappen-Kommandantur de Mulhouse l'a condamné à mort pour crime de haute trahison le 29 juillet 1916.

Mon très cher collègue et Ami, l'Abbé Wetterlé, vous a conté tout à l'heure, avec l'émotion du patriote qui a lui aussi connu et méprisé les persécutions, l'admirable histoire de cet enfant de 20 ans, David Bloch appartenant à une honorable famille israélite de votre ville.
Il y avait respiré, avec l'air libre de vos montagnes, ce goût sacré de l'indépendance qui tout au long de leur lointaine histoire, ne cessa d'animer les citoyens de Guebwiller et de les protéger victorieusement au prix des pires sacrifices contre les envahisseurs, routiers ou Armagnacs, Suédois ou Allemands.

Lorsque la guerre éclata. David Bloch se trouvait en France ; il résolut aussitôt de servir. Il s'engagea au 152e d'infanterie, ce glorieux régiment qui commença de s'illustrer en Alsace.
Mais, petit et malingre, Bloch est bien vite réformé et envoyé dans une usine ; il ne se résigne pas à, demeurer loin des lignes ; il a soif de danger et, puisque sa santé ne lui permet pas la rude vie des tranchées, il veut aider nos armées en recueillant, pour elles, des renseignements qui puissent hâter la victoire et la délivrance de l'Alsace.
Ainsi germe dans son esprit l'idée qu'à force d'insistance, il parvient à faire accepter par notre Etat-major.
Le 23 juin, il part sur un avion militaire qui doit le déposer près de Mulhouse et venir le reprendre quelques jours après.
Hélas ! l'avion capote à l'atterrissage, pilote et passager sont pris par l'ennemi, et voici que, par un hasard fatal, David Bloch est reconnu ...

Jusqu'au bout, il donna l'exemple du plus beau courage et mon ami, Brogly, député du Haut-Rhin, qui venait d'être condamné, lui aussi, pour haute trahison, à dix ans de travaux forcés et occupait la cellule voisine, put admirer son émouvante grandeur d'âme.
Vainement, les officiers allemands voulurent lui faire espérer sa grâce s'il livrait certains renseignements militaires, il demeura immuablement ferme et fidèle. Et, devant la photographie que vous avez publiée, dans votre beau livre, mon cher Wetterlé et qui représente cet enfant si crâne, au milieu des soldats qui vont le fusiller, on ne sait s'il faut s'émouvoir davantage de tant de jeunesse ou de tant de bravoure.

Peut-être les dures lois de la guerre permettaient-elle cette impitoyable exécution, puisque, de par la force, cet Alsacien était Allemand et atroce cruauté, avait perdu le droit de servir sa Patrie.
Mais que dire de l'infâme vilenie que les autorités allemandes ont commise, lorsque pour acquérir la preuve de l'identité de cet enfant, elles ont fait chercher M. Bloch père à Guebwiller, et l'ayant amené sans aucune explication à Ensisheim, l'ont mis brusquement en présence de son fils, cherchant la certitude et la condamnation même dans l'instinctif mouvement d'un père qui tend les bras à son fils ?

Ainsi, Messieurs, comme en un brusque raccourci, apparaît le double symbole de cette tragédie : fidélité inébranlable de l'Alsace, cruelle horreur de son martyre.
Inclinons-nous devant ce jeune héros.

Etendons notre hommage à tous ceux qui tombèrent comme lui, à ces autres Alsaciens, fusillés eux aussi au champ de tir de l'Ile Napoléon, pour avoir voulu servir 1a France :
Alfred Meyer de Mulhouse, Jules Adam de Reguisheim, Marie Lettermann de Mulhouse, Victor Binder de Kruth, Joseph Boltz de Moosch, Charles Loewenguth de Thann.
Saluons toutes vos glorieuses victimes, les nombreux jeunes hommes de l'arrondissement de Guebwiller, qui parvinrent à s'enrôler et souvent trouvèrent la mort sous nos drapeaux, ceux aussi qui subirent le destin terrible de tomber sous l'uniforme ennemi.
Gardons leur image et leur pensée au fond de nos coeurs ; qu'ils soient notre soutien aux heures difficiles.

