Mon lexique judeo-alsacien

A PROPOS DU 11 NOVEMBRE

On connaît l’histoire de Moïse Dreyfus (ou de David Weill) qui, pendant la Grande Guerre a ramené au camps vingt prisonniers allemands. L’officier, surpris par les prouesses militaires de ce soldat, demande qu’on se renseigne pour savoir comment il a pu réaliser un tel exploit.

Soldat français
A ceux qui vont l’interroger, l’intéressé répond : 
- Malgré le feu, j’ai constaté qu’il était 16 h 30, l’heure de la prière : je suis donc sorti de la tranchée en appelant «Minh’a, Minh’a !», et tous ceux qui voulaient prier avec minyan m’ont suivi.

Si, dans un premier temps, cette histoire prête à sourire, elle illustre les situations tragiques que peut provoquer l’exil : on connaît en effet bien des familles dont les membres habitaient sur les deux rives du Rhin et qui, avec une loyauté exemplaire envers le pays qui les avait accueillis, se battaient contre leurs parents qui étaient dans le camps opposé.


Le lexique de la Guerre 1914 - 1918

Les Juifs alsaciens qui combattaient dans l’armée française s’étaient constitué un petit dictionnaire duquel je ne relèverai que quelques termes :

Brith Mila (= circoncision) Censure
H’alomoss (= rêves) Victoire des Alliés
H’outzpess Ponim (= arrogants) Aviateurs
Kowod (= honneurs) Croix de guerre
Le’harless (= délibérément, sans pourtant en tirer avantage) Jusqu’au bout
Mazel (= chance) Réforme temporaire
Mazel Tov (= bonne chance) Réforme définitive
Ossé Sholem (cf. ci-dessous) la retraite
Pfoutzi Kapores Gaz asphyxiant
Sane Taukeff (« Ounetané Tokef ... » = prière émouvante récitée Rosh Hashana et Kippour, dans laquelle il est question de vie ou de mort) L’aumônier (cf. l'image du grand rabbin Abraham Bloch)
Schlemiel (cf. article Schlemiel) Engagé volontaire
Schlemazel (ib.) Rappel des vieilles classes
Shma Isroël (verset récité, entre autres, par les mourants) Partir à l’attaque
Sim’hass Toro La fin des hostilités
Tehilim (= Psaumes ; cf. article Tehilim) Recommandations avant l’attaque
Tisha Beov Vie dans les tranchées

Hussards allemands
en première ligne à Verdun
Photos of the Great War
Hussards allemands
Ces expressions illustrent une fois de plus la référence permanente à la vie religieuse et le sens de l’humour très particulier des juifs alsaciens).

« Ossé Sholem ... » : ces deux mots sont les premiers d’une phrase qui figure à la fin du Kadish et de la Amida (prière des Dix-huit bénédictions) et qui se dit en faisant quelques pas en arrière, d’où l’expression «Ossé Sholem geh», qu’on emploie avec malice pour dire « marcher à reculons », reculer et par extension « se raviser » et « se rétracter ».
Cette expression a permis à maint juif alsacien mobilisé dans l’armée allemande pendant la guerre de 14/18 de faire savoir à sa famille, malgré la censure de la correspondance militaire, que son unité battait en retraite.

On a même raconté - la chose est peut-être vraie - que le préposé à la censure militaire, frappé par une expression revenant assez souvent dans la correspondance contrôlée, et se doutant de son origine hébraïque, s’est adressé à l’aumônier israélite pour lui demander des explications ; l’aumônier, très conscient de la signification donnée par ses camarades de combat à ces mots, s’est contenté de donner la traduction littérale du verset complet : « Que Celui qui fait la paix dans ses hauteurs, fasse aussi régner la paix sur nous... ». Cette réponse , que l’aumônier a pu justifier en montrant un livre de prières avec traduction, a évidemment dû apaiser la curiosité et le craintes du censeur ...

Il y a des subtilités qu’un goï a sûrement du mal à comprendre !

Lire sur le même thème :
L'humour juif et la Grande Guerre
par
Philippe-E. LANDAU


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