Où pourrions-nous, Messieurs, trouver un plus puissant réconfort que dans ce magnifique spectacle de tous les Alsaciens sans distinction de croyance ou de confession, étroitement unis dans le culte de la Patrie et dans la Religion de la France ?

Lorsque M. Reibel eut terminé, les délégués des sociétés patriotiques s'avancèrent et déposèrent des palmes, des couronnes et des gerbes de fleurs au pied du monument de leur frère d'armes.
Les représentants des autres sociétés firent de même.
Profitant de la circonstance, M. Reibel remit à M. le Maire la Croix de Guerre décernée à la ville de Guebwiller, avec la citation élogieuse suivante, lue par M. le Ministre à haute voix :
"Située dans la zône de bataille, a vu une partie de sa population brutalement exilée par l'autorité militaire allemande. Malgré les pertes subies et les souffrances endurées, a toujours montré une foi indéfectible dans la victoire finale de la France." L'enthousiasme des Guebwillerois était à son comble. Des cris de "Vive la France !" cent fois répétés, retentissant au loin, éveillèrent les échos des montagnes, nouveau témoignage de foi et d'enthousiasme de la petite cité à la. France bien-aimée.

Cette journée du 28 Août 1922 marquera dans les annales de Guebwiller. Elle marquera dans l'histoire de notre France, faite de nobles gestes, de grandes et généreuses actions, d'initiatives glorieuses, de saints enthousiames et de sublimes dévouements.

David Bloch, sur son socle, consacre le souvenir de son geste viril en face de la France menacée, de sa bravoure à toute épreuve, de son mépris du danger et de l'odyssée douloureuse qui aboutit au poteau sanglant de l'Ile Napoléon et enfin à l'apothéose.

Que ces lignes soient un hommage aux défenseurs glorieux de notre sol natal. A ceux qui ont donné leur sang pour sauver la patrie et avec elle la civilisation, à ceux qui comme Bloch ont offert sans hésiter leur jeune vie en holocauste et qui seront à jamais les sentinelles vigilantes de la garde du Rhin. A ceux qui tracent aux jeunes générations, le sillon du devoir et de l'héroïsme, afin que jamais ne meure la foi en la France et ses immortelles destinées et qu'à toute heure l'Alsace unie dans un commun sentiment d'amour, sache défendre le sol sacré de la patrie contre les entreprises sacrilèges de l'envahisseur.

Colmar, en Juin 1923. J.B.

Les dernières lettres de David Bloch
Extrait de La Fidélité Française des Israélites d'Alsace et de Lorraine, Sylvain Halff

Chers, parents, frères et sœur,
J'ai été très heureux de vous voir avant de mourir, mes chers parents, et j'ai eu grande joie que vous m'apportiez les photographies de mes frères et de ma sœur ; je les aurai devant moi jusqu'à l'heure suprême. M. le rabbin Bloch est très bon pour moi ; il a bien voulu se charger de vous transmettre tout ce que je ne puis confier à ce papier. Ne dites rien à mon fière Arthur : il est inutile qu'il se fasse du souci à mon sujet. Restez en parfaite santé, mes très chers, et soyez heureux.
Votre DAVID.

Chers parents, chère sœur et chers frères,
Ces quelques mots sont les derniers que vous recevrez de moi avant le grand départ. Ne pensez plus à moi ; je serai aussi heureux dans l'autre monde que je l'ai été ici-bas. Ne vous rendez pas malades à mon sujet. Les choses sont ce qu'elles sont, on n'y peut rien changer. Je vous souhaite beaucoup de bonheur. J'ai plaisir à savoir que vous avez ma photographie, dernier souvenir de moi. J'ai demandé à M. le rabbin d'être inhumé à côté de ma grand'mère. Priez bien pour moi. C'est le suprême adieu de votre aimant fils et frère.
DAVID.

 

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